SERAFIN-PH : la CNSA s’immisce dans le coeur de métier des professionnels des ESSMS

Nov 26, 2020Droit des associations et des ESMS, RGPD, Tarification

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La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a mis en ligne un “guide de bonnes pratiques sur les usages qualitatifs des nomenclatures des besoins et des prestations SERAFIN-PH” qui propose une imprégnation des activités sociales et médico-sociales par les nomenclatures SERAFIN-PH jusqu’au coeur de métier.

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Ce guide, destiné à toutes les parties prenantes des accueils ou accompagnements sociaux et médico-sociaux dans le champ du handicap (établissements et services, agences régionales de santé, Conseils départementaux, Maisons départementales des personnes handicapées, organismes de formation, personnes en situation de handicap accueillies ou accompagnées, entourage et proches aidants, etc.), constitue la restitution ordonnée et finalisée d’une enquête réalisée grâce à un questionnaire mis en ligne au début de l’année 2020 par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

973 répondants ont pris l’initiative de renseigner ce questionnaire, représentant 1 998 structures sociales et médico-sociales. 65% des répondants (634) ont indiqué utiliser en tout ou en partie les nomenclatures des besoins et des prestations élaborées dans le cadre de la démarche “Services et Établissements : Réforme pour une Adéquation des FINancements au parcours des Personnes Handicapées” (SERAFIN-PH). Sur ces 634 répondants, 600 étaient des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) ou des organismes gestionnaires.

L’objectif affiché du guide est ainsi de promouvoir les usages locaux identifiés par l’enquête en ce qu’ “ils participent de la dynamique générale de la transformation de l’offre d’accompagnement”.

Trois arguments sont mobilisés pour justifier et valoriser cette démarche :

  • les recommandations de bonnes pratiques professionnelles (RBPP) de la Haute Autorité de santé (HAS) relatives aux pratiques de coopération et de coordination du parcours de la personne en situation de handicap, réfèrent aux nomenclatures SERAFIN-PH comme outil “possible d’état des lieux des ressources mobilisables et des pratiques identifiées par un ESSMS et sur son territoire en vertu des besoins identifiés” ;
  • la participation de certains ESSMS aux études du projet SERAFIN-PH est “probablement un facteur clé d’appropriation de cet outil, de transformation de son objet à des fins qualitatives et de diffusion de pratiques innovantes à l’échelle de leurs bassins de vie” ;
  • la méthode de co-construction inhérente au projet SERAFIN-PH permet aux organismes gestionnaires et têtes de réseau d’utiliser l’outil dans des démarches qualité.

Au plan méthodologique, il est précisé que ce document a été élaboré par “un groupe de travail réunissant des acteurs experts de l’accompagnement des personnes en situation de handicap et sensibilisés aux usages des nomenclatures s’est réuni pour analyser les données de cette étude, les compléter et aboutir à ce guide”.

  1. Présentation synthétique du contenu du guide

Le guide de la CNSA s’intéresse à quatre grands domaines d’usage opérationnel des nomenclatures SERAFIN-PH.

1.1. Usages à destination des personnes accompagnées

Le guide identifie comme bonne pratique l’utilisation des nomenclatures SERAFIN-PH pour :

  • structurer les projets individualisés des usagers et résidents, allant jusqu’à donner des modèles de documents de travail utilisables par les équipes pluridisciplinaires ;
  • ordonner la tenue papier et dématérialisée des dossiers des usagers, les critères d’activité SERAFIN-PH pouvant structurer la liste des données à caractère personnel entrant dans le champ d’application du Règlement général sur la protection des données (RGPD) ;
  • structurer le dispositif d’orientation permanent (DOP) mis en oeuvre dans les MDPH au titre des plans d’accompagnement global (PAG) et du fonctionnement des groupes opérationnels de synthèse (GOS).

1.2. Usages à destination des acteurs médico-sociaux

La CNSA préconise ici l’emploi des nomenclatures pour la rédaction, la formalisation et l’évaluation :

  • des projets d’établissement ou de service ;
  • du projet stratégique de l’organisme gestionnaire (ex. projet associatif).

1.3. Usages au profit de la programmation et de la planification de l’offre

Les nomenclatures sont promues, sur ce thème, pour servir :

  • aux phases de diagnostic, de négociation et d’évaluation des objectifs qualitatifs (i.e. non financiers) des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), en complément du tableau de bord de la performance de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) ;
  • à l’élaboration de diagnostics territoriaux partagés.

1.4. Usages propices au renforcement des partenariats professionnels, institutionnels et de la gouvernance territoriale

La proposition est ici de recourir aux nomenclatures pour renforcer et clarifier :

  • la fonction de planification de l’offre assurée par les ARS et les Conseils départementaux ;
  • le périmètre et les activités de dispositifs territoriaux tels que «Une réponse accompagnée pour tous», «Territoires 100% inclusifs» et “Communauté 360”.

Le guide comprend, en complément de ces éléments descriptifs, quelques six fiches de bonnes pratiques :

  • n° 1 : les étapes de réalisation d’un projet personnalisé ;
  • n° 2 : exemple de structuration d’un plan d’accompagnement global (PAG) ;
  • n° 3 : tableau d’engagements pris à l’issue d’un groupe opérationnel de synthèse (GOS) ;
  • n° 4 : utilisation des nomenclatures dans un projet d’établissement, de service ou de dispositif ;
  • n° 5 : réalisation de cartographies des besoins et des prestations ;
  • n° 6 : utilisation des nomenclatures dans la rédaction de la fiche “diagnostic” d’un CPOM.

En annexe au guide est joint le modèle du questionnaire en ligne qui a été utilisé par la CNSA.

2. Analyse critique

La vision que propose ce guide de la CNSA est – à l’instar des autres dispositifs de new public management insérés dans le régime juridique et financier du secteur social et médico-social – troublante par sa grande ambivalence.

Au plan méthodologique d’abord, on constate que certaines pratiques de la gouvernance publique du secteur demeurent des constantes :

  • le travail est le fruit d’un groupe d’experts dont la composition est inconnue, faute de liste fournie en annexe du guide ;
  • le travail accompli procède à des remontées du terrain mais y ont été ajoutés des éléments par le groupe de travail, sans pour autant que l’on sache ce qui relève des premières ou des seconds. Autrement dit, rien ne permet de définir si la co-construction vantée ici était une réalité ou seulement un subterfuge ;
  • la sempiternelle question de la représentativité des répondants se pose. D’abord, parce qu’un biais fausse par hypothèse le résultat, dans la mesure où n’ont répondu que des volontaires. Il s’agit nécessairement d’opérateurs “progressistes” qui, par volonté d’hyper-adaptation stratégique, participent de bon gré à toute expérimentation qu’ils croient valorisante ; mais ces “bons élèves” du changement de paradigme des politiques sociales, qui ont choisi de prendre le risque de scier de bon coeur la branche sur laquelle ils sont assis, sont-ils vraiment représentatifs de la réalité du secteur ? Ensuite, parce que le taux de réponse global ne suffit pas à établir la pertinence des résultats : il ne garantit nullement, par lui-même, de la fidélité de l’échantillon des répondants à la structure de l’univers investigué (rien n’établit la représentativité de l’échantillon au regard de la répartition des organismes gestionnaires par forme juridique et sociologique ni des ESSMS par catégorie d’interventions et par territoire).

Sur le fond ensuite, il est incontestable que le partage d’un langage commun – que peut constituer le recours aux nomenclatures SERAFIN-PH – par toutes les parties prenantes à la réponse aux besoins des personnes en situation de handicap ne peut être perçu que de manière positive car il permet de présumer un effet positif direct sur la qualité des compensations proposées à ces personnes. Mais dans le même temps, il n’est pas anodin de constater que la CNSA propose, plus ou moins explicitement (et cette énumération n’a aucune prétention à l’exhaustivité) :

  • son immixtion dans le champ de l’édiction des bonnes pratiques professionnelles, sans pour autant offrir aucune des garanties de méthodologie et de compétence technique offertes par la Direction de la qualité de l’accompagnement social et médico-social (DiQASM) de la Haute autorité de santé (HAS) héritière de l’ANESM, et alors que sa vocation est essentiellement financière ;
  • la généralisation, dans le secteur social et médico-social, d’un équivalent du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) du secteur sanitaire, ce dernier ayant été le préalable nécessaire et suffisant à l’institution de la tarification à l’activité (T2A) dont la crise sanitaire actuelle a démontré les immenses bienfaits pour l’hôpital. Mais ce dispositif médico-social va bien plus loin que son homologue sanitaire : par la nomenclature des besoins, il va “calibrer” l’exercice du coeur de métier. Ce n’est donc pas simplement un codage de l’activité à des fins tarifaires, c’est en amont une modification des conceptions mêmes de l’activité telles que les professionnels se les représentent, car leur langage va être modifié ;
  • la standardisation des projets associatifs et des projets d’établissement ou de service, l’initiative des intéressés étant potentiellement relégable au niveau opérationnel quand, jusqu’ici, elle était de nature stratégique. Cette standardisation pourrait à terme conférer à la CNSA, aux ARS et aux CD le pouvoir de maîtriser l’évolution de ces projets ;
  • la confiscation du rôle des équipes pluridisciplinaires des ESSMS par la MDPH, les professionnels de terrain étant alors relégués à la fonction de simples exécutants, conformément à la logique actuelle de recentralisation de la “dirigeance” du secteur par les pouvoirs publics. Cette spoliation est grave : une fois la subordination technique des équipes pluridisciplinaires réalisée, pourquoi ne pas aller plus loin en agissant sur les options techniques, alors que des tentatives de cette nature ont déjà eu lieu au prétexte de considérations budgétaires ?
  • la semi-automatisation – sinon l’automatisation – des processus de planification, de contractualisation et de coopération. Puisqu’un peu de fantaisie ne nuit jamais, on pourrait, dans un instant d’anticipation au sens cinématographique du terme, imaginer dans le futur une gouvernance centralisée du secteur en temps réel par une intelligence artificielle ;
  • un renforcement de la légitimité des CPOM dont on connaît pourtant le manque intrinsèque, total et irrévocable de pertinence : pas de valeur contractuelle réelle obligeant la puissance publique, l’incapacité par hypothèse du tarificateur à s’engager sur une évolution pluriannuelle des ressources compte tenu du principe d’annualité budgétaire, une “vertu” de suppression pure et simple de l’accès au juge du tarif, une grande efficacité de la gestion de la pénurie par la maîtrise totale de la répartition des enveloppes limitatives ;
  • la préparation d’un changement de paradigme mû par l’idéologie du “tout inclusif”, où la possibilité de dialoguer sur les besoins en unités d’oeuvre rendra possible un mouvement de désinstitutionnalisation massif. L’institution – au sens foucaldien du terme – n’est bien sûr pas une finalité en soi mais ce dont il est question, c’est d’achever une dynamique de dérégulation qui achèvera de faire des bénéficiaires des consommateurs de services et ouvrira la voie aux acteurs économiques du secteur lucratif, notamment du secteur de l’assurance et de la prévoyance.

Ces observations doivent être tempérées par un constat, celui de la responsabilité des organismes gestionnaires et de leurs têtes de réseau, du fait de leur échec relatif à :

  • structurer en savoirs professionnels et méthodologiques l’analyse des besoins des personnes accueillies ou accompagnées. Plusieurs trains ont été manqués : ceux de la grille autonomie-gérontologie-groupes iso-ressources (AGGIR), de la classification internationale du fonctionnement (CIF), de l’évaluation interne et externe et du guide d’évaluation des besoins de compensations des personnes en situation de handicap (GEVA). Au résultat, l’évolution en cours – où la puissance publique est en train de prendre la main sur le coeur de métier – pourrait bien conduire des excès d’un hyper-empirisme local à ceux d’une hyper-rationalisation générale ;
  • jouer véritablement leur rôle de corps intermédiaire en refusant de céder à l’auto-normativité instillée par la puissance publique depuis le milieu des années 2000 (le fameux “There is no alternative” ou TINA, catéchisme du néolibéralisme politique), en défendant véritablement les intérêts des usagers et résidents et en créant- autant que de besoin – un rapport de force favorable sur les terrains politique et juridique. Sur ce point, il faut bien constater que même les acteurs de la mouvance parentale – à l’exception des militants de l’autisme – ont renoncé à leur vocation.

Cette critique adressée aux organismes gestionnaires et à leurs têtes de réseau pourrait paraître injuste en fonction de leurs décisions à venir. En effet, la généralisation des nomenclatures SERAFIN-PH, avec leur volet tarification, va conduire inexorablement à une situation dans laquelle les pouvoirs publics ne pourront faire mine d’ignorer la réalité des besoins de financement au nom de la solidarité nationale – à condition naturellement d’éviter le tour de passe-passe d’une enquête nationale des coûts (ENC), boîte noire de la gestion de la pénurie. A ce moment-là, il y aura bien une alternative : ou bien les pouvoirs publics feront le choix d’assumer – y compris budgétairement – une réponse sérieuse aux besoins de compensation objectivés grâce aux nomenclatures SERAFIN-PH, ou bien ils se trahiront publiquement en refusant de porter cet engagement fort. C’est à ce moment-là qu’il faudra, non seulement écouter le discours des têtes de réseau mais, au-delà de leur traditionnelle posture gratuite de vigilance, observer attentivement leurs actes. Ce sera là, sans doute, leur dernière opportunité de restaurer leur crédibilité.

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