Face à la survenance brutale de l’épidémie de COVID 19, le gouvernement a dû légiférer, dans l’urgence, par ordonnance « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 », et prendre des mesures dérogatoires en matière de durée du travail, de congés et de repos (loi 2020-290 du 23 mars 2020, art. 11, 1°, b, JO du 24).
Ainsi, une ordonnance du 25 novembre 2020 permet aux employeurs d’aménager unilatéralement la prise de jours de RTT et de certains autres jours de repos si l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 (ord. 2020-323 du 25 mars 2020, art. 2 et 3, JO du 26).
L’employeur peut ainsi :
- Imposer la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos au choix du salarié acquis par ce dernier ;
- Modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos.
- Imposer que les droits affectés sur le compte épargne-temps (CET) du salarié soient utilisés par la prise de jours de repos, dont il détermine les dates (ord. 2020-323 du 25 mars 2020, art. 4).
Ces mesures unilatérales ne peuvent concerner qu’un nombre maximal total de 10 jours de repos (ord. 2020-323 du 25 mars 2020, art. 5).
Dans ces conditions, le Groupe pharmaceutique Sanofi a pris des mesures à l’égard de ses salariés.
Dans le cadre du 1er confinement (de mars à mai 2020), pour les salariés qui ne pouvaient pas télétravailler sur cette période, le Groupe avait :
- Imposé à ces salariés la prise de 10 jours de repos ou de RTT ;
- Pour ceux qui ne disposaient pas de tels jours, ou plus suffisamment sur l’exercice en cours, le groupe avait alors prélevé automatiquement des jours épargnés par les salariés sur leurs CET.
Contestant ces dispositions, la Fédération nationale des industries chimiques CGT (FNIC-CGT) a intenté une action en référé devant le tribunal judicaire de Paris pour qu’il soit jugé que les mesures prises par le groupe constituaient un trouble manifestement illicite et pour que les salariés soient recrédités des jours imposés ou prélevés sur leurs CET.
Le tribunal judiciaire n’a pas fait droit à la demande du syndicat, contrairement à la cour d’appel de Paris.
La cour d’appel de Paris a jugé que les mesures prises par le groupe constituaient bien un trouble manifestement illicite.
La Cour rappelle que l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit « expressément et clairement » que la prise des mesures dérogatoires ne peut intervenir que lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19.
Le Groupe aurait dû rapporter la preuve qu’il rencontrait des difficultés économiques liées à la propagation du covid-19.
Or, tel n’a pas été le cas en l’espèce.
En effet, le Groupe avançait seulement que les mesures étaient justifiées :
- Par la nécessité de s’adapter face à une augmentation inattendue de l’absentéisme tenant au fait qu’une partie des salariés se trouvaient à leur domicile sans pouvoir exercer leur activité en télétravail,
- Par la nécessité d’aménager les espaces de travail et d’adapter le taux d’occupation des locaux en raison des conditions sanitaires.
En revanche, la Cour d’appel a jugé irrecevable la demande du Syndicat impliquant de rétablir les salariés dans leurs droits étant donné qu’il s’agit de mesures individuelles qui ne relèvent pas de la défense de l’intérêt collectif de la profession mais de la seule compétence d’attribution de la juridiction prud’homale.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.
La décision de la Cour de cassation est donc fortement attendue par toutes les entités qui ont utilisé les dispositions provisoires de l’ordonnance du 25 mars 2020.
Cette décision de la Cour d’appel est une illustration de l’insécurité juridique engendrée par les dispositions provisoires prises dans le contexte de l’épidémie de COVID 19.
Dans ce contexte, nous avons préconisé une utilisation prudente de ces dispositions provisoires, en l’absence de recul sur leur applicabilité par les juges.
Cour d’appel de Paris, arrêt du 1er avril 2021, n° RG 20/12215