SECRET PARTAGE : rappels sur le régime applicable aux ESSMS

Jan 21, 2021Droit des associations et des ESMS, RGPD

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Le décret n° 2016-994 du 20 juillet 2016 relatif aux conditions d’échange et de partage d’informations entre professionnels de santé et autres professionnels des champs social et médico-social et à l’accès aux informations de santé à caractère personnel a inséré, dans le Code de la santé publique (CSP), des dispositions qui organisent le partage des informations personnelles des usagers entre les professionnels des équipes pluridisciplinaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) mais aussi avec les partenaires professionnels extérieurs.

1. Présentation du régime juridique

Le dispositif, qui s’est inscrit dans le prolongement de l’article 96 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (“loi MSS”), fait reposer la logique de partage licite des informations personnelles concernant les personnes accueillies ou accompagnées sur deux critères qui tiennent à la finalité du partage et à l’appartenance professionnelle de celles et ceux qui y procèdent.

S’agissant d’abord de la finalité du partage, l’article R. 1110-1 du Code de la santé publique (CSP) dispose que les professionnels ne peuvent échanger ou partager des informations relatives à la personne prise en charge que dans la double limite :

– d’une part, des seules informations strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention, ou au suivi médico-social et social de ladite personne ;

– et, d’autre part, du périmètre de leurs missions.

S’agissant ensuite de l’appartenance professionnelle, l’article R. 1110-2 du CSP institue deux catégories distinctes de professionnels, la deuxième se subdivisant en sous-catégries :

1°) les professionnels de santé ;

2°) les non professionnels de santé :

– les assistants de service social ;

– les ostéopathes, chiropracteurs, psychologues et psychothérapeutes non professionnels de santé par ailleurs, aides médico-psychologiques (AMP) et accompagnants éducatifs et sociaux ;

– les assistants maternels et assistants familiaux ;

– les éducateurs et aides familiaux, personnels pédagogiques occasionnels des accueils collectifs de mineurs, permanents des lieux de vie ;

– les particuliers accueillant des personnes âgées ou handicapées ;

– les mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) et délégués aux prestations familiales (DPF) ;

– les non-professionnels de santé salariés des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), lieux de vie et d’accueil (LVA), établissements d’accueil de mineurs et accueillants familiaux, ou y exerçant à titre libéral en vertu d’une convention ;

– le personnel non professionnel de santé mettant en oeuvre la méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie (MAIA) ;

– le personnel non professionnel de santé membre de l’équipe médico-sociale du Conseil départemental chargée de l’instruction des demandes d’allocation personnalisée d’autonomie (APA), ou contribuant à cette instruction en vertu d’une convention.

Ce cadre étant posé, l’exercice du partage licite d’informations personnelles doit s’effectuer selon les règles instituées par l’article R. 1110-3 du CSP, selon les cas :

– tout professionnel relevant d’une catégorie qui souhaite échanger des informations avec un professionnel relevant de l’autre catégorie doit informer préalablement la personne concernée, en lui apportant obigatoirement deux séries de précisions : d’une part la nature des informations devant faire l’objet de l’échange, d’autre part l’identité du destinataire et de la catégorie dont il relève ou bien sa qualité au sein d’une structure précisément définie ;

– les professionnels de santé de l’équipe de soins ne peuvent partager, avec les professionnels sociaux et médico-sociaux, les informations relatives à une personne prise en charge qu’après avoir informé préalablement la personne concernée. Ils tiennent compte, pour la mise en œuvre de ce partage, des recommandations élaborées par la Haute Autorité de santé (HAS) avec le concours des Ordres professionnels, en particulier pour ce qui concerne les catégories d’informations qui leur sont accessibles ;

– lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, seule l’urgence ou l’impossibilité d’informer cette personne peut dispenser le professionnel ou la personne participant à sa prise en charge de l’obligation d’information préalable. La personne concernée est toutefois informée, dès que son état de santé le permet, de l’échange ou du partage des informations auquel il a été procédé. Il en est fait mention dans le dossier médical.

Enfin, le décret a complété diverses dispositions du CSP relatives à la gestion des informations médicales :

– l’accès au dossier médical post mortem a été élargi, par la modification des articles R. 1111-1 et R. 1111-7, au partenaire du pacte civil de solidarité (PACS) et au concubin ;

– le secret des informations médicales souhaité par le mineur a également été étendu, au visa de l’article R. 1111-6 : il peut porter non seulement sur un traitement mais aussi sur toute action de prévention, de dépistage de diagnostic. Ce secret s’impose non seulement au médecin mais aussi à la sage-femme et à l’infirmier.

2. Analyse

Ce nouveau dispositif appelle quelques observations.

A son crédit, il faut souligner qu’il procède à une régularisation juridique bienvenue car jusqu’alors, le partage d’informations dans le secteur social et médico-social était affecté d’une fragilité juridique, en l’absence de permission légale faisant exception à l’obligation de respecter le secret professionnel. Ainsi est mis un terme non seulement aux craintes des professionnels mais aussi aux débats byzantins relatifs notamment à la définition de ceux des professionnels qui auraient été plus dignes que d’autres d’être soumis au secret professionnel.

Par ailleurs, il faut saluer la reconnaissance du fait que tout professionnel d’un ESSMS – y compris lorsqu’il exerce une profession de service, de logistique ou d’administration – est concerné par le partage et la gestion des informations personnelles. Cela est particulièrement bienvenu à l’égard du directeur (pour les établissements) ou du chef de service (pour les services ambulatoires) dont il faut rappeler qu’il est le responsable technique de l’accueil ou de l’accompagnement – à la différence notable des directeurs d’établissement sanitaire – et qu’il préside, en tant que tel, la réunion de synthèse. Il ne devrait donc plus y avoir de débat ni d’opposition au sein des équipes sur ce point.

Mais en défaveur du dispositif, plusieurs critiques doivent également être émises.

La première, de nature symbolique, tient à ce que le régime juridique du partage d’informations dans l’action sociale et médico-sociale se trouve défini, non dans le Livre III du Code de l’action sociale et des familles (CASF) où se trouve sa place naturelle mais dans le CSP.

La deuxième critique tient à ce que la loi n’a pas organisé au profit des membres de l’équipe pluridisciplinaire des ESSMS – comme elle l’avait pourtant fait en faveur des professionnels de santé de l’équipe de soins dans les établissements sanitaires – de présomption autonome d’autorisation du partage d’informations. C’est là la grande faiblesse conceptuelle du dispositif puisque la notion même d’équipe pluridisciplinaire en est tout bonnement absente : la “loi MSS” ne fait que l’assimiler à l’équipe de soins pour la définition du régime du partage d’informations.

La troisième critique, au regard précisément de la notion d’équipe pluridisciplinaire dans l’unicité qui doit être la sienne pour être efficace, c’est que le nouveau régime règlementaire clive les équipes en instituant, comme critère, le fait d’être ou non professionnel de santé. Cette maladresse pourrait bien conduire, dans les pratiques et la culture institutionnelle, à un regain de tension entre le “pouvoir médical” et les travailleurs sociaux, ce qui n’est évidemment pas souhaitable dans l’intérêt des personnes accueillies ou accompagnées.

Enfin, la quatrième et dernière critique – qui est sans doute la plus importante parce qu’elle se situe sur le plan pratique – tient à ce que le mécanisme exigé d’information préalable devra nécessairement faire l’objet d’une traçabilité, ne serait-ce que pour justifier du respect du droit lors d’une inspection administrative, d’une évaluation ou d’un contentieux. Or la fluidité des accompagnements ne peut être que compromise par des interruptions incessantes liées à l’accomplissement des formalités d’information et ce, d’autant que les personnes accueillies ou accompagnées peuvent être portées à considérer que leur est soumise une demande de consentement, ce qui n’est pas le cas puisque les membres de l’équipe pluridisciplinaire bénéficient désormais de la même présomption d’autorisation que les membres de l’équipe de soins sanitaire. Les professionnels sont aussi confrontés à d’importantes difficultés dans certaines situations limites qui n’ont rien théorique (ex. : dans les ESSMS de la protection judiciaire de la jeunesse ou PJJ, de la protection de l’enfance, dans les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques ou ITEP, etc.). Et l’édiction de ce régime interdit désormais d’organiser le partage d’informations en interne par des clauses adéquates dans le règlement de fonctionnement ou le contrat de séjour car ces documents ne sauraient contrarier l’ordre public.

En définitive, cette règlementation du partage d’informations tend à se révéler comme une occasion ratée d’apporter la sécurité juridique nécessaire aux professionnels sans nuire à l’efficience de leur action, doublée d’un signal de sanitarisation qui pose véritablement question sur la connaissance effective que peut avoir la puissance publique de la réalité des interventions sociales et médico-sociales comme méthodologie interdiscipliaire, alors même que la pluridisciplinarité est expressément reconnue par la loi, notamment à l’article L. 312-1, II, alinéa 4 du CASF (pour plus de précisions sur la notion juridique d’équipe pluridisciplinaire : O. Poinsot, Le droit des personnes accueillies ou accompagnées, coll. Ouvrages généraux, LEH Edition 2016, n° 424-425).

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