Au JO du 22 mars 2022 ont été publiées la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte ainsi que la la loi organique n° 2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte.
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1. Présentation du dispositif
Les développements suivants concernent les principales dispositions du nouveau dispositif législatif.
La première de ces lois vient compléter considérablement le Chapitre 2 du Livre 1er de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Ce chapitre était déjà spécialement consacré à la protection des lanceurs d’alerte ; ilm reste, après intégration des compléments présentés ici, le fondement juridique de référence.
1.1. Définition du lanceur d’alerte
La définition du lanceur d’alerte est d’abord donnée selon une liste de qualités possibles de cette personne :
- membres du personnel ;
- personnes dont la relation de travail s’est terminée, lorsque les informations ont été obtenues dans le cadre de cette relation ;
- candidats à un emploi au sein de l’entité concernée, lorsque les informations ont été obtenues dans le cadre de leur candidature ;
- actionnaires ;
- associés;
- titulaires de droits de vote au sein de l’assemblée générale ;
- membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance ;
- collaborateurs extérieurs et occasionnels ;
- cocontractants de l’entité concernée, leurs sous-traitants ou, lorsqu’il s’agit de personnes morales, membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de ces cocontractants et sous-traitants ainsi qu’aux membres de leur personnel.
La protection du lanceur d’alerte est aussi modifiée du fait de restrictions de périmètre :
- précédemment, la seule limite au lancement d’alerte concernait les domaines de la défense nationale et de l’activité des avocats. Désormais, sont exclues de toute possibilité de lancement d’alerte conférant une protection les informations couvertes par :
- le secret de la défense nationale,
- le secret médical,
- le secret des délibérations judiciaires,
- le secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaires,
- le secret professionnel de l’avocat.
- la protection du lanceur d’alerte ne joue pas lorsque ce dernier pouvait actionner un “dispositif spécifique de signalement de violations et de protection de l’auteur du signalement prévu par la loi ou le règlement ou par un acte de l’Union européenne”.
1.2. Institution d’une procédure de traitement interne des lancements d’alerte
La loi crée une obligation à la charge des employeurs en matière de prise en compte des lancements d’alerte. En effet, une procédure de signalement interne destinée aux lanceurs d’alerte doit être instituée au sein :
- des personnes morales de droit public employant au moins 50 agents, à l’exclusion :
- des Communes de moins de 10 000 habitants,
- des établissements publics qui leur sont rattachés,
- des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui ne comprennent parmi leurs membres aucune Commune excédant ce seuil de population ;
- des administrations de l’Etat ;
- des personnes morales de droit privé et entreprises exploitées en leur nom propre par une ou plusieurs personnes physiques, employant au moins 50 salariés.
Un décret définira les garanties d’indépendance et d’impartialité de cette procédure ainsi que les délais du retour d’informations fait à l’auteur.
Les employeurs de droit privé ont l’obligation de mentionner la procédure interne de lancement d’alerte, lorsqu’elle existe, dans le règlement intérieur de l’entreprise.
Au sein des entités dans lesquelles il n’existe pas de procédure interne de recueil et de traitement des signalements, les personnes appartenant à la liste ci-dessus peuvent signaler les informations concernées à leur supérieur hiérarchique direct ou indirect, à l’employeur ou à un référent désigné par celui-ci.
1.3. Recours à un signalement externe
Le lanceur d’alerte peut considérer que le recours à la procédure de signalement interne l’exposerait à des représailles. La notion de représailles est précisée par l’article 5, 11° de la directive (UE) 2019/1937 dub Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union. Il s’agit de “tout acte ou omission direct ou indirect qui intervient dans un contexte professionnel, est suscité par un signalement interne ou externe ou une divulgation publique, et qui cause ou peut causer un préjudice injustifié à l’auteur de signalement”. En cas de risque de représailles, le lanceur d’alerte peut procéder à un signalement externe auprès :
- des autorités administratives, autorités publiques indépendantes, autorités administratives indépendantes, les Ordres professionnels et personnes morales chargées d’une mission de service public ayant reçu compétence pour ce faire (un décret en précisera la liste en fonction de leurs domaines de compétence) ;
- du Défenseur des droits, qui l’oriente vers la ou les autorités les mieux à même d’en connaître ;
- de l’autorité judiciaire.
1.4. Recours à un signalement public
Le lanceur d’alerte peut procéder à un signalement public dans l’un des cas suivants :
- lorsqu’il a préalablement effectué un signalement externe qui ne s’est suivi d’aucune mesure appropriée, à l’expiration d’un délai qui sera fixé par décret ;
- en cas de danger grave et imminent ;
- lorsque la saisine de l’une des autorités compétentes mentionnées ci-dessus ferait encourir à son auteur un risque de représailles ou qu’elle ne permettrait pas de remédier efficacement à l’objet de la divulgation, en raison des circonstances particulières de l’affaire, notamment si des preuves peuvent être dissimulées ou détruites ou si l’auteur du signalement a des motifs sérieux de penser que l’autorité peut être en conflit d’intérêts, en collusion avec l’auteur des faits ou impliquée dans ces faits ;
- en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible.
1.5. Renforcement de la protection de l’anonymat du lanceur d’alerte
Désormais, les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués qu’avec le consentement de celui-ci.
Ils peuvent toutefois être communiqués à l’autorité judiciaire, dans le cas où les personnes chargées du recueil ou du traitement des signalements sont tenues de dénoncer les faits à celle-ci. Le lanceur d’alerte en est alors informé, à moins que cette information ne risque de compromettre la procédure judiciaire. Des explications écrites sont jointes à cette information.
1.6. Traitement des données relatives à l’alerte
Les signalements ne peuvent être conservés que le temps strictement nécessaire et proportionné à leur traitement et à la protection de leurs auteurs, des personnes qu’ils visent et des tiers qu’ils mentionnent, en tenant compte des délais d’éventuelles enquêtes complémentaires.
Des données relatives aux signalements peuvent toutefois être conservées au-delà de cette durée, à la condition que les personnes physiques concernées n’y soient ni identifiées, ni identifiables.
Lorsqu’elles font l’objet d’un traitement, les données à caractère personnel relatives à des signalements doivent être conservées dans le respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD).
1.7. Protection juridique du lanceur d’alerte
Le lanceur d’alerte bénéficie d’une protection juridique sous forme d’irresponsabilité civile et pénale :
- au plan civil d’abord, le lanceur d’alerte n’est pas civilement responsables des dommages causés du fait de son signalement ou de la divulgation publique, dès lors qu’il avait des motifs raisonnables de croire, lorsqu’il y a procédé, que le signalement ou la divulgation publique de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause ;
- au plan pénal ensuite, le lanceur d’alerte bénéficie d’une exonération de sa responsabilité pénale au sens de l’article 122-9 du Code pénal si :
- la divulgation était nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause,
- elle est intervenue dans le respect des procédures de signalement définies par la loi,
- la personne répond aux critères légaux de définition du lanceur d’alerte ;
- cette irresponsabilité pénale joue notamment au profit du lanceur d’alerte qui a soustrait, détourné ou recelé les documents ou tout autre support contenant les informations dont il a eu connaissance de manière licite et qu’il signale ou divulgue dans les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article. S’il avait un complice, ce dernier est exempt de toute responsabilité ;
Par ailleurs, une protection est organisée par l’interdiction :
- à l’égard des salariés, agents publics et militaires :
- pour ce qui concerne seulement les salariés :
- écartement d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise ;
- sanction disciplinaire ;
- licenciement ;
- mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de :
- rémunération,
- intéressement ou distribution d’actions,
- formation,
- reclassement,
- affectation,
- qualification,
- classification,
- promotion professionnelle,
- horaires de travail,
- évaluation de la performance,
- mutation,
- renouvellement de contrat ;
- pour ce qui concerne seulement les agents publics, toute mesure concernant :
- le recrutement,
- la titularisation,
- la radiation des cadres,
- la rémunération,
- la formation,
- l’appréciation de la valeur professionnelle,
- la discipline,
- le reclassement,
- la promotion,
- l’affectation,
- les horaires de travail,
- la mutation ;
- pour ce qui concerne seulement les militaires :
- le recrutement,
- la formation,
- la titularisation,
- la notation,
- la discipline,
- la promotion,
- l’affectation,
- la mutation,
- la rémunération,
- la reconversion,
- la radiation des cadres ou des contrôles ;
- pour ce qui concerne à la fois les salariés, les agents publics et les militaires :
- tout préjudice, y compris les atteintes à la réputation de la personne, en particulier sur un service de communication au public en ligne, ou pertes financières, y compris la perte d’activité et la perte de revenu ;
- toute résiliation anticipée ou annulation d’un contrat pour des biens ou des services ;
- toute annulation d’une licence ou d’un permis ;
- toute orientation abusive vers un traitement psychiatrique ou médical ;
- pour ce qui concerne seulement les salariés :
- à l’égard des autres catégories de personnes pouvant être lanceur d’alerte au sens de la loi, sont interdites les mesures de :
- suspension ;
- mise à pied ;
- licenciement ;
- ou mesures équivalentes ;
- rétrogradation ;
- refus de promotion ;
- transfert de fonctions ;
- changement de lieu de travail ;
- réduction de salaire ;
- modification des horaires de travail ;
- suspension de la formation ;
- évaluation de performance ou attestation de travail négative ;
- mesures disciplinaires imposées ou administrées, réprimande ou autre sanction, y compris une sanction financière ;
- coercition ;
- intimidation ;
- harcèlement ;
- ostracisme ;
- discrimination, traitement désavantageux ou injuste ;
- non-conversion d’un contrat de travail à durée déterminée ou d’un contrat temporaire en un contrat permanent, lorsque le travailleur pouvait légitimement espérer se voir offrir un emploi permanent ;
- non-renouvellement ou résiliation anticipée d’un contrat de travail à durée déterminée ou d’un contrat temporaire ;
- préjudice, y compris les atteintes à la réputation de la personne, en particulier sur un service de communication au public en ligne, ou pertes financières, y compris la perte d’activité et la perte de revenu ;
- mise sur liste noire sur la base d’un accord formel ou informel à l’échelle sectorielle ou de la branche d’activité, pouvant impliquer que la personne ne trouvera pas d’emploi à l’avenir dans le secteur ou la branche d’activité ;
- résiliation anticipée ou annulation d’un contrat pour des biens ou des services ;
- annulation d’une licence ou d’un permis ;
- orientation abusive vers un traitement psychiatrique ou médical.
1.8. Protection judiciaire du lanceur d’alerte
Le lanceur d’alerte se voit octroyer diverses garanties judiciaires en cas de recours contre une mesure de représailles, dès lors qu’il présente des éléments de fait qui permettent de supposer qu’il a signalé ou divulgué des informations entrant dans le cadre légal du lancement d’alerte :
- il incombe au défendeur de prouver que sa décision était dûment justifiée. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ;
- le lanceur d’alerte peut demander au juge de lui allouer, à la charge de l’autre partie, une provision pour frais de l’instance en fonction de la situation économique respective des parties et du coût prévisible de la procédure ou, lorsque sa situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement ou de la divulgation publique, une provision visant à couvrir ses subsides. Le juge statue à bref délai. Il peut décider, à tout moment de la procédure, que cette provision est définitivement acquise ;
- au cours d’une instance civile ou pénale, lorsque le défendeur ou le prévenu présente des éléments de fait qui permettent de supposer que la procédure engagée contre lui vise à entraver son signalement ou sa divulgation publique, il peut demander au juge de lui allouer, à la charge du demandeur ou de la partie civile, une provision pour frais de l’instance en fonction de la situation économique respective des parties et du coût prévisible de la procédure ou, lorsque sa situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement ou de la divulgation publique, une provision visant à couvrir ses subsides. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Il statue à bref délai et peut décider, à tout moment de la procédure, que cette provision est définitivement acquise.
1.9. Protection psychologique et financière du lanceur d’alerte
Les autorités précitées qui peuvent être destinataires d’un signalement externe peuvent, le cas échéant en commun :
- assurer la mise en place de mesures de soutien psychologique à destination des lanceurs d’alerte ;
- leur accorder un secours financier temporaire si elles estiment que leur situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement.
1.10. Dispositions applicables spécifiquement au secteur social et médico-social en matière de signalement des actes de maltraitance
L’article L. 313-24 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) est complété s’agissant de la définition des actes de représailles desquels le professionnel auteur du signalement est protégé. Jusqu’ici, il s’agissait de “mesures défavorables le concernant en matière d’embauche, de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire”. La loi nouvelle renforce cette définition – qui demeure dans le texte – par l’énoncé de diverses mesures de rétorsion concernées :
- écartement d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle ;
- sanction disciplinaire ;
- licenciement ;
- mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière :
- de rémunération,
- de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions,
- de formation,
- de reclassement,
- d’affectation,
- de qualification,
- de classification,
- de promotion professionnelle,
- de mutation,
- de renouvellement de contrat.
Par ailleurs, pour ce qui concerne les salariés, en cas de rupture du contrat de travail consécutive au signalement, ils peuvent saisir le Conseil des prud’hommes en référé.
Enfin, le fait de faire obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d’un signalement devient un délit pénal puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
1.12. Nouvelles attributions du Défenseur des droits en matière de reconnaissance de la qualité de lanceur d’alerte
La nouvelle loi organique, qui précise les modalités sous lesquelles le Défenseur des droits traite lui-même ou bien réoriente les alertes, prévoit que ce dernier peut être saisi par toute personne pour rendre un avis a priori ou a posteriori sur sa qualité de lanceur d’alerte au regard des conditions légales. Ses avis sont rendus dans un délai de six mois à compter de la réception de la demande.
2. Commentaire
Ce nouveau dispositif législatif, intervenu pour transporter la directive européenne “lanceur d’alerte”, appelle quelques remarques :
- si la définition juridique du lanceur d’alerte est précisée, elles contient certaines restrictions qui, s’agissant du secteur social et médico-social, ne sont pas neutre puisque ne peuvent faire l’objet d’une alerte les informations couvertes par le secret médical. Toutefois, il est permis de penser que le lanceur d’alerte puisse être admis à produire de telles informations avec l’accord préalable du patient concerné ;
- l’obligation pour certaines entreprises et personnes publiques d’instituer une procédure interne de recueil des alertes conduit à penser que son fonctionnement effectif pourra faire l’objet de contrôles internes comme externes, y compris le cas échéant à l’occasion d’opérations de contrôle ou d’inspection par les autorités administratives chargées du contrôle des ESSMS ;
- la définition juridique de la maltraitance donnée le mois dernier par le nouvel article L. 119-1 du CASF doit être prise en compte pour établir le périmètre de protection des salariés et agents publics protégés consécutivement à la réalisation d’un signalement ;
- le texte renforce l’obligation de signalement direct, au Parquet, des crimes et délits par les fonctionnaires mais aussi les agents publics ;
- le plus important réside sans aucun doute dans le fait qu’en matière de maltraitance, un professionnel travaillant en ESSMS ne pourra prétendre être un lanceur d’alerte – et ne bénéficiera donc pas de la protection légale afférente – s’il ne justifie pas avoir préalablement réalisé un signalement aux autorités judiciaires et administratives compétentes. Dès lors, le recours à une alerte ne peut être envisagé que pour dénoncer des situations d’inorganisation ou de dysfonctionnements susceptibles de causer des cas individuels de maltraitance. En d’autres termes, l’alerte sera licite dans des contextes de maltraitance institutionnelle ou systémique mais pas à l’égard des actes de maltraitance eux-mêmes, ces derniers devant faire l’objet d’un signalement par des procédures autonomes (signalement Parquet et déclaration d’évènement indésirable grave lié ou non à une activité de soins – EIG et EIGS – pour les atteintes à l’intégrité des usagers, déclaration d’EIG ou EIGS seule dans les autres cas).