Par un arrêt rendu le 7 juillet 2022, le Conseil d’Etat a consacré la légalité des tarifs plafonds applicables aux centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour l’exercice 2021.
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1. Les faits
Le 24 août 2021 est signé l’arrêté qui détermine les tarifs plafonds applicables aux CHRS pour l’exercice 2021.
Plusieurs têtes de réseau, dans l’exercice de leur mission de défense des intérêts de leurs adhérents, entendent contester cet arrêté.
2. La procédure
Les trois organisations saisissent le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté pris en application de l’article L. 314-4, alinéa 2 du Code de l’action sociale et des familles (CASF). Plusieurs arguments sont soulevés par les requérantes :
- les signataires de l’arrêté – qui n’étaient pas les ministres eux-mêmes – était incompétents ;
- le montant des tarifs plafonds est contestable parce que :
- l’étude nationale des coûts du secteur accueil-hébergement-insertion (ENC-AHI) à l’origine des tarifs plafonds en cause n’était pas comparable, compte tenu de son échantillon de CHRS déclarants, à celles réalisées les années prédécentes pour la fixation des tarifs plafonds antérieurs ;
- les tarifs plafonds de 2021 ne correspondent pas aux coûts moyens de 2015 majorés de 5 % ;
- la revalorisation des tarifs plafonds doit être annuelle, de sorte que le maintien d’un mème tarif plafond pendant plusieurs années est illégal ;
- la mise en œuvre des règles de convergence tarifaire les années précédentes a entraîné une dégradation de la qualité de l’accompagnement proposé aux personnes hébergées ;
- plusieurs facteurs ont contribué à l’augmentation des charges exposées par les CHRS ;
- les règles de convergence tarifaire sont critiquables à double titre :
- la différence de régime applicable aux CHRS, selon qu’ils ont ou non conclu un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) ou qu’il sont ou non en première année de convergence tarifaire, a créé une inégalité de traitement injustifiée ;
- le changement des règles de convergence tarifaire par rapport aux années précédentes constitue une erreur manifeste d’appréciation ;
- l’arrêté ne prévoit pas de modalités particulières d’application du mécanisme des tarifs plafonds aux CHRS dont le coût à la place brut est inférieur aux tarifs plafonds, ce qui constitue à la fois une inégalité devant la loi et un vice d’incompétence négative ;
- les règles relatives au taux d’effort budgétaire et à la prise en compte des charges dans les budgets ne sont pas lisibles, ce qui contrevient à l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme.
L’arrêt ne mentionne pas les contre-arguments développés dans l’intérêt de l’Etat mais on peut les deviner en lisant les considérants de l’arrêt.
3. La solution
Le Conseil d’Etat examine et tranche chaque moyen invoqué par les requérantes :
- au vu des textes règlementaires relatifs aux attributions des deux ministres concernés et aux délégations de signature qu’ils sont susceptibles de consentir aux directeurs d’Administration centrale, les signataires de l’arrêté étaient bien compétents ;
- pour ce qui est de la pertinence statistique de l’ENC 2015 qui a servi de référence à la définition des tarifs plafonds 2021, elle a porté sur l’activité de 672 CHRS sur un total de 797, soit un niveau identique à celui fixé par les arrêtés relatifs aux exercices 2018, 2019 et 2020. Ceci étant :
- le fait d’avoir retraité les données de l’ENC pour exclure de l’assiette de calcul les valeurs regardées comme peu fiables n’a pas compromis la juste fixation des tarifs plafonds à hauteur de ceux de 2015 majorés de 5 % ;
- en dépit de l’objectif de réduction progressive des disparités de tarification, rien n’oblige les ministres à réviser annuellement les tarifs plafonds. dès lors, le maintien de tarifs plafonds à hauteurs de ceux des années précédentes n’est pas illégal ;
- il n’est pas prouvé que les tarifs plafonds contestés provoqueraient une dégradation de la qualité des accompagnements ;
- il n’est pas davantage établi que l’augmentation de certaines charges des budgets n’aurait pas été prise en compte ;
- tous les CHRS hors CPOM dont le coût à la place brut excède le montant du tarif plafond subissent une diminution, égale à la moitié de la différence entre le tarif 2021 et celui de 2020, après prise en compte le cas échéant des modification de réparation du nombre de places entre les différents groupes homogènes d’activités et de missions (GHAM). Il n’y a donc pas d’inégalité de traitement ;
- compte tenu de l’objectif de rapprochement des tarifs pratiqués du niveau des tarifs plafonds et de réduction progressive des inégalités dans l’allocation des ressources entre régions, les ministres – qui n’avaient l’obligation de s’en tenir aux modalités de convergence des précédents arrêtés pour les appliquer aux CHRS soumis pour la première fois à la convergence tarifaire en 2021 – n’ont pas commis d’erreur manifeste d’appréciation ;
- l’article L. 314-4 du CASF ne donne compétence aux ministres que pour fixer les tarifs plafonds et déterminer le mécanisme de convergence tarifaire applicable aux CHRS en dépassement. Dès lors, on ne peut leur reprocher de ne pas avoir décidé de modalités particulières de convergence tarifaire concernant les CHRS en-dessous des tarifs plafonds ;
- les règles relatives à l’effort tarifaire sont suffisamment claires et précises et ne contreviennent donc pas à l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et de l’intelligibilité des normes.
C’est pourquoi le Conseil d’État rejette la requête des têtes de réseau.
4. L’intérêt de l’arrêt
Cet arrêt, comme d’autres antérieurs qui concernaient la critique des tarifs plafonds d’autres catégories d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), permet de mieux cerner le régime des tarifs plafonds institué par l’article 180 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2009 pour limiter les dépenses à la charge de l’Etat.
4.1. L’impossibilité de contester le calcul des tarif plafonds
Cette décision illustre le fait qu’une critique pertinente de la fixation des tarifs plafond supposerait d’être en mesure de démontrer, le cas échéant, que les modalités de calcul statistique des ENC sont biaisées :
- se posent les questions de savoir comment 1°) accéder au détail des données et calculs de ces enquêtes et 2°) rapporter la preuve du caractère erroné de ces traitements mathématiques au regard des lois de la statistique. Les données d’entrée sont celles que les CHRS ont l’obligation de déclarer en application de l’article L. 322-8-1 du CASF institué par l’article 128 de la loi de finances (LF) pour 2018. Ce texte renvoie à un arrêté d’application le soin de déterminer le contenu et les modalités de recueil des données mais il ne prévoit nullement que cet arrêté explicite les modalités de calcul des tarifs plafonds ; l’algorithme demeure donc secret ;
- il faut aussi relever que l’arrêté en question, dans son annexe 1, prévoit que l’autorité de tarification reçoit, analyse, retraite et valide elle-même les données déclarées par les CHRS – et notamment le montant de leurs charges en classe 6 – ce qui introduit à ce stade une possibilité de modification de ces informations pouvant influer artificiellement sur les résultats des calculs.
C’est donc une opacité totale qui règne sur la façon dont est réalisé le calcul des tarifs plafonds par le système d’information public (SI ENC-AHI) mis en oeuvre par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). En d’autres termes, les CHRS et leurs têtes de réseau sont placés, en l’état de ce dispositif, dans l’incapacité matérielle de discuter la manière dont les règles de plafonnement de leur tarif – et donc de convergence tarifaire – sont définies et leur sont imposées. De quoi interdire toute possibilité d’accès aux juridictions de la tarification sanitaire et sociale. On pourrait là trouver un argument important de contestation contentieuse et il faut espérer qu’il pourra être soulevé à l’avenir. On peut souhaiter que CHRS et fédérations songeront préalablement à formuler des demandes d’accès aux documents administratifs pour se faire communiquer ces modalités de calcul secrètes.
Subsidiairement, on relèvera que cette problématique s’étend au-delà du champ de l’AHI ; elle concernera bientôt tous les ESSMS-PH lorsque la réforme de la tarification préparée par SERAFIN-PH sera entrée en vigueur : l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) sera l’athanor où sera dissimulée l’oeuvre au noir du calcul des prix des prestations.
4.2. L’ambigüité du processus de convergence tarifaire
L’arrêt l’affirme : les arrêtés annuels de fixation des tarifs plafonds constituent pour l’Etat le moyen de moduler à discrétion les règles de la convergence tarifaire et de l’effort budgétaire. On peut certes admettre ce principe si l’on accepte que l’impératif de réduction des inégalités historiques de tarification requiert des ajustements constants jusqu’à l’atteinte de l’objectif. Mais voilà : le juge administratif considère que, pour autant :
- il n’y a rien à redire au maintien de ces tarifs d’une année sur l’autre, de sorte qu’en réalité aucune adaptation réelle n’intervient d’exercice en exercice. Une telle pratique tend alors à prouver que le dispositif ne sert pas à ajuster progressivement le “paysage tarifaire” pour compenser les inégalités sociales et territoriales de santé (ISTS) au sens large que donne à l’expression la loi HPST ; ce mécanisme agit en réalité comme un moyen de gestion de la pénurie, dans un contexte où les données macroéconomiques – telles que l’inflation ou la progression mécanique de la masse salariale par l’effet du glissement vieillesse -technicité (GVT) – requièrent nécessairement des ajustements à la hausse des tarifs plafonds ;
- l’Etat n’a donc nulle obligation d’actualiser les tarifs plafonds à chaque exercice : ce qui est admis par le Conseil d’Etat – implicitement – c’est l’application de plafonds intangibles sur plusieurs exercices.
4.3. Les tarifs plafonds font fi des besoins réels de financement et de la dégradation de la qualité des accompagnements due à l’érosion du financement
Mystérieux dans leur calcul et décorrélés de toute logique budgétaire annuelle, les tarifs plafonds sont consacrés par le Conseil d’Etat dans leur bienfondé alors même qu’ils ne tiennent pas compte de l’évolution des charges des CHRS. On l’a déjà mentionné, il n’y a pas manifestement pas de place pour la prise en compte des augmentations structurelles ou conjoncturelles – mais bien réelles – des coûts. La courbe ci-dessous représente la progression des dotations régionales limitatives (DRL) des CHRS de 2009 à 2022, signant une progression globale de +8,86 % en 13 ans soit en moyenne +0,68 %/an :
Si le Conseil d’Etat considère – sans doute à juste titre – que le dossier qui lui a été soumis ne comprenait aucune preuve formelle de la dégradation de la qualité des accompagnements, pour autant la simple prise en considération de ces taux d’évolution aurait certainement pu suffire à en déduire l’existence.