PJJ : inconstitutionnalité des déférés au Parquet et audiences pénales en visioconférence pendant l’état d’urgence sanitaire

Juin 7, 2021Droit des associations et des ESMS

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Le 4 juin 2021, le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnelles les dispositions de l’état d’urgence sanitaire ayant permis la réalisation des déférés au Parquet et des audiences pénales en visioconférence, compte tenu de l’importance primordiale de la comparution physique des prévenus.

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1. Les faits

L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière pénale a autorisé le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales et pour les présentations devant le procureur de la République ou devant le procureur général, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties. Il précisait que :

  • le moyen de télécommunication utilisé doit permettre de certifier l’identité des personnes et garantir la qualité de la transmission ainsi que la confidentialité des échanges ;
  • le magistrat s’assure à tout instant du bon déroulement des débats et il est dressé procès-verbal des opérations effectuées ;
  • le magistrat organise et conduit la procédure en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats.

Un prévenu, rejoint par plusieurs organisations syndicales d’avocats et de magistrats et une association de défense des droits des détenus contestent cette disposition.

Les parties, rejointes en intervention par le Conseil national des Barreaux (CNB) et la Conférence des Bâtonniers, considèrent en effet que ces dispositions :

  • sont semblables à celles qui ont été déclarées contraires à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 2021 ;
  • méconnaissent les droits de la défense pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans cette décision ;
  • permettent un recours particulièrement large à la visioconférence devant les juridictions pénales ;
  • n’apportent aucune précision quant aux conditions dans lesquelles le juge peut décider d’y recourir ;
  • sont contraires au droit à un recours juridictionnel effectif et au droit à un procès équitable.

2. La procédure

Les parties saisissent la Chambre criminelle de la Cour de cassation d’un question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Celle-ci, par un arrêt du 2 mars 2021, admet la recevabilité de cette question et la transmet au Conseil constitutionnel.

3. La solution

Le juge constitutionnel rappelle d’abord qu’en vertu l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » et que ce texte inclut la protection des droits de la défense.

Il relève ensuite que les dispositions contestées, applicables jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020 mentionné prorogé dans les conditions prévues par l’article L. 3131-13 du code de la santé publique, permettent de recourir à la visioconférence devant les juridictions pénales sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties.

Poursuivant son raisonnement, le Conseil constitutionnel opère la balance entre :

  • l’objectif de favoriser la continuité de l’activité des juridictions pénales malgré les mesures d’urgence sanitaire prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie de CoViD-19. Sont alors en jeu le respect de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ainsi que la mise en œuvre du principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice ;
  • l’importance de la garantie qui peut s’attacher à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction pénale.

Ceci étant, il constate que :

  • les dispositions contestées permettent aux juridictions pénales d’imposer au justiciable le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle dans un grand nombre de cas ;
  • si le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle n’est qu’une faculté pour le juge, les dispositions contestées ne soumettent son exercice à aucune condition légale et ne l’encadrent par aucun critère.

Il en déduit que les dispositions en cause portent une atteinte aux droits de la défense que ne pouvait justifier le contexte sanitaire particulier résultant de l’épidémie de CoViD-19 durant leur période d’application. Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, ces dispositions doivent être déclarées contraires à la Constitution.

Toutefois, le Conseil constitutionnel décide de procéder à l’aménagement, dans le temps, des effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité. Sur ce point :

  • il constate d’abord que le texte en cause a été abrogé par la loi du 31 mai 2021 ;
  • il estime ensuite que la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions inconstitutionnelles méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives.

Dès lors, le Conseil constitutionnel juge que les décisions de justice prises en application du dispositif de visioconférence des audiences pénales ne peuvent être remises en cause.

4. L’intérêt de la solution

La solution dégagée par le Conseil constitutionnel a manifestement une valeur symbolique.

En effet, si l’inconstitutionnalité du dispositif de visioconférence des audiences pénales est avérée, pour autant le juge constitutionnel prive ici les justiciables concernés de toute possibilité de contestation judiciaire.

Sans doute s’agit-il donc d’une exhortation adressée au Gouvernement et au législateur dont l’utilité ne sera avérée que dans la perspective du débat de dispositions analogues devant le Parlement.

Toutefois, les acteurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) trouveront intérêt à prendre cette décision en considération, dans la mesure où elle souligne le caractère primordial de la convocation en personne du prévenu devant le Parquet et les juridictions pénales, même pendant l’état d’urgence sanitaire. En absence de garantie que la crise sanitaire actuelle cessera bientôt définitivement, il conviendra d’observer attentivement ce que pourrait contenir une éventuelle nouvelle législation d’exception.

C. Constit., 4 juin 2021, Wattara, Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM) & Association pour la défense des droits des détenus, n° 2021-919 QPC

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