Délégation de pouvoirs : l’immixtion de l’employeur sur le domaine délégué peut justifier la prise d’acte du salarié

Jan 18, 2022Droit social

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Un employeur peut consentir une délégation de pouvoirs relative à un domaine particulier et notamment pour l’exercice du pouvoir disciplinaire.

Le mécanisme de la délégation de pouvoirs revêt une importance particulière dans le secteur social et médico-social puisque les délégations consenties par la personne morale gestionnaire d’établissements sociaux et médico-sociaux sont formalisées dans un document unique.

En effet, dans les ESMS mentionnés au I de l’article L 312-1 du Code de l’action sociale et des familles, lorsque la personne physique ou morale gestionnaire confie à un professionnel la direction d’un ou plusieurs ESMS, elle précise par écrit, dans un document unique, les compétences et les missions confiées par délégation à ce professionnel (article D 312-176-5 du Code de l’action sociale et des familles).

De manière plus générale, pour qu’une délégation soit valable, le salarié bénéficiant de la délégation doit bénéficier :

  • Des compétences nécessaires à l’exercice des prérogatives qui lui sont confiées (Cass. crim., 26 mar. 2002, no 01-82.280) ;
  • D’un pouvoir de commandement suffisant pour pouvoir donner des directives aux salariés placés sous son autorité (Cass. crim., 29 octobre 1985, no 84-95.559 ; Cass. crim., 8 mars 1988, no 87-83.882) ;
  • Des moyens nécessaires pour exercer les missions qui lui sont confiées (Cass. crim. 8 décembre 2009, n°09-82.183).

Toute immixtion du délégant dans les domaines qu’il a délégué conduit à rendre la délégation de pouvoirs purement fictive (Cass. Soc. 21 novembre 2000, n°98-45.420).

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation vient préciser si l’immixtion de l’employeur dans un domaine délégué à un salarié peut justifier une prise d’acte aux torts de l’employeur.

Pour rappel, la prise d’acte entraine la rupture immédiate du contrat de travail et permet au salarié de solliciter la requalification de la rupture devant le Conseil de prud’hommes :

  • Si les griefs sont réels et suffisamment graves, le juge requalifie la prise d’acte en licenciement aux torts de l’employeur ;
  • À défaut, il requalifie la prise d’acte en démission.

Dans cette affaire, le responsable d’une structure d’hébergement de personnes âgées avait demandé une rupture conventionnelle auprès de son employeur.

Dans son courrier de demande de rupture conventionnelle, le salarié revenait sur l’échec d’une procédure de licenciement pour faute qu’il avait engagée à l’encontre d’une salariée qui avait commis des actes de maltraitance sur un résident, procédure qui s’était soldée par une simple mise à pied disciplinaire, en raison de l’opposition de l’employeur au licenciement.

L’employeur s’était opposé au licenciement initié par le responsable, estimant qu’il était non proportionné au manquement dénoncé.

Or, la délégation de pouvoirs du responsable prévoyait que le salarié était titulaire d’un pouvoir disciplinaire lui permettant de sanctionner toute inobservation notamment des prescriptions applicables en matière et de sécurité ou de respect de la réglementation professionnelle.

Face au refus de son employeur de sa demande de rupture conventionnelle, le salarié avait alors quitté son poste après avoir adressé une lettre à son employeur.

Considérant que le salarié avait démissionné, l’employeur a saisi la justice pour le faire condamner à payer une indemnité compensatrice de préavis et des dommages-intérêts pour rupture brusque.

La Cour d’appel a rejeté les demandes de l’employeur et a considéré que la rupture du contrat de travail devait s’analyser en une prise d’acte aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur a ainsi été condamné à verser au salarié les sommes dues en cas de licenciement abusif.

La Cour de cassation a confirmé le jugement de la Cour d’appel :

« L’employeur, sans mettre fin à la délégation de pouvoirs dont disposait le salarié, s‘était immiscé dans l’exécution de celle-ci, privant ainsi le salarié d’une partie de ses prérogatives contractuelles et l’empêchant de mener à bien ses missions relatives notamment à la qualité des soins des résidents et des relations avec ces derniers et leurs familles ».

Dans ces conditions, le manquement de l’employeur à ses obligations était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Pour les gestionnaires d’établissements sociaux et médico-sociaux, cette jurisprudence revêt une importance particulière du fait des délégations pouvant exister entre les instances associatives et un Directeur d’établissement.

Du fait des conséquences financières importantes en cas de requalification d’une rupture de contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse, les instances associatives doivent veiller à ne pas « empiéter » sur les pouvoirs du salarié bénéficiant valablement d’une délégation de pouvoirs.

Cass. soc. 1er décembre 2021, n° 20-16851

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