ESSMS PH et PA : la procédure d’attribution du PAI 2020 est illégale

Déc 23, 2020Droit des associations et des ESMS, Droit public, Tarification

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Au JO du 15 décembre 2020 a été publié l’arrêté du 10 décembre 2020 fixant pour 2020 le montant, les conditions d’utilisation et d’affectation des crédits destinés au financement d’opérations d’investissement immobilier prévus à l’article L. 14-10-9 du Code de l’action sociale et des familles (CASF). Sont concernées les opérations d’investissement qui seront financées de 2021 à 2024.

La publication de cet arrêté invite à une présentation du dispositif du PAI avant qu’en soit proposée une analyse critique.

I. – PRESENTATION DU DISPOSITIF

1. Objectifs de la politique publique

Cet arrêté énonce les objectifs de politique publique poursuivis par le dispositif des PAI, en vue de sa mise en oeuvre effective de 2021 à 2024 :

  • la mise en œuvre des objectifs quantitatifs et qualitatifs des plans nationaux relatifs au développement de l’offre d’ESSMS à destination des personnes âgées en perte d’autonomie et des personnes en situation de handicap ;
  • la modernisation des structures inadaptées, en lien avec une optimisation de l’impact financier pour les usagers et l’assurance maladie ;
  • le soutien des opérations de transformation de l’offre de manière globale (transformation de capacités médico-sociales ou de capacités sanitaires en structures médico-sociales).

2. Financement

En 2020, le montant national des crédits du PAI s’élève à 110 millions d’euros. Les ARS recevront les délégations de crédits correspondantes selon le calendrier suivant :

  • 5 % en 2021 ;
  • 15 % en 2022 ;
  • 30 % en 2023 ;
  • 50 % en 2024.

Des instructions techniques de la CNSA définissent les enveloppes d’autorisations d’engagement régionales.

3. Définition des ESSMS éligibles

L’arrêté précise les conditions sous lesquelles le bénéfice d’un plan d’aide à l’investissement (PAI) peut être accordé aux établissements et services sociaux et médico-sociaux pour personnes handicapées (ESSMS-PH) et aux personnes âgées (ESSMS-PA) qui relèvent de la compétence de financement de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Pour mémoire, en application de l’article L. 314-3-1 du CASF, ces établissements et services sont :

  • les établissements et services pour enfants, adolescents et adultes en situation de handicap ;
  • les établissements et services pour personnes handicapées ou âgées dépendantes, notamment les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les petites unités de vie (PUV) ;
  • les ESSMS exerçant leur activité en Suisse ou dans un Etat membre de l’Union européenne (UE) ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) qui servent des prestations à des enfants, adolescents et adultes handicapés français, dans le cadre des conventions passées avec l’assurance maladie française.

4. Critères d’éligibilité au bénéfice d’un PAI

L’objet des opérations d’investissement immobilier finançables est précisément défini par l’arrêté :

  • mise aux normes de sécurité et d’accessibilité ;
  • modernisation, développement ou transformation des ESSMS quel que soit leur type d’accueil (permanent ou séquentiel) ;
  • adaptation à l’évolution des besoins des personnes accueillies par l’élévation du niveau de qualité architecturale. L’objectif est ici de procurer un confort d’usage des espaces de vie pour les résidents ainsi que des équipements apportant des réponses à l’objectif de préservation de l’autonomie des personnes accueillies.

Dès lors, sont éligibles à un PAI :

  • les travaux concernant des locaux existants, que ces travaux soient menés par restructuration ou par reconstruction de locaux neufs pour les seules capacités autorisées (et habilitées à l’aide sociale sur le secteur des personnes âgées) ;
  • les travaux concernant la création de places nouvelles ou l’extension de capacité autorisées (et habilitées à l’aide sociale pour le secteur des personnes âgées) ;
  • les études de faisabilité préalables qui seraient nécessaires à la conception des opérations d’investissement, notamment lors d’opérations complexes de restructuration qui s’inscrivent dans une démarche qualité ;
  • les travaux de mises aux normes techniques, de sécurité et d’accessibilité ;
  • les travaux de restructuration et de mise aux normes visant à faciliter une organisation architecturale aidant à la gestion de crise ;
  • les opérations d’investissement reposant sur une vente en l’état de futur achèvement ou en contrat de promotion immobilière.

En revanche, ne peuvent être couverts par un PAI :

  • les coûts d’acquisition foncière et immobilière ;
  • les travaux d’entretien courant incombant au propriétaire ou au gestionnaire ;
  • les mises aux normes techniques et de sécurité ne résultant pas de prescriptions légales ou ne s’intégrant pas dans un projet global d’amélioration de la qualité de vie des personnes accompagnées ;
  • les équipements matériels et mobiliers ;
  • les opérations en cours de réalisation et celles pour lesquelles un ordre de service des travaux a été émis avant la décision attributive de subvention. Une dérogation peut toutefois être accordée par le directeur général de l’agence régionale de santé (DGARS), pour les opérations de mise aux normes techniques et de sécurité, et de modernisation des locaux existants, en considération de motifs tenant : 1°) à la continuité de la mission de l’établissement ou 2°) aux contraintes techniques particulières de réalisation de l’opération. En toutes hypothèses, les études de faisabilité préalables ne constituent pas un début de réalisation des opérations consécutives à ces études ;
  • les opérations présentant un coût total des travaux, toutes dépenses confondues, inférieur à 400 000 euros. Toutefois, par exception, le seuil de 400 000 euros est abaissé à 40 000 euros, toutes dépenses confondues, lorsque les opérations se rapportent 1°) à la mise aux normes de sécurité et d’accessibilité relevant de prescriptions légales, 2°) à la création de pôles d’activités et de soins adaptés (PASA), d’accueils de jour, d’hébergements temporaires, ainsi que pour les études de faisabilité et les opérations concernant des établissements et services d’aide par le travail (ESAT), des services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD) ou des services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) ;
  • dans le secteur des personnes âgées, les opérations réalisées dans des ESSMS dont les capacités ne sont pas habilitées à l’aide sociale, à l’exception toutefois des accueils de jour et des PASA.

5. Expression des demandes

L’ESSMS candidat au bénéfice d’un PAI dépose un dossier de demande auprès des services de l’ARS de son lieu d’implantation.

Le DGARS devant notifier les décisions d’attribution avant le 15 décembre 2020, la date limite de dépôt – non définie par l’arrêté – était donc antérieure.

Ce dossier comprend la liste des pièces exigées, telle que définie par des instructions techniques de la CNSA.

6. Instruction des demandes

6.1. Identification du maître d’ouvrage

Le service instructeur identifie le maître d’ouvrage, lequel peut être :

  • soit l’organisme gestionnaire ;
  • soit le propriétaire dont l’organisme gestionnaire est locataire. Dans ce cas, le service instructeur s’assure que le maître d’ouvrage s’est expressément engagé, dans le cadre du bail le liant à l’organisme gestionnaire preneur, de répercuter le montant de l’aide à l’investissement en atténuation des redevances et loyers payés par les résidents.

6.2. Vérification de l’éligibilité

Les services instructeurs vérifient que les ESSMS demandeurs sont bien éligibles au bénéfice d’un PAI au vu des critères énoncés ci-dessus.

6.3. Vérification du montant de la demande

La dépense subventionnable inclut :

  • le prix des travaux proprement dits ;
  • le cas échéant, les dépenses connexes concourant directement à leur réalisation, notamment les prestations intellectuelles nécessaires à la conception et au suivi de l’exécution du projet.

6.4. Analyse de pertinence

L’instruction technique et financière des demandes est réalisée au vu :

  • de la demande elle-même ;
  • des programmes pluriannuels d’investissement (PPI) préalablement déposés par les ESSMS candidats ;
  • des reprises de résultat excédentaire affectées à la réserve d’investissement ;
  • des instructions techniques de la CNSA fixant les priorités de mise en œuvre au titre de l’exercice.

L’analyse des demandes doit être réalisée de manière à :

  • garantir la limitation de l’impact des opérations d’investissement sur le budget de fonctionnement des ESSMS éligibles ;
  • éviter la dispersion des financements sur les opérations susceptibles d’être éligibles, pour produire un véritable effet levier de l’aide à l’investissement dans la réalisation des projets immobiliers ;
  • assurer la coordination du programme régional d’aide à l’investissement (PRAI) présenté à la CNSA avec les programmations des crédits d’Etat (prêt locatif social ou PLS notamment) et celles des autres financeurs, afin de faciliter les tours de table financiers des maîtres d’ouvrage.

6.5. Recueil d’avis en cas de compétence conjointe

En cas de compétence conjointe ARS-Département, le DGARS doit recueillir l’avis du Président du Conseil départemental et informer les promoteurs des suites données à leurs demandes.

6.6. Décision d’attribution du PAI

Avant le 15 décembre 2020, le DGARS doit notifier aux porteurs de projets retenus le montant de l’aide attribuée.

L’aide ainsi attribuée est unique, non reconductible et non réévaluable.

Toutefois, une dérogation peut être accordée par le DGARS pour des motifs tenant à des contraintes techniques particulières et imprévisibles de réalisation de l’opération, et dont le montant est calculé à partir du coût des travaux éligibles, conformément aux dispositions prévues à l’article 1er du présent arrêté, toutes dépenses confondues, en valeur fin de travaux.

7. Arrêté du PRAI

Le DGARS arrête le PRAI en tenant compte :

  • d’une analyse globale des besoins de modernisation et de développement des ESSMS concernés dans la région, cohérente avec le programme interdépartemental d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie (PRIAC) ;
  • d’une appréciation des capacités de financement des gestionnaires ;
  • de l’impact de l’investissement sur le budget de fonctionnement.

Le PRAI comprend la liste des opérations retenues ; il précise pour chacune d’elles le niveau de la dépense subventionnable et le montant de l’aide engagée.

8. Mise en oeuvre du PAI

8.1. Engagements du maître d’ouvrage et de l’ESSMS

Dans le délai de six mois à compter de la réception de la notification de la décision du DGARS, le maître d’ouvrage s’engage à déposer auprès de l’ARS :

  • le plan de financement définitif de l’opération,
  • l’échéancier prévisionnel de travaux,
  • le projet de convention le liant à l’ARS pour le bénéfice de l’aide à l’investissement.

Dans le même délai, l’ESSMS bénéficiaire s’engage à informer l’ARS de l’état d’avancement de l’opération au regard du calendrier prévisionnel établi dans la convention ARS – maître d’ouvrage.

8.2. Information périodique sur l’état d’avancement de l’opération

Chaque année, le maître d’ouvrage et l’ESSMS bénéficiaire informent l’ARS de l’état d’avancement de l’opération au regard des prévisions de la convention ARS – maître de l’ouvrage.

8.3. Paiement

L’aide à l’investissement est engagée par l’ARS ; elle est imputée à l’enveloppe régionale allouée par la CNSA à cet effet.

L’aide à l’investissement présente comptablement un caractère transférable, afin de permettre l’atténuation du surcoût (frais financiers et amortissement) lié à l’opération d’investissement à hauteur du montant de l’aide.

Son paiement est assuré au profit du maître d’ouvrage en trois versements :

  • 30 % à la réception de l’acte juridique engageant les travaux ou études accompagné du relevé d’identité bancaire (RIB) original du maître d’ouvrage ;
  • 40 % à la réception du bordereau récapitulatif des factures acquittées correspondant à 50 % du coût total des travaux, visé par le maître d’œuvre et certifié par le maître d’ouvrage et le comptable ;
  • 30 % à la réception de l’attestation définitive de fin de travaux et du bordereau récapitulatif des factures acquittées correspondant au coût total des travaux, visé par le maître d’œuvre et certifié par le maître d’ouvrage et le comptable.

Dans le cas particulier des opérations de vente en état futur d’achèvement (VEFA) ou par contrat de promotion immobilière (CPI), l’aide à l’investissement est payée à l’organisme gestionnaire qui sera locataire au profit de son ESSMS, en trois versements :

  • 30 % à la réception de l’acte juridique engageant les travaux, visé par le maître d’œuvre et certifié par l’acquéreur ;
  • 40 % à la réception du bordereau récapitulatif des factures acquittées correspondant à 70 % du coût total d’acquisition des locaux en vente en état futur d’achèvement, visé par le maître d’œuvre et certifié par l’acquéreur ;
  • 30 % à l’achèvement des travaux, sur présentation du procès-verbal de remise des clés et du bordereau récapitulatif des factures acquittées correspondant au coût total d’acquisition des locaux vendus en état futur d’achèvement, visé par le maître d’œuvre et certifié par l’acquéreur.

Si, à l’achèvement des travaux, la dépense subventionnable s’avérait inférieure au montant en valeur finale estimé en début d’opération, alors il serait procédé à une diminution systématique du montant de l’aide à l’investissement au regard du taux d’aide initialement retenu.

9. Compte rendu à la CNSA

L’ARS saisira dans l’application Galis de la CNSA les données techniques et financières des opérations financées par le PAI.

II. – ANALYSE CRITIQUE

1. Sur la forme

La mise en forme de la présentation ci-dessus a conduit à constater la mauvaise qualité de la rédaction du texte qui trahit une maîtrise insuffisante de la stylistique administrative et de la méthodologie de rédaction des textes règlementaires. En effet, les élements afférents à chaque étape de la procédure étaient parsemés dans divers articles, sans logique réelle ; remettre les choses en ordre a donc pris un temps certain.

2. Sur le fond

Ceci étant et sur le fond, deux séries d’observations méritent d’être formulées.

2.1. L’impostance stratégique de la question du foncier

Cette première observation a trait à l’importance stratégique du recours au PAI, bien sûr pour financer des mises en conformité règlementaire du bâti – ce qui est le minimum – mais surtout pour appporter des améliorations au bâti conforme, dans une perspective de respect des droits des personnes accueillies et d’élévation du niveau de confort. L’adéquation des locaux de l’établissement doit ainsi être la garantie (à titre d’exemples) :

  • de leurs droits à l’intégrité physique et au maintien du lien social, par la rationalisation des accès de l’ESSMS, de manière à ce qu’une intrusion ou une “fugue” ne puissent avoir lieu à l’insu du personnel. Cela peut requérir des modifications des enceintes de l’établissement, l’aménagement d’une porte d’entrée unique ou d’un sas, assorti le cas échéant d’un local de garde pour le salarié ou l’agent chargé du contrôle des accès et de l’accueil. Il s’agit là d’une préoccupation de sûreté importante, tant compte tenu des risques d’infractions de violence ou de terrorisme (cf. l’instruction conjointe de la DGCS et du haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de la santé du 4 juillet 2017 relative aux mesures de sécurisation des ESSMS) que de la nécessité de maîtriser les accès lors de l’épidémie de CoViD-19. De manière générale, cette thématique de la sûreté est souvent la grande oubliée des professionnels – comme nous avions déjà pu le relever en 2016 – alors même qu’elle est la condition première de la sécurité des usagers et résidents. Mais rationaliser les accès a également une importance pour s’assurer, d’une part que les personnes accueillies peuvent effectivement recevoir leurs visiteurs, d’autres part qu’elles ne sont pas importunées par des visites non souhaitées et ce, quelle qu’en soit la raison – ce qui inclut le cas échéant le filtrage des visites non désirées de proches ou de membres de la famille ;
  • de leur droit à l’intégrité physique encore lorsqu’elles sont susceptibles, compte tenu de leur(s) trouble(s), d’adopter des comportements-problèmes. En effet, dans les situations les plus délicates, par exemple en cas de risque de passage à l’acte violent, il pourra être indiqué, soit d’inviter la personne, soit de la contraindre à s’isoler momentanément dans un espace de calme-retrait et d’apaisement. Cela suppose nécessairement de disposer d’un local adéquat aux prescriptions des recommandations de bonnes pratiques professionnelles ;
  • de leur droit à la santé lorsqu’une épidémie est présente dans l’établissement. L’expérience de ces derniers mois a montré la nécessité de pouvoir sectoriser les locaux, disposer d’espaces de stockage des matériels nécessaires, recourir à un sas de décontamination ou encore respecter des circuits de circulation ;
  • de leur droit au respect de l’intimité de leur vie privée et, en particulier, de leur droit de vivre leur vie affective et sexuelle. Trop souvent, l’exiguité des chambres ne permet pas d’accueillir le/la partenaire avec un minimum de confort – on songe par exemple à la largeur du lit parfois limitée par la superficie de la chambre. La création d’une ou plusieurs chambres de couple, destinées à être utilisées par les personnes pour vivre des moments d’intimité, peut alors s’avérer opportune.

Dès lors, l’enjeu de l’obtention d’une aide par le PAI est tout à fait significatif pour beaucoup d’ESSMS.

2.2. Les procédures d’allocation du PAI 2020 sont toutes illégales

La seconde observation a trait à l’illégalité de la pratique administrative.

En effet, la procédure d’allocation des aides à l’investissement a été mise en oeuvre avant même la publication de l’arrêté (voir un exemple dans lequel les ESSMS devaient déposer leur dossier avant le 2 octobre 2020, donc sans avoir connaissance ni des critères règlementaires ni du cadre juridique de la procédure), sur la seule indication d’une circulaire de la CNSA dépourvue de toute valeur juridique.

L’arrêté ne pouvant avoir de portée rétroactive, cela signifie que la procédure mise en oeuvre par les ARS en 2020 est dépourvue de fondement juridique et que les organismes gestionnaires des ESSMS évincés sont à même de faire annuler le PRAI ainsi que toutes les décisions administratives individuelles d’allocation du PAI dans leur région. En effet, les DGARS ne pouvaient prendre des décisions légales avant le 15 décembre 2020 alors que le texte règlementaire qui les fonde est entré en vigueur le 16 décembre 2020, lendemain de sa publication.

Voilà un argument qui procure une belle occasion de proposer à l’autorité sanitaire régionale d’entrer en négociation pour que soit réexaminée une demande trop rapidement écartée, selon une stratégie du “donnant-donnant” tout à fait courante dans le secteur sanitaire et à laquelle les ARS sont d’ailleurs habituées.

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