EHPAD : un rapport de la Cour des comptes sur l’hébergement des personnes âgées pendant la crise sanitaire

Fév 24, 2022Droit des associations et des ESMS, Droit public, RGPD, Tarification

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À l’occasion de son rapport annuel 2022, la Cour des Comptes produit les résultats d’une étude sur l’hébergement des personnes âgées en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

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1. Présentation

1.1. Un diagnostic inquiétant

Cette étude débute par une évaluation des conséquences de la pandémie de CoViD-19 dans les EHPAD, notamment en terme de mortalité (34 000 décès de mars 2020 à mars 2021 selon les données de la DREES et de Santé Publique France) et d’impact psychologique sur les résidents (augmentation de l’anxiété, apparition ou accentuation des troubles du comportement, de la douleur, de la perte d’autonomie, déficit alimentaire notamment).

La Cour des Comptes souligne ensuite les atteintes qui ont été portées à la liberté d’aller et de venir, en se référant à l’avis du 1er avril 2020 du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) ainsi qu’au rapport du Défenseur des droits de mai 2021. Elle évoque par ailleurs des travaux entrepris conjointement par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) du ministère des solidarités et de la santé et la direction des affaires civile et du sceau (DACS) du ministère de la justice pour “redéfinir une doctrine sur le respect des droits fondamentaux des personnes accueillies dans des établissements et services médico-sociaux”.

Par ailleurs, s’appuyant sur des enquêtes qu’elle a conduites dans certains EHPAD, la Cour souligne les insuffisances rencontrées par les professionnels dans le domaine de la logistique des équipements de protection individuels (EPI), insuffisance qui ont conduit à la recherche de solutions « artisanales” de confection de masques, en dépit de la réactivité avérée de certaines agences régionales de santé (ARS).

Ces éléments sont complétés par une chronologie de la gestion de la crise pandémique :

  • 1ère vague :
  • 2ème et 3ème vagues :

A partir de des données, associées à celles relatives à la montée en charge rapide de la vaccination, la Cour des comptes recense les difficultés structurelles rencontrées par les EHPAD et révélées par la pandémie :

  • des ressources médicales insuffisantes face à l’évolution des profils des résidents :

Alors que l’âge et le niveau de pathologie des résidents augmentent régulièrement, la présence de médecins coordonnateurs est notablement insuffisante (32 % des EHPAD n’en avaient aucun en 2015 ; 25 % des EHPAD enquêtés par la Cour ont un temps de médecin coordonnateur inférieur au seuil règlementaire).

Par ailleurs, les interventions en EHPAD des médecins traitants ont diminué notablement.

  • de fortes tensions sur le personnel préjudiciables à la qualité des prises en charge :

La Cour caractérise la très forte tension qui pèsent sur les ressources humaines des EHPAD : un absentéisme observé de l’ordre de 20 %, des taux d’attrition très élevés allant jusqu’à 83 %, une insuffisance des taux d’encadrement, des difficultés de recrutement conduisant à un recours important aux “faisant fonction”).

  • des bâtiments parfois inadaptés :

La Cour souligne l’inadaptation voire la vétusté des locaux (15 % du parc a plus de 30 ans, 45 % des EHPAD seulement proposent des chambres individuelles, il n’y a pas de distribution de gaz médicaux sauf dans les établissements adossés à des établissements de santé).

1.2. Des recommandations d’amélioration structurelle

Sur la base de ces constats, la Cour des comptes identifie les pistes d’amélioration structurelle suivantes :

  • un effort financier à poursuivre pour rendre les métiers plus attractifs :

En dépit des mesures de soutien financier qui ont été prises pendant la crise pour garantir la stabilité des produits de la tarification et de celles de revalorisation des rémunération prévu par le Ségur de la santé, la Cour s’interroge sur l’attractivité réelle des métiers en EHPAD.

  • un effort financier important à réaliser en matière d’investissements pour le numérique et l’immobilier :

La Cour invite à une poursuite des efforts financiers réalisés pour le déploiement du plan « ESMS numérique ».

En matière immobilière, elle déplore l’absence d’un cadrage national suffisamment précis et invite Conseils départementaux et ARS À recenser les besoins, à condition qu’un modèle clair soit préalablement défini afin d’éviter une dispersion des moyens et une hétérogénéité des caractéristiques du foncier.

  • une meilleure insertion dans les réseaux de soins :

Tout en soulignant les améliorations réalisées en matière de coordination entre les EHPAD et les établissements hospitaliers, la Cour constate une hétérogénéité des organisations et propose qu’il soit pas lié notamment par le développement de modalités d’interventions sanitaires mobiles (équipes mobiles d’hygiène, centres d’appui pour la prévention des infections associées aux soins ou CPIAS).

  • un apport du numérique à amplifier :

La Cour constate que, par rapport aux établissements de santé, les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSSM) accuse un retard dans l’appropriation des moyens numériques (rapports avec les familles, téléconsultations, remontée d’informations), en dépit des initiatives qui ont pu être prises dans les EHPAD. En particulier, le recours aux téléconsultations est jugé insuffisant.

  • la nécessité d’entreprendre des réformes structurelles :

La Cour constate que les difficultés structurelles rencontrées par les EHPAD sont connues de longue date et que les nombreux rapports qui qui leur ont été consacrés convergent aussi bien en termes de diagnostic que de propositions d’amélioration :

  • des efforts importants sont à réaliser en matière de formation, d’évolution des carrières et de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, particulièrement élevés dans le secteur médico- social ;
  • il est nécessaire de renforcer l’inscription des EHPAD dans des dispositifs favorisant une organisation plus efficiente de la ressource médicale et, in fine, une meilleure continuité des prises en charge entre les secteurs médico-social et sanitaire :
    • partenariat approfondi avec les établissements de santé,
    • mutualisation de fonctions supports et de ressources médicales et sanitaires entre plusieurs établissements ou l’appartenance à un groupe d’établissements.
  • une redéfinition du modèle d’organisation des EHPAD s’impose :
    • en orientant les financements en priorité vers les établissements qui s’engagent à s’inscrire dans une démarche de mutualisation ;
    • en réformant le régime des autorisations, pour passer d’autorisations organiques (accordées par les ARS à des établissements) à des autorisations fonctionnelles (accordées pour des services adaptés au parcours du patient, qu’ils soient en EHPAD ou à domicile) ;
  • les ARS doivent définir de véritables stratégies territoriales, le contenu des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) étant “trop descriptif et essentiellement administratif” ;
  • il convient d’aller plus loin que ce que prévoit la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2022 car ces mesures ne constituent pas une réelle évolution du cadre global de fonctionnement des EHPAD. De ce point de vue, il faudrait notamment avancer sur le projet de fusion des dotations soins et dépendance.

En conclusion, la Cour des Comptes formule 3 recommandations :

  • consolider les relations de partenariat nouées pendant la crise entre ARS, EHPAD et établissements de santé, notamment en articulant mieux les plans bleus et les plans blancs, dans le cadre territorial (ministère de la santé et des solidarités) ;
  • favoriser l’insertion des EHPAD dans un réseau (adossement à un établissement de santé, insertion dans un groupe, participation à un groupement de coopération médico-social) dans le cadre de la négociation des CPOM (établissements, ARS, conseils départementaux) ;
  • accélérer la mise en place des réformes structurelles, en identifiant au préalable l’impact de l’utilisation des trois principaux leviers de réforme : autorisations, CPOM, tarifs (ministère de la santé et des solidarités).

2. Commentaire

Ce rapport de la Cour des comptes converge avec les éléments de diagnostic et les préconisations formulées de longue date à propos des EHPAD. De ce point de vue, il n’est pas surprenant qu’il est été évoqué à de nombreuses reprises au cours des auditions réalisées par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale (mission d’information Orpéa), aussi bien par les parlementaires que par les professionnels auditionnés et notamment les représentants de l’AD-PA et de la FNADEPA et ceux des médecins coordonnateurs. Nul doute que ces éléments seront également pris en compte par la commission d’enquête du Sénat consacrée au contrôle des EHPAD.

Trois considérations supplémentaire pourraient être prises en compte.

2.1. La mission médico-sociale des EHPAD ne se réduit pas aux soins et les EHPAD sont discriminés par rapport aux ESSMS-PH

Les EHPAD sont des établissements médico-sociaux qui relèvent du Livre III du Code de l’action sociale et des familles (CASF). À ce titre, leur mission relève de celles assignées par l’article L. 311-1 à l’action sociale et médico-sociale, missions que l’on peut résumer par la double nécessité de stimuler les potentialités et de limiter les restrictions d’habilités des personnes vulnérables dans tous les registres de leur existence. Il s’agit là d’un point important à souligner car on ne saurait cantonner l’activité des EHPAD dans une perspective seulement sanitaire. Si le soin a naturellement toute sa place, il ne faut pas perdre de vue que l’accompagnement des résidents dois d’abord leur profiter en termes de qualité d’hébergement et de stimulation de leur vie personnelle, familiale, culturelle et sociale ; la santé – au sens le plus strict du terme et non à celui de l’Organisation mondiale de la santé – n’est qu’une des dimensions de leur vie. À cet égard, force est de constater que l’activité des EHPAD est parfaitement analogue à celle de certaines catégories d’ESSMS pour personnes en situation de handicap (ESSMS-PH) et notamment des établissements d’accueil médicalisé (EAM). Or la disparité de financement entre ces deux catégories d’établissements est très importantes : alors que le coût à la place annuel moyen en EAM est de l’ordre de 75 000 euros (aide sociale + soins), celui en EHPAD est d’environ 36 000 euros (hébergement + soins + dépendance pour une personne classée en GIR 1). Cette comparaison – qui met bien en lumière l’importance de la question des moyens – est pertinente dans la mesure où elle porte sur des situations dans lesquelles handicap et perte d’autonomie produisent en réalité les mêmes effets, ce qui conduit d’ailleurs à interroger sur l’opportunité de revoir la séparation juridique existant entre personnes en situation de handicap et personnes âgées dépendantes. Les représentants des médecins coordonnateurs auditionnés par la mission d’information Orpéa de l’Assemblée nationale l’ont fait remarquer à juste titre.

2.2. Les EHPAD, comme en général les ESSMS, ne sont pas organisés pour la gestion de crise

Les EHPAD n’étaient pas prêts à gérer efficacement la crise pandémique en ce sens que, sauf cas particulier, ils ne disposaient pas d’un dispositif de gestion des risques (GDR) opérationnel. Pour mémoire, dans le secteur social et médico-social, cette question n’est jusqu’à ce jour que faiblement traitée et ce, pour deux raisons au moins :

  • en premier lieu, le cadre juridique est lacunaire :
    • relevant de l’article D. 312-160 du CASF et d’un arrêté du 7 juillet 2005, le “plan bleu” ne concerne que :
      • la désignation d’un référent, directeur ou médecin coordonnateur, responsable en situation de crise ;
      • la mise en place d’une convention avec un établissement de santé proche définissant les modalités de coopération, et notamment les modalités d’un échange sur les bonnes pratiques susceptibles de prévenir les hospitalisations ainsi que les règles de transferts en milieu hospitalier lorsqu’ils s’avèrent indispensables ;
      • les recommandations de bonnes pratiques préventives en cas de canicule à destination des personnels ;
      • un protocole sur les modalités d’organisation de l’établissement en cas de déclenchement du plan d’alerte et d’urgence départemental ;
      • la disposition d’une pièce ou d’un local rafraîchis en cas de canicule ;
    • les articles R. 732-15 à R. 732-18 du Code de la sécurité intérieure définissent le dispositif obligatoire de continuité de l’alimentation électrique (le document d’analyse des risques de défaillance électrique ou DARDE n’est défini que par une simple circulaire) ;
    • le “plan blanc”, défini aux articles L. 3131-7 et R. 3131-13 et R. 3131-14 du Code de la santé publique (CSP), qui correspond au déclenchement du plan ORSEC (dispositif ORSAN) et prévoit notamment l’activation d’une cellule de crise, ne concerne que les établissements de santé et non les ESSMS ;
  • en second lieu, les ESSMS – dont les EHPAD – ne disposent pas des moyens nécessaires à la conception et à l’entraînement (“drill”) d’une structure opérationnelle de gestion des risques. Et c’est logique dans la mesure où, en l’absence de cadre juridique adéquat, ils ne sont pas en mesure d’opposer aux autorités de tarification les charges (personnel, équipements, stocks) correspondantes.

Le retour d’expérience (RETEX) de la crise sanitaire amorcé par la Cour des comptes pourrait donc être accompagné d’une réflexion d’ensemble sur la mise en oeuvre d’une véritable GDR en EHPAD – et, plus généralement, en ESSMS – afin que la survenance d’une prochaine crise ne puisse pas prendre les professionnels de court. Il serait tout particulièrement important de prévoir et de doter des cellules de crise dont les objectifs seraient de :

  • garantir l’efficacité du processus de gestion de crise, notamment sur les plans médical et logistique ;
  • recevoir, diffuser et contrôler le respect des consignes données par le ministère de la santé et l’agence régionale de santé (ARS) ;
  • garantir la traçabilité des évènements, des consignes données et comptes-rendus effectués, des moyens mobilisés et comptes-rendus en cas de moyens insuffisants ou inadaptés ;
  • garantir le respect du droit des personnes ;
  • gérer la communication interne et externe sur la gestion de la crise ;
  • anticiper les risques de responsabilité.

Des méthodes de travail éprouvées, issues du milieu militaire comme la « méthode de raisonnement tactique » (MRT) héritière de la « méthode d’élaboration d’une décision opérationnelle » (MEDO), et combinées avec une organisation de type « état-major OTAN », sont – sous réserve de quelques adaptations aux activités sociales et médico-sociales – propres à sécuriser l’organisation et le fonctionnement de ces cellules de crise. Ces méthodes organisent l’exercice coordonné des fonctions indispensables à l’analyse de la situation, à la prise de décision et au pilotage des actions. Seules ces méthodes permettent :

  • une analyse pertinente de la situation de crise et de son évolution ;
  • une prise de décision efficace en temps réel et adaptative en fonction de l’évolution de la situation ;
  • une conduite de crise optimisée, tant en effets recherchés qu’en moyens engagés ;
  • une maîtrise des risques associés à la situation traitée ;
  • une complète traçabilité des consignes, décisions et actions ;
  • un RETEX exhaustif.

2.3. Il est nécessaire de préciser la fonction de directeur d’EHPAD

Compte tenu des contraintes budgétaires et de la domination de l’approche sanitarisante de l’activité des EHPAD, la fonction de directeur d’EHPAD est actuellement assez analogue à celle de directeur d’hôpital ou de clinique, c’est-à-dire qu’elle paraît majoritairement orientée vers des activités de gestion, de coordination et de communication. Or, de longue date, cette fonction a également, dans d’autres champs du secteur social et médico-social (protection de l’enfance, handicap, exclusion sociale), une dimension technique : le directeur est l’animateur de l’équipe pluridisciplinaire ; il préside la réunion de synthèse et, toutes les fois où cela s’avère nécessaire, arbitres les divergences de vue entre professionnels des différents corps de métier. A ce titre, il dispose d’une autorité technique et exerce si nécessaire une influence déterminante sur la définition des objectifs et modalités personnalisées de prise en charge. Il serait opportun que cette fonction soit expressément conférées aux directeurs d’EHPAD et qu’ils soient formés à cette fin. Sans que soit mise en cause l’autorité technique des médecins coordonnateurs – compétent dans le domaine du soin qui ne constitue qu’une part du projet d’établissement – le directeur deviendrait alors le chef d’orchestre des accompagnements et serait alors concrètement en mesure de répondre de la qualité des accompagnements des personnes âgées – et donc du respect de leurs droits.

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