
Par un arrêt du 29 juillet 2021, la Cour administrative d’appel (CAA) de Lyon a jugé qu’une professeure des écoles, ayant auparavant exercé à titre salarié le métier d’enseignant dans l’unité d’enseignement (UE) de deux instituts médico-éducatifs (IME), n’a pas de droit à reprise d’ancienneté pour la détermination de son classement dans la grille indiciaire.
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1. Les faits
Une enseignante est employée pendant 17 ans, sous contrat de travail de droit privé, pour exercer un emploi d’enseignante des activités physiques et sportives dans l’unité d’enseignement (UE) de deux IME successifs.
Par la suite, elle intègre sur concours le corps des professeurs des écoles. A cette occasion, elle sollicite du directeur des services départementaux de l’éducation nationale (DASEN) qu’il fasse procéder à la reprise de son ancienneté d’enseignante pour les besoins de son classement de la grille indiciaire (avancement d’échelon).
En effet, l’intéressée estime avoir droit à une reprise d’ancienneté de 10 ans en application de l’article 7 bis, 2° du décret n°51-1423 du 5 décembre 1951 portant règlement d’administration publique pour la fixation des règles suivant lesquelles doit être déterminée l’ancienneté du personnel nommé dans l’un des corps de fonctionnaires de l’enseignement relevant du ministère de l’éducation nationale (EN).
Cette prise en compte lui est refusée. Elle forme alors un recours gracieux qui est rejeté.
2. La procédure
L’enseignante saisit le Tribunal administratif (TA) pour que soient annulées les décisions de refus puis de rejet de son recours gracieux. Elle demande par ailleurs que l’EN soit enjointe à prendre en compte ses services antérieurs.
Le Tribunal rejette sa requête.
L’intéressée interjette appel.
3. La solution
L’enseignante soutient que le TA a commis une erreur de droit en se fondant exclusivement sur le statut des IME pour rejeter sa requête ; elle réitère donc ses demandes.
Le recteur conclut au rejet de ces prétentions, les considérant infondées.
La Cour administrative d’appel (CAA) considère le droit applicable et se réfère à cette fin à :
- l’article L. 112-1 du Code de l’éducation (C. Éduc.) en vertu duquel le service public de l’éducation doit assurer la scolarisation des enfants en situation de handicap, y compris dans les IME, étant précisé que dans ce cas, la formation reçue est complétée par des interventions pédagogiques, psychologiques, éducatives, sociales, médicales et paramédicales coordonnées dans le cadre du projet personnalisé ;
- l’article L. 312-1, I, 2° du Code de l’action sociale et des familles (CASF) qui définit les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) pour enfants et adolescents en situation de handicap comme des structures assurant, à titre principal, une éducation adaptée et un accompagnement social ou médico-social aux mineurs ou jeunes adultes handicapés ou présentant des difficultés d’adaptation ;
- l’article D. 312-0-1 du CASF qui rattache les IME à la catégorie des ESSMS de l’article L. 312-1, I, 2° du même code ;
- l’article D. 312-0-3 du CASF qui désigne comme publics admissibles en ESSMS pour personnes handicapées, soit toutes les personnes en situation de handicap, soit certaines d’entre elles seulement en fonction de critères populationnels plus précis (déficience intellectuelle, troubles du spectre de l’autisme, handicap psychique, troubles du comportement, polyhandicap, déficience motrice, troubles de la communication, lésions cérébrales, handicap cognitif spécifique) ;
- l’article D. 351-17 C. Éduc. qui prévoit la possibilité de créer une unité d’enseignement (UE) dans les ESSMS élevant de l’article L. 312-1, I, 2° du CASF au profit d’enfants ou d’adolescents qui ne peuvent effectuer leur scolarité à temps plein dans une école ou un établissement scolaire.
Puis le juge d’appel rappelle les dispositions statutaires applicables aux professeurs des écoles (PE) en matière de reprise d’ancienneté :
- l’article 20 du décret n°90-680 du 1 août 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles, en vertu duquel doivent être reprises au profit des PE recrutés sur concours :
- à hauteur des 2/3, les années d’enseignement dans une classe hors contrat d’établissement d’enseignement privé ;
- en totalité, les années d’enseignement dans une classe sous contrat ;
- l’article 7 bis du décret n°51-1423 du 5 décembre 1951 portant règlement d’administration publique pour la fixation des règles suivant lesquelles doit être déterminée l’ancienneté du personnel nommé dans l’un des corps de fonctionnaires de l’enseignement relevant du ministère de l’éducation nationale. Le texte prévoit en effet que les années d’enseignement accomplies par les PE, avant leur nomination, dans des établissements d’enseignement privés, entrent en compte dans l’ancienneté pour l’avancement d’échelon, à condition qu’il se soit agi :
- ou bien de services effectifs d’enseignement dans une classe hors contrat (reprise de 2/3 de l’ancienneté) ;
- ou bien de services effectifs d’enseignement et de direction accomplis dans les établissements ou classes sous contrat (reprise de toute l’ancienneté).
Conjuguant ces textes, la CAA interprète la notion de services effectifs d’enseignements pour apprécier si elle est caractérisée dans la situation de la requérante. Ce faisant, elle considère que les IME, conjuguant prise en charge éducative et accompagnements sociaux et médico-sociaux, Toutefois, ne dispensent pas une activité d’enseignement encadrée par un programme pédagogique au sens du décret de 1951. De plus, elle estime que l’existence d’une UE ne constitue qu’un complément à la prise en charge éducative et sociale de l’IME, sans modifier la nature de cette prise en charge. Elle en déduit qu’en IME, l’activité des enseignants ne constitue pas un service effectif d’enseignement.
Dès lors, elle déboute l’appelante.
4. L’intérêt de la solution
Cet arrêt mérite d’être commenté en ce qu’il se caractérise à la fois par une violation de la loi et une erreur manifeste d’appréciation.
4.1. Une violation de la loi
Il est juridiquement avéré que les enseignants exerçant dans l’UE d’un IME assurent une activité d’enseignement conforme à un programme pédagogique et ce, pour les raisons suivantes.
D’abord et de manière générale :
- l’existence même des UE se justifie par le devoir de l’Etat d’assurer la scolarisation des enfants et adolescents en situation de handicap. L’article L. 351-1 C. Éduc. proclame cette obligation et précise à dessein, dans son alinéa 2, que l’enseignement peut être dispensé indifféremment par des fonctionnaires ou des maîtres de l’enseignement privé sous contrat. A cet égard, force est de constater que le juge d’appel n’a pas caractérisé le fait que l’intéressée aurait exercé, non dans une classe sous contrat mais dans une classe hors contrat. Dès lors, il y a lieu de considérer que son activité tenait à la satisfaction, par l’Etat, de son obligation de scolarisation ;
- l’article D. 351-17 C. Educ. dispose qu’une UE a vocation garantir la scolarisation et la continuité des parcours de formation des enfants et adolescents présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant qui nécessite un séjour dans un ESSMS. Il s’agit là d’une modalité de mise en oeuvre de l’obligation scolaire et l’égalité des droits et obligations des enfants, à l’égard de cette obligation, est le principe ;
- l’article D. 351-18 du même code précise que la création de l’UE donne lieu à la signature d’une convention par l’organisme gestionnaire et l’Etat. Dans ce cadre, l’UE “met en oeuvre tout dispositif d’enseignement concourant à la réalisation du projet personnalisé de scolarisation, au service du parcours de formation de l’élève”. Le projet pédagogique de l’UE constitue un volet du projet de l’établissement. La convention doit notamment préciser les caractéristiques populationnelles des enfants et adolescents, l’organisation de l’UE, le nombre et la qualification des enseignants, les modalités de coopération avec les écoles et établissements scolaires de l’EN, le rôle du directeur et du responsable pédagogique ainsi que les locaux scolaires. Il est donc patent, là aussi, qu’une UE d’IME est un lieu où s’exerce le service public de l’éducation.
De manière plus particulière ensuite, on ne pourra que constater que l’activité d’une UE d’IME s’exerce explicitement en référence aux programmes de l’EN. Sur ce point, l’article 2 de l’arrêté du 2 avril 2009 précisant les modalités de création et d’organisation d’UE dans les établissements et services médico-sociaux ou de santé pris pour l’application des articles D. 351-17 à D. 351-20 du Code de l’éducation est des plus clairs :
“La convention prévue à l’article D. 351-18 du Code de l’éducation précise notamment :
a) Le projet pédagogique de l’unité d’enseignement : ce projet, élaboré par les enseignants de l’unité d’enseignement, constitue un volet du projet de l’établissement ou service médico-social, ou du pôle de l’établissement de santé. Il est élaboré à partir des besoins des élèves dans le domaine scolaire, définis sur la base de leurs projets personnalisés de scolarisation. Il s’appuie sur les enseignements que ces élèves reçoivent dans leur établissement scolaire de référence défini à l’article D. 351-3 du code de l’éducation ou dans l’établissement scolaire dans lequel ils sont scolarisés afin de bénéficier du dispositif adapté prévu par leur projet personnalisé de scolarisation. Pour les élèves pris en charge par un établissement de santé, ce projet pédagogique tient compte du projet de soins.
Ce projet pédagogique décrit les objectifs, outils, démarches et supports pédagogiques adaptés permettant à chaque élève de réaliser, en référence aux programmes scolaires en vigueur, en complément ou en préparation de l’enseignement reçu au sein des établissements scolaires, les objectifs d’apprentissage fixés dans son projet personnalisé de scolarisation à la suite des évaluations conduites notamment en situation scolaire, en application de l’article D. 351-6 du Code de l’éducation. Il tient compte du ou des modes de communication retenus en fonction du choix effectué par les familles des jeunes déficients auditifs, en application des dispositions de l’article R. 351-25 du Code de l’éducation.
b) Les caractéristiques de la population des élèves qui bénéficient des dispositifs mis en œuvre par l’unité d’enseignement, notamment leur âge et la nature de leurs troubles de santé invalidants ou de leur handicap.
c) L’organisation de l’unité d’enseignement portant sur :
― la nature et les niveaux des enseignements dispensés en référence aux cycles correspondants dans l’enseignement scolaire ;
― la nature des dispositifs mis en œuvre pour rendre opérationnel le projet personnalisé de scolarisation des élèves, et notamment : aides spécifiques apportées au sein d’un établissement scolaire ou dans le cadre d’un service hospitalier ; collaborations particulières établies avec certains établissements scolaires, en précisant dans ce dernier cas les établissements concernés, les modalités pratiques des interventions au sein des locaux scolaires et les lieux d’intervention ; enseignement dispensé dans le cadre de l’établissement médico-social ou de santé.
d) Les modalités de coopération entre les enseignants exerçant dans les unités d’enseignement et les enseignants des écoles ou établissements scolaires concernés par la convention : cette coopération porte notamment sur l’analyse et le suivi des actions pédagogiques mises en œuvre, leur complémentarité, ainsi que sur les méthodes pédagogiques adaptées utilisées pour les réaliser. Elle porte également sur les modalités de travail en commun : fréquence, composition et organisation des réunions pédagogiques.
e) Les moyens d’enseignement dont sont dotées les unités d’enseignement :
1° Ils sont fixés par l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale, sous l’autorité du recteur d’académie, sous la forme d’une dotation globale en heures d’enseignement qui tient compte notamment :
― du nombre d’élèves scolarisés au titre de l’unité d’enseignement, que cette scolarisation ait lieu au sein des locaux de l’établissement médico-social ou de santé ou bien qu’elle prenne la forme d’actions de soutien aux élèves par les enseignants de l’unité d’enseignement, dispensées dans l’établissement scolaire de ceux-ci ;
― des caractéristiques de l’établissement ou du service ;
― du nombre de groupes constitués en fonction des niveaux d’enseignement dispensés et des besoins particuliers des élèves ou du nombre d’élèves suivis et du lieu de ce suivi (domicile, établissement scolaire) ;
― des modalités de déroulement de la scolarité et des objectifs inscrits dans les projets personnalisés de scolarisation ;
― de la durée et du lieu de scolarisation des élèves ;
― des obligations réglementaires de service des enseignants ;
― des besoins d’articulation et de concertation entre l’ensemble des acteurs des projets personnalisés de scolarisation, notamment les enseignants.
(…)
f) Le rôle du directeur, représentant légal de l’établissement ou service et du coordonnateur pédagogique dans le fonctionnement de l’unité d’enseignement.
g) La configuration des locaux dans lesquels les dispositifs d’enseignement de l’unité d’enseignement sont mis en œuvre : cette configuration, les caractéristiques et les équipements nécessaires de ces locaux sont conformes à la réglementation en vigueur en matière d’hygiène, de sécurité, d’accessibilité et adaptés aux activités d’enseignement et aux besoins des élèves qui y sont accueillis.
(…)”
Au vu de ces dispositions, le fait qu’un enseignant en UE d’IME accomplisse un service effectif d’enseignement référant aux programmes et cycles pédagogiques de l’EN en vigueur dans les écoles publiques ne fait absolument aucune doute. Et, faut-il le préciser, cet enseignant effectue son service sous le contrôle d’un coordonnateur pédagogique.
Pour résumer, l’UE d’un IME n’est rien d’autre qu’une école “incrustée” dans l’établissement ; elle a exactement les mêmes caractéristiques pédagogiques qu’un établissement scolaire de l’EN.
4.2. Une erreur manifeste d’appréciation
En refusant de reconnaître que la requérante avait exercé un service effectif d’enseignement, la CAA a témoigné d’une méconnaissance – bien normale – de l’évolution de la fonction pédagogique dans les ESSMS pour enfants et adolescents.
En effet, l’entrée en vigueur de la loi du 11 février 2005 et le développement de l’école inclusive ont conduit l’EN à rappeler à elle les enseignants spécialisés qui, auparavant, faisaient la classe en ESSMS et ce, pour les affecter soit dans les établissements scolaires de référence, soit dans les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) comme enseignants-référents, soit comme responsables des projets personnalisés de scolarisation (PPS), soit enfin dans les services du DASEN administrant les activités scolaires en lien avec le handicap (ex. : IEN-ASH). Dès lors, les organismes gestionnaires se sont parfois retrouvés sans enseignants pour les UE de leurs ESSMS et ont dû, pour pallier aux carences de l’EN, recruter des enseignants sous statut privé.
Pour conclure, il faut donc espérer que cet arrêt d’appel sera soumis, en cassation, à l’appréciation du Conseil d’Etat pour que la réalité des activités d’enseignement en UE d’IME soit reconnue conformément au droit et à la réalité des faits.
CAA Lyon, 7ème Ch., 29 juillet 2021, Mme B… D… c/ Recteur de l’académie de Lyon, n° 20LY02076