HANDICAP : le paiement des frais de séjour des personnes handicapées françaises en ESSMS belge n’est pas compromis en cas de refus de l’établissement de signer une convention avec l’ARS

Avr 11, 2022Droit des associations et des ESMS, Droit public, Tarification

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Par une ordonnance du 11 mars 2022, le juge des référés du Conseil d’Etat a constaté que le financement, par l’assurance maladie, des frais de séjour des personnes handicapées françaises actuellement accueillies en Belgique n’est pas interrompu lorsque les établissements belges refusent de signer la convention proposée par l’agence régionale de santé (ARS) pour mettre en oeuvre le moratoire décidé par le gouvernement français.

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1. Les faits

Le directeur général de l’ARS des Hauts-de-France adresse à une Association wallonne qui gère des établissements et services sociaux (ESSMS) accueillant des ressortissants français en situation de handicap deux conventions :

  • l’une fixe la capacité maximale d’accueil de ressortissants français atteints de handicap ;
  • l’autre prescrit les garanties exigées de l’établissement en termes de qualité de prise en charge et d’accompagnement des personnes.

Le courrier de proposition de ces conventions précise que, faute de signature, le Centre national de financement des soins à l’étranger (CNFSE) cesserait de financer les forfaits des personnes accueillies, qui seraient alors susceptibles d’être réorientées vers d’autres établissements.

Cette démarche de l’Administration s’inscrit dans un contexte pour le moins particulier puisque l’ARS a adressé des consignes plus ou moins formelles aux Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) pour qu’aucune orientation ne soit plus délivrée vers un ESSMS belge. Par ailleurs, des ESSMS belges ont reçu la visite de fonctionnaires de MDPH accompagnés de représentants d’organismes gestionnaires français pour sélectionner les résidents français devant être rapatriés en France.

Dans un tel contexte, l’Association n’accepte pas la menace de suspension du financement des frais de séjour et entend la contester juridiquement.

2. La procédure

L’Association saisit le Conseil d’Etat français d’une action en référé-liberté en vue d’obtenir que :

  • soit suspendue l’exécution du moratoire sur la capacité d’accueil des adultes handicapés français en Belgique annoncé par la Secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées le 21 janvier 2021 ;
  • l’Etat français soit enjoint à :
    • cesser toute menace ou pression visant à contraindre les établissements belges à la conclusion de conventions ;
    • ne pas fixer de quota au sein des établissements belges ;
    • ne pas diffuser de directives contraires au Code de l’action sociale et des familles (CASF) et au droit de l’Union européenne (UE) au sein des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), visant à restreindre les départs en Belgique ;
    • cesser toute menace ou pression visant à contraindre les personnes handicapées françaises accueillies dans les établissements belges, leurs tuteurs et représentants légaux et les Commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) à choisir le retour en France, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée.

A cette fin, elle invoque les arguments suivants :

  • il y a urgence à statuer parce que :
    • cet organisme gestionnaire fonctionne exclusivement avec des fonds publics. Les résidents français occupent l’ensemble des places disponibles ;
    • la suspension du financement de la prise en charge de ses usagers met en péril son activité ;
    • l’établissement concerné va en tout état de cause se vider au fur et à mesure des décès et des départs des résidents, alors même que la construction d’un bâtiment destiné à accueillir 29 résidents français supplémentaires est en cours d’achèvement ;
    • la décision contestée implique un rapatriement des résidents français présents en Belgique au-delà du quota imposé, entraînant pour ces personnes un risque immédiat de rupture de la continuité des soins et une altération grave des conditions de santé ;
  • l’initiative de l’ARS constitue une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales :
    • le moratoire méconnaît le règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et l’article R. 160-2 du code de la sécurité sociale en ce que, d’une part, il suspend la prise en charge par l’assurance maladie française des soins reçus par les ressortissants français accueillis au sein des établissements belges en raison d’un manque de place en établissements adaptés en France et, d’autre part, ce règlement européen s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale, y compris les prestations de soins aux personnes handicapées ;
    • le moratoire subordonne illégalement le placement en établissement en Belgique à trois refus préalablement opposés par des ESSMS français ;
    • l’obligation de conclusion de conventions par les ESSMS belges est illégale puisqu’aucun texte ne la prévoit ;
    • cette même obligation viole la liberté contractuelle des ESSMS belges, garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), parce qu’elle impose la conclusion de conventions sans pouvoir en négocier les termes, sous peine de se voir privé de financement ;au-delà, cette obligation viole le droit de l’Union européenne car elle porte atteinte :
      • à la liberté d’aller et venir et à la libre circulation des personnes dès lors qu’elle fixe des quotas de ressortissants français pouvant être accueillis dans les ESSMS belges, en l’absence de base légale ;
      • à la libre prestation de services dès lors que, d’une part, elle subordonne le remboursement des soins à la conclusion de conventions et, d’autre part, l’Etat français contraint les usagers français à se rendre dans des établissements conventionnés et agréés avant le 28 février 2021 et interdit le remboursement aux usagers partis dans des ESSMS belges non conventionnés et agréés après le 28 février 2021 ;
    • l’obligation de conventionnement posée par l’ARS méconnaît le principe d’égalité de traitement, l’interdiction de discrimination et le droit à la compensation du handicap. En effet, elle conduit, d’une part, à cristalliser le nombre de places qui seront financées dans les ESSMS belges par les autorités françaises et, d’autre part, à une inégalité de traitement entre les adultes handicapés accueillis avant le 28 février 2021, dont les soins sont remboursés, et ceux qui souhaiteront à l’avenir intégrer un ESSMS belge et dont les soins ne seront pas pris en charge par la sécurité sociale française.

En défense, le ministère des solidarités et de la santé soutient que l’urgence, condition de recevabilité du référé-liberté, n’est pas satisfaite et que les moyens soulevés par l’ASBL (association sans but lucratif, dénomination des Associations en droit belge) ne sont pas fondés.

3. La solution

Le juge des référés du conseil d’Etat admet d’abord la recevabilité de la requête.

Puis, il constate – au vu du mémoire produit et des observations orales présentées par l’Administration – que le refus, par l’ASBL, de signer les deux projets de convention n’entraînerait aucune interruption du financement par l’assurance maladie de la prise en charge et de l’accompagnement des personnes handicapées hébergées aujourd’hui dans l’ESSMS en cause.

Au-delà, il indique que l’Etat français ne dispose en rien du pouvoir de retirer unilatéralement de l’ESSMS considéré les personnes accueillies. Tout départ d’un résident ne peut résulter que :

  • d’une part, de l’existence d’une place disponible ;
  • d’autre part, de la volonté de l’intéressé ;

le tout, dans le respect du régime juridique français applicable aux notifications d’orientation.

Dans la mesure où la menace de suspension du paiement des frais de séjour n’a donc aucune justification juridique, le juge considère qu’elle ne crée aucune situation d’urgence justifiant que les injonctions demandées par la requérante soient ordonnées. Il rejette donc les demandes de l’ASBL.

4. L’intérêt de la solution

Cette décision, rendue sur la requête rédigée par le cabinet Accens Avocats Conseils dans l’intérêt de l’ASBL concernée, retient l’attention parce qu’elle censure, sans aucune ambiguïté, l’action administrative de l’ARS des Hauts-de-France déployée au prétexte du moratoire – dépourvu de tout fondement juridique – décidé par l’Etat français. En particulier, la Haute juridiction discrédite les manoeuvres de l’agence visant à impressionner les ESSMS wallons pour les contraindre à se plier à sa volonté. Le chantage à la suspension du paiement des frais de séjour des résidents français actuellement accueillis n’est donc pas acceptable.

Par ailleurs, il est intéressant de relever que le juge ne remet pas en cause l’idée que le moratoire soit un acte administratif susceptible de recours. Il admet donc que ce moratoire constitue un objet saisissable par le contentieux administratif. Cela augure de la possibilité, pour les organismes gestionnaires, belges, d’aller plus avant dans la défense juridique de leurs intérêts devant les juridictions administratives françaises.

Ceci étant, elle protège :

  • les ESSMS belges, en leur indiquant qu’ils n’ont nulle obligation de signer une convention avec l’ARS pour poursuivre l’accompagnement des des résidents français actuellement présents ;
  • les résidents français actuellement pris en charge en Wallonie, en soulignant qu’aucun changement d’établissement ne peut leur être imposé contre leur volonté.

Enfin, le juge des référés étant le juge de l’évidence, il n’est pas surprenant qu’il se soit refusé- au prétexte d’une absence d’urgence – à statuer sur les illégalités entachant le moratoire au regard notamment du droit communautaire. Pour autant, ces arguments sont appelés à être soumis bientôt au Conseil d’Etat – et à d’autres instances – par d’autres voies procédurales.

Cette ordonnance aura eu la vertu cardinale de faire condamner une pratique administrative moralement inadmissible et juridiquement abusive. Au-delà, elle résonne comme un avertissement à l’intention des Conseils départementaux, au cas où certains d’entre eux seraient tentés de se livrer à un chantage au paiement des prix de journée.

CE, Réf., 11 mars 2022, ASBL Etoile Filante c/ Ministre des solidarités et de la santé, n° 461752

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