ESSMS : l’action sociale et médico-sociale exercée par les organismes gestionnaires de droit privé n’est pas un service public

Jan 12, 2021Droit des associations et des ESMS, Droit public, Droit social

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Par un arrêt du 30 décembre 2020, le Conseil d’Etat a confirmé que l’action sociale et médico-sociale exercée par une personne morale de droit privé n’est pas un service public. Dès lors, la juridiction administrative n’est pas compétente pour arbitrer un différend né de la suspension de l’accueil de l’usager à l’initiative d’une Association gestionnaire.

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1. Les faits

Un enfant atteint de troubles du spectre autistique (TSA) est orienté par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) vers un institut médico-éducatif (IME) spécialisé. il est admis dans cet établissement et la prise en charge débute.

Par la suite, du fait d’un comportement conflictuel du père de l’usager à l’égard des professionnels de l’établissement, la présidente de l’Association gestionnaire décide de suspendre temporairement l’accueil de l’enfant.

2. La procédure

Le père, représentant légal, saisit le Tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision de suspension ; il en demande donc l’annulation, assortie d’une injonction de réintégrer sous huitaine son fils dans l’IME sous astreinte et d’une demande de dommages-intérêts destinée à l’indemniser de son préjudice moral ainsi que des frais importants qu’il a engagés pour organiser une prise en charge alternative (plus de 100 000 € au total).

Pour des motifs qui ne sont pas rappelés dans l’arrêt, le Tribunal administratif fait droit à la demande du requérant et l’Association gestionnaire interjette appel.

La Cour administrative d’appel, considérant que le litige est susceptible de faire apparaître l’incompétence matérielle de la juridiction administrative, surseoit à statuer et saisit le Conseil d’Etat en application de l’article R. 351-2 du Code de justice administrative (CJA). En effet, la juridiction régulatrice tient de l’article R. 351-5-1 du CJA la compétence de statuer sur l’incompétence matérielle des juridictions administratives.

3. La solution

Le Conseil d’Etat, évoquant le litige, débute son analyse en constatant que l’IME relève du 2° du I de l’article L. 312-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF).

Puis il juge que si les actions médico-éducatives en faveur des enfants handicapés constituent une mission d’intérêt général, il résulte toutefois des dispositions de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission assurée par les organismes gestionnaires de droit privé revête le caractère d’une mission de service public.

Il en conclut que la juridiction administrative n’est pas compétente pour connaître du litige puisqu’il concerne un établissement géré par une personne morale de droit privé.

Le requérant est donc débouté de ses demandes.

4. L’intérêt de l’arrêt

Cet arrêt présente d’abord un intérêt majeur sur la question importante de la qualification de l’action sociale et médico-sociale comme service public. Sur ce point, il s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de l’arrêt Aprei du 22 février 2007 – que le Conseil d’Etat avait entrepris à rebours de ce que proposaient les conclusions du commissaire du gouvernement – qui a mis un terme aux incertitudes doctrinales et dont il reprend d’ailleurs la formulation. Cependant, ce nouvel arrêt attire particulièrement l’attention car il prend en compte, pour fonder son analyse, la loi du 2 janvier 2002 quand l’arrêt Aprei ne procédait – compte tenu du droit applicable aux faits de l’espèce – qu’à l’interprétation de la loi sociale du 30 juin 1975. Ceci étant, il est surprenant que les juges du Palais-Royal n’aient pas explicitement référé à l’article L. 311-1 du CASF qui définit pourtant précisément la nature de l’action sociale et médico-sociale comme un ensemble de missions d’intérêt général et d’utilité sociale. Comme ils n’ont pas davantage, pour ce qui concerne plus précisément le handicap, prêté attention aux articles L. 114-1 et suivants du même code ni à l’article L. 1411-1 du Code de la santé publique (CSP) qui incluent explicitement la réponse aux besoins de compensation dans la politique publique de santé.

Par ailleurs, cet arrêt rendu au fond remet en cause la pertinence d’une décision isolée du juge des référés de 2017 qui avait admis qu’un foyer d’accueil médicalisé (FAM) géré par une Association exerce un service public (CE, Réf., 31 mars 2017, M. B… A… c/ Association Sauge, n° 409026). Cette ordonnance, ignorant la solution de l’arrêt Aprei, reposait sur l’idée que même en l’absence de prérogatives de puissance publique, “une personne privée doit être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission”. En l’espèce, le juge de l’évidence avait considéré que la soumission de l’activité du FAM à une autorisation administrative ainsi qu’à l’obligation de respecter une règlementation sous le contrôle de l’Administration caractérisait l’existence du service public.

Au plan pratique, cet arrêt consacre du point de vue même du juge administratif la compétence matérielle du juge judiciaire dans un litige qui aurait dû relever – si l’action avait été convenablement dirigée – du contentieux du contrat de séjour. En effet, les faits de l’espèce auraient dû inciter à évaluer la licéité d’une suspension de l’exécution de ce contrat, à l’initiative de l’organisme gestionnaire, au regard des dispositions pertinentes que sont les articles L. 311-4-1, III et L. 241-6, III in fine du CASF. Et une question intéressante aurait ainsi été posée au juge du contrat : le séjour peut-il être suspendu à raison d’un comportement imputable non à l’usager lui-même mais à un tiers ? Il aurait alors dû être procédé à l’interprétation du règlement de fonctionnement, dont l’article R. 311-37 prescrit qu’il définit une police des comportements justifiée par les nécessités du bon fonctionnement de l’établissement et de la sécurité des personnes.

Enfin, les faits de l’espèce devraient conduire à une interrogation sur l’identification de la personne physique compétente pour décider la suspension du contrat de séjour. Ici, c’est la présidente de l’Association qui a agi. Or les conditions techniques minimales d’organisation et de fonctionnement applicables aux IME – qui sont des établissements et service sociaux et médico-sociaux (ESSMS) pour enfants et adolescents affectés de déficience intellectuelle – prévoient que cette prérogative appartient au directeur en tant qu’il a, en vertu de l’article D. 312-20, la responsabilité générale du fonctionnement de l’établissement et qu’il est seul compétent pour prononcer l’admission en vertu de l’article D. 312-35 (et donc, implicitement, pour prononcer la sortie).

C’est l’occasion de rappeler que le contenu du document unique de délégation (DUD) institué par l’article D. 312-176-5 ne peut prévoir une répartition des prérogatives entre gouvernance et direction qui violerait les prévisions des conditions techniques minimales d’organisation et de fonctionnement relatives à la compétence propre du directeur. Si tel était pourtant le cas, deux difficultés pourraient apparaître, d’une part dans les relations individuelles de travail entre le directeur et son employeur (voir ce post sur la notion de compétence propre du personnel de direction indépendamment même du contrat de travail), d’autre part en cas de contrôle ou d’inspection.

CE, 1ère Ch., 30 décembre 2020, ADAPEI de Guyane, n° 435325

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