AUTISME : irrecevabilité du référé-liberté présenté par les parents d’un autiste confrontés à un manque de place en IME spécialisé

Jan 21, 2021Droit des associations et des ESMS, Droit public

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Par une ordonnance du 28 décembre 2020, le Conseil d’Etat a dit pour droit que le juge des référés ne peut accueillir en référé-liberté la demande d’injonction soumise par un parent en vue d’obtenir de l’Etat et de l’ARS une place pour la prise en charge de son enfant autiste dans un IME spécialisé. En effet, cette demande ne porte pas sur des mesures immédiates et provisoires.

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1. Les faits

Un garçon habitant dans l’Oise souffre d’une forme sévère d’autisme qui s’exprime, entre autres, par des comportements violents envers les autres, des tentatives d’automutilation, des violences verbales et physiques à l’école.

La Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDPAH) l’oriente vers un institut médico-éducatif (IME).

Par ailleurs, le groupe opérationnel de synthèse (GOS) de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) étudie la situation et propose plusieurs solutions d’accueil, d’accompagnement et de scolarisation permettant une prise en compte au moins partielle des besoins de l’enfant et de sa famille. Notamment, elle propose de faire accueillir le garçon dans un établissement médico-social belge.

La mère considère que ces propositions ne sont pas susceptibles de répondre aux besoins et décide d’engager une contestation contentieuse.

2. La procédure

L’action, engagée en référé-liberté, a pour objectif de contraindre le ministre de la santé et des solidarités ainsi que l’Agence régionale de santé (ARS), par le prononcé d’une astreinte, à :

  • établir une dérogation permettant la prise en charge de son fils dans l’établissement adapté qu’elle a expressément identifié ;
  • ou, à défaut, prendre toutes dispositions pour qu’une offre de soins permettant sa prise en charge un établissement médico-social adapté à son état lui soit présentée.

Elle fait valoir à cette fin les arguments suivants :

  • la condition d’urgence est remplie car son fils, atteint d’un syndrome autistique sévère, associé à des épisodes d’agressivité, n’est plus pris en charge depuis trois semaines. Cette situation peut entraîner une importante altération de son état et le placer, ainsi que son entourage, dans une situation potentiellement dangereuse ;
  • par ailleurs, cette même situation cause une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et familiale ainsi qu’au droit à l’éducation ;
  • enfin, l’absence de prise en charge par l’Etat, dans la mesure où elle révèle une carence, méconnaît l’obligation de résultat qui s’impose à la puissance publique s’agissant d’assurer la prise en charge effective des enfants handicapés.

En défense, le ministre soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie et qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

Le juge des référés du Tribunal administratif constate que la mère n’a pas accompli de démarches auprès de l’établissement de Belgique dans lequel la MDPH a indiqué qu’un accueil était possible. Dès lors, il rejette la requête car il considère qu’aucune urgence n’est caractérisée.

La requérante interjette appel.

3. La solution

Les parties invoquant les mêmes moyens, le juge des référés du Conseil d’Etat arbitre le différend en suivant le raisonnement suivant.

Avant tout, il vise les normes qui définissent les droits qui doivent être reconnus à l’enfant. Il s’agit :

  • non seulement du droit général à compensation dont jouissent toutes les personnes en situation de handicap, droit institué par l’article L. 114-1-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) ;
  • mais aussi d’un droit propre aux personnes affectées de troubles du spectre autistique (TSA) par l’article L. 246-1. Leur est ainsi reconnu le droit de bénéficier d’une prise en charge pluridisciplinaire tenant compte de leurs besoins et difficultés spécifiques, adaptée à leur état et à leur âge. Cette prise en charge particulière peut être d’ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social.

Ceci étant, il constate qu’en réalité, aucune place n’était disponible dans la structure belge. Au demeurant, il exprime un doute quant au fait qu’une prise en charge outre Quiévrain soit de nature à répondre aux exigences de la situation.

Pour lui, l’appréciation de l’urgence s’attachant au respect du droit spécifique reconnu à une personne atteinte de TSA ne peut dépendre de la seule analyse des démarches administratives qu’elle a accomplies pour bénéficier des prises en charge proposées par la MDPH. En effet, l’appréciation de cette urgence doit reposer sur une appréciation d’ensemble :

  • des caractéristiques du handicap,
  • de ses manifestations,
  • de la nature des services concernés,
  • de l’adéquation de ces mêmes services,
  • de leur mobilisation,
  • et des actions entreprises par la famille.

C’est pourquoi le juge des référés de première instance ne pouvait écarter l’urgence en se contentant de relever, de surcroît de manière erronée, que la mère n’avait pas entrepris de démarches administratives suffisantes.

Le Conseil d’Etat annule donc la motivation de l’ordonnance du juge du premier degré pour erreur de droit.

Pour épuiser le contentieux, le juge du Palais-Royal s’attache ensuite à la question à la compétence matérielle du juge des référés pour statuer sur les deux demandes de la mère.

A cet égard, il constate que la requête vise en réalité à compenser l’inaction de l’Etat qui n’a pas rempli l’enfant autiste de ces droits, alors même qu’aucun prétexte d’un manque de moyen ou encore de complexités procédurales ne peut être utilement invoqué par ce dernier pour s’exonérer de sa responsabilité. Il souligne que l’office du juge des référés se limite à répondre à l’urgence et à sauvegarder les droits et libertés fondamentaux par des mesures immédiates et provisoires.

Dès lors, pour le Conseil d’Etat, aucune des deux demandes de la mère (création de place dans un IME, octroi dérogation pour intégrer une structure d’accueil) ne peut relever de la compétence du juge des référés car elles n’ont pas le caractère de mesures immédiates et provisoires. D’ailleurs, le juge d’appel doute que ces deux objectifs puissent être atteints dans le respect de la légalité par la voie du référé.

C’est pourquoi l’incompétence matérielle du juge des référé est confirmée de ce chef. Cet argument d’incompétence est substitué à la motivation erronée de l’ordonnance de première instance dont le dispositif est confirmé. L’appelante est déboutée.

4. L’intérêt de l’ordonnance

Cette ordonnance présente un intérêt aussi bien pour les familles d’enfants autistes que pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) et les personnes publiques chargées d’organiser la réponse aux besoins sur les territoires..

Pour les premières, force est de constater que le juge des référés du Conseil d’Etat :

  • ne nie pas que le droit à l’intimité de la vie privée et familiales, le droit général à compensation, le droit particulier à une prise en charge spécifique de l’autisme et le droit à l’éducation constituent des droits et libertés fondamentales relevant de la compétence du juge des référés saisi par une requête en référé-liberté ;
  • admet la responsabilité de plein droit de l’Etat en cas de défaut de prise en charge adaptée. Il s’agit là d’un simple rappel de la jurisprudence constante de la Haute juridiction en la matière ;
  • exprime des réserves sur le fait que l’Etat puisse s’acquitter de ses obligations en proposant une prise en charge à l’étranger.

Au vu de ces éléments, il est clair que l’évolution de l’offre en vue de satisfaire les besoins d’accueil et d’accompagnement des enfants et adolescents autistes ne pourra résulter que de l’engagement massif d’actions en responsabilité extracontractuelle par leurs parents. A défaut d’une telle initiative militante, rien n’obligera l’Etat à accroître cette offre de manière satisfaisante.

Pour les deuxièmes, l’ordonnance commentée ici apporte un éclairage intéressant sur les limites juridiques de l’action de la puissance publique en matière de traitement de demandes de prise en charge non satisfaites. En effet, il est clairement souligné que les demandes formulées par la mère ne peuvent être accueillies car elles sont illégales a priori. Il faut en effet convenir que, d’un strict point de vue juridique :

  • la création de places ne peut intervenir que sous la forme d’une autorisation d’extension non importante, au sens des articles L. 313-1-1, II, 1° et D. 313-2 du CASF, à l’initiative des seuls organismes gestionnaires qui doivent solliciter cette autorisation pour l’obtenir ;
  • aucun texte ne donne compétence à une ARS pour délivrer une dérogation afin de permettre l’accueil de la personne autiste sans solution de prise en charge.

A ces deux objections énoncées en l’espèce par le juge doivent s’ajouter deux autres considérations juridiques qui contreviennent à certaines pratiques observées d’expérience :

  • l’orientation par la CDAPH d’une personne en situation de handicap, non vers une seule mais vers plusieurs catégories d’interventions – c’est-à-dire vers plusieurs types d’ESSMS au sens du I de l’article L. 312-1 – est manifestement illégale, comme son orientation par défaut vers une catégorie dans l’attente d’une place disponible dans un ESSMS relevant d’une autre est intrinsèquement illicite. En effet, les besoins d’une personne en situation de handicap ne peuvent être satisfaits indistinctement pas des modalités d’intervention dont les missions et le plateau technique notamment sont distincts. de surcroît, cette pratique douteuse – loin d’être rare – conduit nécessairement à une forme de maltraitance institutionnelle que l’ESSMS de séjour actuel n’a pas provoquée mais de laquelle il est condamné par la CDAPH à être complice, au préjudice la personne accueillie ou accompagnée ;
  • l’admission d’une personne en situation de handicap en surcapacité caractérise la commission d’un délit dont les professionnels peuvent être tenus pour pénalement responsables.

Enfin, pour les troisièmes, il apparaît à l’occasion de ce contentieux que l’objectif d’une offre sur les territoires propre à ne laisser aucune personne au bord de la route, dans l’esprit du rapport Piveteau de juin 2014, est loin d’être atteint. La décision rendue illustre bien le fait que la mise en place de logiques de réseau (GOS, “communautés 360”, PTA) dans une perspective d’optimisation de l’offre existante ne suffira pas à apporter les corrections nécessaires : la logique de parcours n’est pas une baguette magique car la mise en adéquation de l’offre passera inéluctablement par l’augmentation des capacités autorisées dans les ESSMS spécialisés.

CE, Réf., 28 décembre 2020, Mme C… B… c/ Ministre de la santé et des solidarité & ARS d’Ile-de-France et des Hauts-de-France, n° 447411

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