EVALUATION : le CNCPH rend un avis favorable avec réserves sur le projet de décret d’application du nouveau dispositif

Juin 22, 2021Droit des associations et des ESMS

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Le 18 juin 2021, le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), consulté sur le projet de décret d’application de la loi OTSS instituant le nouveau dispositif de l’évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), a rendu un avis favorable avec réserves qu’il est intéressant d’analyser. Cet avis fait suite à l’annonce faite par le Gouvernement par lettre du 16 décembre 2020.

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Le projet de décret, relatif à l’application de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (dite “loi OTSS”), qui a été soumis à la consultation du CNCPH prévoit que :

  • en sus de l’habilitation délivrée aux évaluateurs par la Haute autorité de santé (HAS), l’accréditation de ces derniers par le Comité français d’accréditation (COFRAC) sera également obligatoire. L’objectif poursuivi est de renforcer les garanties d’indépendance, d’impartialité, de professionnalisme et de compétence des évaluateurs ;
  • la réalisation des évaluations fera l’objet d’un arrêté de programmation au plus tard le 1er juillet 2022 pour une mise en oeuvre au 1er juillet 2023. Il s’agit ici d’organiser la concordance des évaluations avec les échéances des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) et de rendre plus aisé l’examen “lissé” des rapports d’évaluation par les services administratifs compétents ;
  • les rapports d’évaluation seront adressés aux autorités administratives mais aussi à la Haute autorité de santé (HAS) ;
  • l’entrée en vigueur du nouveau dispositif sera aménagée selon un calendrier transitoire 2022-2023.

Le CNCPH a exprimé 6 réserves sur le projet de texte :

  • le calendrier transitoire est trop complexe ;
  • en l’absence d’un rappel préalable au Conseil des dispositions la loi OTSS, de ses grands axes et du référentiel d’évaluation de la HAS qui doit l’accompagner, la pertinence du décret n’est pas compréhensible ;
  • le lien opéré entre évaluation de la qualité et autorisation n’est pas compréhensible ;
  • la personne qui supportera le surcoût de l’évaluation engendré par le recours au COFRAC pour l’accréditation des futurs organismes d’évaluation n’est pas connue ;
  • l’usage que fera la HAS des rapports d’évaluation n’est pas défini ;
  • l’absence de la HAS au travaux du Conseil sur ce texte est regrettable car elle est directement concernée ;
  • le Conseil déplore l’absence des acteurs du champ médico-social dans la commission médico-sociale de la HAS qui suit, entre autres, les travaux de construction du référentiel d’évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).

Si l’on fait abstraction de la réserve relative au calendrier transitoire – qui n’a qu’un intérêt conjoncturel – plusieurs observations peuvent être formulées à propos des réserves qui ont été soulevées par le CNCPH.

1. Sur l’absence de présentation au Conseil, à titre préliminaire mais aussi de rappel, des dispositions de la loi OTSS

il faut indiquer que la composition du CNCPH est la suivante :

  • collège des représentants des Associations de personnes en situation de handicap ou leurs familles : 62 membres ;
  • collège des représentants des Associations ou organismes professionnels : 33 membres ;
  • collège des personnes qualifiées : 24 membres ;
  • collège des représentants des organisations syndicales de salariés interprofessionnelles représentatives au plan national et des organisations professionnelles nationales d’employeurs : 11 membres ;
  • collège des organisations nationales et institutionnelles agissant notamment dans les domaines de la prévention, l’emploi, la protection sociale et la recherche : 24 membres ;
  • collège des représentants des territoires, des organismes consultatifs nationaux et des assemblées parlementaires : 6 membres.

Compte tenu de cette composition, à l’exception – certes notable – des représentants des personnes en situation de handicap, tous les membres des autres collèges sont des professionnels concernés par la politique publique en matière de handicap. Ils auraient donc dû étudier attentivement la “loi OTSS” au vu de l’ordre du jour du CNCPH, afin d’acquérir un niveau d’information juridique et technique suffisant. L’argument est à ce point peut convaincant qu’il est sans doute purement rhétorique.

2. Sur l’incompréhension du lien opéré entre évaluation de la qualité et autorisation

Là non plus, l’argument n’est guère convaincant. En effet, les membres professionnels du CNCPH, notamment les représentants des organismes gestionnaires d’ESSMS, ne peuvent faire semblant d’ignorer que ce dispositif, dont la philosophie est directement inspirée du new public management, a pour objet de renforcer le contrôle de la puissance publique sur les ESSMS, au point si nécessaire de remettre en cause l’existence même des structures.

Comme toujours en pareil cas – les exemples analogues sont nombreux dans le Livre III du Code de l’action sociale et des familles (CASF), que l’on songe par exemple au contrat de séjour ou au CPOM – l’outil juridique est ambivalent, à la fois politiquement correct (ici, l’élévation du niveau de qualité des prestations ne peut être considérée comme non souhaitable) et techniquement suspect (la sanction de la non qualité par le non renouvellement de l’autorisation est le levier d’une recomposition unilatérale de l’offre dont les organismes gestionnaires sont purement et simplement exclus).

3. Sur le poids du surcoût de l’accréditation des évaluateurs par le COFRAC

Sur ce point la réserve du CNCPH est encore surprenante. En effet, les activités d’évaluation des ESMSS sont exercées de manière lucrative par des professionnels indépendants ou des sociétés. Si la règlementation vient à leur imposer une accréditation, alors le coût de celle-ci sera supporté par les évaluateurs eux-mêmes car ils ne pourront se passer de ce viatique pour exercer. Le coût d’accréditation COFRAC sera très probablement répercuté par les évaluateurs, de manière lissée, sur le prix des prestations d’évaluation.

L’important sera donc, pour les ESSMS, de veiller à une prise en charge intégrale du prix des prestations par les produits de la tarification. Autrement dit, la puissance publique qui génère ces nouveaux coûts d’agence devra en porter seule la charge financière intégrale.

4. Sur l’usage fait par la HAS des rapports d’évaluation

Il est logique que la HAS soit destinataire d’une copie des rapports d’évaluation dans la mesure où elle exerce une police administrative sur les évaluateurs habilités : les travaux de mauvaise qualité seront susceptibles de provoquer la suspension ou le retrait de l’habilitation de leurs auteurs.

Ceci étant, La réserve formulée par le CNCPH est tout à fait intéressante à un autre titre mais l’interpellation qui en est résultée aurait pu être plus claire. En effet, il est possible de faire une analogie entre le processus d’évaluation social et médico-social et le dispositif de la certification des établissements de santé par la HAS ; cette analogie se justifie par une philosophie mais aussi par une architecture communes aux deux mécanismes. Or, en droit des institutions sanitaires, le rapport de certification de l’établissement de santé est publié sur le site de la HAS. Il ne faut donc pas exclure qu’à plus ou moins long terme – la gouvernance publique du secteur social et médico-social est politiquement plus délicate à réformer que celle du secteur sanitaire, comme l’a démontré le décalage entre la réforme hospitalière de 1996 et la mise en oeuvre progressive de la rénovation des institutions sociales et médico-sociales partir du milieu des années 2000 – les rapports d’évaluation soient portés à la connaissance du public sur le site Internet de la HAS.

5. Sur l’absence de la HAS lors des débats au CNCPH

Il est très probable que les services de la HAS aient été très étroitement associés à la rédaction du projet de décret par la direction des affaires juridiques des ministères sociaux (DAJMS/SDL/1), comme en leur temps ceux de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) l’avaient été, par exemple, sur le décret relatif au cahier des charges de l’évaluation.

Dès lors que la présentation du texte au CNCPH avait une portée politique, sans doute n’était-il pas nécessaire d’y associer les services techniques. Au demeurant, si le contraire avait eu lieu, alors cela aurait pu signifier que le Gouvernement n’excluait pas la possibilité de modifier ce projet de décret partir des observations formulées par les membres du Conseil, ce qui n’était sans doute pas souhaité.

6. Sur l’absence des acteurs du champ médico-social dans la commission médico-sociale de la HAS

La mise en oeuvre du dispositif de l’évaluation des ESMSS relève de la compétence de la HAS en vertu de l’article L. 161-37, 15° du Code de la sécurité sociale (CSS). Celle-ci fonctionne en commissions spécialisées, dont une dédiée à la production du référentiel d’évaluation et ce, conformément aux articles L. 161-41 du CSS et L. 312-8, in fine du CASF. La composition de cette commission spécialisée, appelée “Commission de l’évaluation et de l’amélioration de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux”, est définie par l’article R. 312-207 du CASF :

  • 25 membres titulaires ayant voix délibérative, nommés par décision du collège de la Haute Autorité de santé, pour une durée de trois ans renouvelable deux fois : 
    • 21 membres choisis principalement en raison de leurs compétences scientifiques ou techniques dans le domaine des ESSMS, dont un président et un vice-président choisis au sein du collège de la HAS, et deux autres vice-présidents. Le président de la Commission et le vice-président choisis au sein du collège de la HAS sont nommés par décision du président de la HAS ; 
    • 4 membres choisis parmi les adhérents d’une association d’usagers d’une ESSMS ;
  • 8 membres suppléants qui assistent aux séances avec voix consultative, pour suppléer éventuellement l’absence des membres titulaires ;
  • 9 membres ayant une voix consultative : 
    • le directeur général de la cohésion sociale (DGCS) ;
    • le directeur général de la santé (DGS) ;
    • le directeur de la sécurité sociale (DSS) ;
    • le directeur général de l’offre de soins (DGOS) ;
    • le directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ;
    • le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse (DNPJJ) ;
    • le directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) ;
    • le directeur de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) ;
    • le président de l’Assemblée des départements de France (ADF).

S’il est vrai que cette composition ne prévoit aucun siège pour un représentant des organismes gestionnaires, cela n’est point nouveau : la composition de la commission spécialisée a été définie par le décret n° 2018-465 du 11 juin 2018. C’est pourquoi, s’il est utile que le CNCPH dénonce cette situation, pour autant celle-ci dure depuis plus de trois ans … Et ne changera pas, sauf si les têtes de réseau du secteur engagent une négociation en créant un rapport de force favorable à leur revendications.

Malheureusement, les représentants des organismes gestionnaires n’auront peut-être pas la possibilité de donner leur avis via le Comité national de l’organisation sanitaire et sociale (CNOSS). Car les missions du CNOSS en matière sociale et médico-sociale, mentionnées à l’article R. 312-177 du CASF, ne prévoient pas de consultation obligatoire pour ce type de projet de texte règlementaire … La consultation de la Section sociale du CNOSS dépend donc à présent du bon vouloir du ministre des solidarités et de la santé.

En tout cas, on est bien loin aujourd’hui de l’esprit de la loi du 2 janvier 2002, laquelle avait institué le Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale (CNESMS). L’une des missions de ce conseil était de valider ou élaborer et de diffuser les outils et instruments formalisant les procédures, références et recommandations de bonnes pratiques professionnelles ; il comprenait alors 9 représentants des têtes de réseau des organismes gestionnaires (décret n°2003-1134 du 26 novembre 2003).

En définitive, on pourrait se demander pourquoi le CNCPH a rendu un avis favorable.

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