Par un arrêt du 26 février 2020, le Conseil d’Etat a rappelé, en mobilisant les fondements juridiques contemporains, le principe fondamental du droit des institutions sociales et médico-sociales en vertu duquel la délivrance d’une autorisation emporte obligation, pour la puissance publique, de financer l’établissement ou le service autorisé.
- Les faits
Une société obtient en 2007 l’autorisation conjointe du directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) et du président du Conseil général de créer un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) spécialisé dans la prise en charge des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. Les travaux débutent en 2009 mais s’interrompent en 2010.
La société vient à être cédée à un groupe repreneur ; les deux parties adressent ensemble, en 2014, une demande de cession de l’autorisation aux deux autorités administratives concernées.
Le directeur général de l’ARS les informe, en réponse, qu’il ne dispose plus du financement de l’établissement dans la dotation régionale limitative déléguée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). La société et le groupe repreneur exercent alors un recours gracieux auquel le directeur général de l’ARS répond expressément par un rejet de leur demande de cession.
- La procédure
La société titulaire de l’autorisation introduit deux actions devant le Tribunal administratif : un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la décision explicite de rejet du recours gracieux et un recours de plein contentieux en responsabilité extracontractuelle visant la réparation du préjudice causé par le refus de cession.
Le Tribunal administratif puis la Cour administrative d’appel déboutent la demanderesse de ses prétentions ; elle se pourvoit alors en cassation.
- La solution
En préliminaire, le Conseil d’Etat rappelle que la responsabilité engagée par le directeur général d’une ARS dans l’exercice des prérogatives définies par l’article L. 1431-2 du Code de la santé publique est celle de l’Etat puisqu’il agit au nom de ce dernier et ce, indépendamment du fait qu’une ARS soit un établissement public juridiquement indépendant de l’Etat. La Haute juridiction précise alors que la date à laquelle l’Etat est réputé avoir été saisi est celle à laquelle l’ARS l’a été. Ainsi la notification à l’ARS du recours gracieux formé a-t-elle fait courir le délai de deux mois, prévu aux articles L. 114-2, L. 114-3 et L. 231-4 du Code des relations entre le public et l’administration, à l’issue duquel l’Etat était réputé avoir implicitement rejeté la demande.
Mais les juges du Palais-Royal articulent ensuite, en mobilisant les fondements juridiques contemporains, un considérant fondamental qui rappelle toute la vigueur d’un principe essentiel du droit des institutions sociales et médico-sociales : la délivrance d’une autorisation garantit l’accès au financement pérenne que constituent les produits de la tarification. Après avoir rappelé les termes des articles L. 312-1, L. 313-1, L. 313-4, L. 312-5-1, L. 313-6, L. 313-9 et L. 314-3 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), le juge de cassation les interprète ensemble pour aboutir à la disposition suivante :
« Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la création des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes, autorisée pour quinze ans, doit être compatible, au moment de l’octroi de cette autorisation, d’une part, avec le programme interdépartemental par lequel le directeur général de l’agence régionale de santé recense les besoins et priorités et, d’autre part, avec le montant, pour l’exercice au cours duquel l’autorisation prend effet, de la dotation régionale limitative arrêtée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie au vu de ce programme. Sous réserve du résultat de la visite de conformité aux conditions techniques minimales d’organisation et de fonctionnement et de la signature de la convention tripartite mentionnée à l’article L. 313-12 du Code de l’action sociale et de familles, et à moins de cesser, au cours de sa durée de validité, de produire ses effets, notamment faute d’avoir connu un début d’exécution dans un délai de trois ans ou par suite de son retrait en vertu de l’article L. 313-16 du même code ou du retrait de l’autorisation de dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux dans les conditions définies à l’article L. 313-9 de ce code, l’autorisation délivrée habilite l’établissement à dispenser des prestations prises en charge par l’Etat ou les organismes de sécurité sociale pendant toute la durée de sa validité. Dès lors, le refus par l’administration du transfert d’une autorisation en vigueur ne peut légalement se fonder sur l’absence de financement correspondant au fonctionnement de l’établissement pour lequel l’autorisation a été accordée ».
- L’intérêt de l’arrêt
Au premier abord, cette décision pourrait être considérée comme intéressante d’un seul point de vue théorique, en ce qu’elle consacre la continuité historique du principe de garantie du financement par l’autorisation. Pour mémoire, cette règle a été énoncée, dès la création du droit des institutions sociales et médico-sociales, par l’article 11 de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales. Le promoteur de ce texte fondateur, René LENOIR, alors secrétaire d’Etat à l’action sociale de Simone VEIL, ministre de la santé, tenait particulièrement à ce que cette garantie fût apportée aux promoteurs de projet d’établissement, ainsi qu’en attestent les travaux parlementaires. La réforme de 2002 n’a pas remis en cause cette règle fondamentale, comme l’illustrent d’ailleurs les textes auxquels le Conseil d’Etat fait ici référence – abstraction faite de ceux, spécifiques au programme interdépartemental d’accompagnement du handicap et de la perte d’autonomie (PRIAC), qui datent de 2005.
Mais cette décision présente un grand intérêt concret en ce qu’elle est susceptible d’affecter la pratique administrative qui consiste à consacrer les fonds afférents aux « places autorisées mais non installées » à d’autres usages, que ce soit pour l’allocation de crédits non reconductibles (CNR) avant la fin de l’exercice budgétaire ou encore pour leur restitution à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) en fin d’exercice budgétaire. En effet, il est juridiquement acquis – ce que confirme cet arrêt – que le financement prévu pour un établissement autorisé doit demeurer disponible afin que puissent lui être servis, dès son ouverture, les produits de la tarification auxquels il a droit.
CE, 1ère & 4ème Ch. réunies, 26 février 2020, Société Thessalie, n° 422344