Par un jugement du 30 octobre 2020, le Tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale (TITSS) de Paris a notamment décidé que la proposition budgétaire d’un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) afférente aux frais de siège doit être rejetée lorsqu’elle s’explique par une évolution des services du siège qui n’a pas été autorisée.
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Ce commentaire ne traite pas de l’intégralité de la décision mais seulement de ceux de ses développements qui concernent les frais de siège.
1. Les faits
Les propositions budgétaires du SAVS géré par une Association font l’objet d’abattements à l’issue de la procédure budgétaire règlemntaire. Parmi les sommes rejetées figure le montant de la quote-part des frais du siège social autorisé.
L’organisme gestionnaire insatisfait forme un recours gracieux qui est rejeté ; il saisit alors le TITSS.
2. La procédure
L’organisme gestionnaire fait valoir que l’autorité de tarification n’a pas démontré d’absence ou d’insuffisance des services rendus aux établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) gérés et que, par conséquent, l’abattement pratiqué est injustifié.
En défense, le tarificateur indique que :
- l’abattement réalisé sur le montant du groupe III se jutifie par le fait que le service a inscrit une prévision de dépense supérieure à celle définie par l’autorisation du siège social (NB : c’est ce tarificateur qui avait délivré l’autorisation en question). En effet, l’autorisation portait sur une valeur budgétaire initiale assortie d’une indexation annuelle pour la faire progresser d’exercice en exercice (+0,75%/an) ;
- lors de la procédure contradictoire, il a été indiqué à l’organisme gestionnaire que la prise en compte du développement des activités du siège social – et de ses conséquences financières- devrait intervenir à l’occasion du diagnostic préalable à la négociation d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) ;
- l’accroissement de l’activité du siège social ayant servi de base à la proposition de dépense de quote-part des frais de siège aurait dû faire l’objet d’une demande de révision de l’autorisation en vigueur, une telle révision équivalant formellement à une demande initiale. Or l’Association n’a déposé aucun dossier, ce qui justifie que sa prévision de dépense soit rejetée.
3. La solution
Le TITSS rappelle les dispositions législatives et règlementaires applicables :
- l’article L. 314-7 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), qui prévoit le principe de l’incorporation de quotes-parts des frais de siège dans les budgets des ESSMS, lorsque le siège social leur rend des services utiles à l’exercice de leur mission ;
- l’article R. 314-87, qui subordonne la possibilité d’inclure ces quotes-parts à une autorisation fixant la nature des prestations, matérielles ou intellectuelles à financer ;
- l’article R. 314-88, qui définit la nature des prestations finançables et prévoit une liste règlementaire des renseignements et pièces à joindre à la demande d’autorisation ou de révision d’autorisation.
Ceci fait, le juge apprécie les faits de l’espèce, considérant que :
- les propositions budgétaires de l’Association gestionnaire pour son siège doivent être regardées, eu égard aux mesures nouvelles envisagées, comme une demande de révision de l’autorisation initiale ;
- or l’organisme gestionnaire n’a pas produit l’ensemble des renseignements et pièces exigées par la réglementation.
Dès lors, il décide que l’autorité de tarification pouvait refuser de financer les mesures nouvelles incluses dans le budget du siège et, par voie de conséquence, la quote-part supplémentaire de frais de siège inscrite dans le budget du SAVS.
4. L’intérêt du jugement
Ce jugement présente un grand intérêt, tant les questions de pur droit et les considérations pratiques s’entremêlent intimement.
Le régime de l’autorisation des sièges sociaux en vue de l’incorporation, au compte 655, de quotes-parts dans les budgets des ESSMS présente une subtilité qu’il faut rappeler.
En effet, cette autorisation est requise pour pouvoir intégrer, dans les budgets, des quotes-parts de frais de siège. Elle est à ce point déterminante que lorsque son existence est invoquée au contentieux alors même que l’organisme gestionnaire n’est pas en mesure de la produire, le juge du tarif a l’obligation d’en vérifier la réalité et, s’il n’ordonne pas de mesure d’instruction pour en obtenir communication par l’Administration, s’expose à voir son jugement annulé pour irrégularité (CNTSS, 27 mars 2015, Association ANRAS c/ ARS de Midi-Pyrénées, n° A.2013.020).
Il est toutefois possible, à titre exceptionnel et dérogatoire, qu’un organisme gestionnaire puisse proposer à un préfet des frais de siège dans les budgets de ses centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) alors même qu’il n’a pas eu d’autorisation de siège au sens du CASF, si un contrat-cadre été conclu avec l’Etat pour la gestion du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile (CNTSS, 11 décembre 2020, SEM ADOMA c/ Préfet de la région Occitanie, n° A.2018.02).
Conformément à la procédure instituée par l’article R. 314-91 du CASF, l’organisme gestionnaire doit adresser chaque année à l’autorité administrative qui a autorisé son siège social un projet de répartition des quotes-parts entre les ESSMS. Cette autorité prend alors une décision de répartition qui produit un seul effet : les quotes-parts inscrites dans les budgets des établissements et services sont, dès lors qu’elle sont égales à celles approuvées par l’Administration compétente pour autoriser le siège, réputées justifiées et les ESSMS sont dispensés de les justifier à leur tour dans la procédure budgétaire.
Ceci étant, les ESSMS ont la faculté d’inscrire au compte 655 de leur budget un montant différent de celui approuvé par l’autorité administrative ayant autorisé le siège. S’il s’avère que ce montant est supérieur à celui qui a été approuvé, alors les établissements concernés ne bénéficient plus de la présomption règlementaire de justification et doivent, dans leur budget puis au cours de la procédure contradictoire, apporter les justifications nécessaires. En particulier, si l’autorité de tarification retient un taux de charges brutes inférieur à celui qui a été approuvé par l’autorité compétente pour autoriser le siège, alors le gestionnaire doit au contentieux démontrer, conformément à l’article R. 351-18 du CASF, en quoi il ne pouvait pas adapter ses propositions budgétaires (CNTSS, 13 juillet 2018, Fondation Mouvement pour les villages d’enfants c/ Département de Seine-et-Marne, n° A.2015.53 ; 6 novembre 2020, Fondation Action Enfance – Mouvement pour les villages d’enfants c/ département de Seine-et-Marne, n° A.2018.05 et A.2018.24).
Mais si les justifications nécessaires ont été apportées et que l’autorité de tarification ne démontre pas l’inexactitude de la dépense (CNTSS, 11 juin 2010, Président du Conseil général des Yvelines c/ Association « Le Moulin Vert », n° A.2008.21) ou encore n’établit pas en quoi la dépense n’est pas nécessaire à la gestion normale de l’établissement (CNTSS, 16 décembre 2016, Préfet de la région Lorraine c/ Armée du Salut, n° A.2015.22), alors la quote-part prévue au budget doit être prise en compte pour la fixation du tarif.
Ce rappel de l’état du droit est utile pour remettre le jugement commenté ici en perspective. En effet, le TITSS, en s’intéressant à la nature des prestations du siège social dont le financement était sollicité, a considéré qu’il s’agissait là de mesures nouvelles au regard des services rendus aux ESSMS qui avaient été autorisés. Dès lors, il s’est abstenu de contrôler la justification du bienfondé de la justification des quotes-parts proposées puis abattues.
L’enseignement pratique de ce jugement est donc clair et de bon sens : il ne peut y avoir de débat sur la justification des quotes-parts de frais de siège que si les services rendus par ledit siège sont conformes à ceux qui avaient été approuvées dans son autorisation. A défaut, ces nouvelles prestations sont regardées comme non autorisées et, faute de révision de l’autorisation du siège, ne peuvent être pris en charge par le tarif. C’est un point sur lequel il faut être particulièrement attentif, dans la mesure où le dépassement du périmètre des prestations autorisées est susceptible d’être sanctionné par l’abrogation pure et simple de l’autorisation du siège, au visa de l’article R. 314-87, in fine du CASF.
On remarquera que l’annonce faite par l’autorité de tarification, au cours de la procédure contradictoire de ce tarif 2017, d’une éventuelle prise en charge de ces services nouveaux dans le diagnostic préalable au CPOM, a anticipé sur l’état actuel du droit : l’article L. 314-7, VI in fine du CASF prévoit désormais, suite à sa modification par l’article 125 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, que l’autorisation des frais de siège social doit s’inscrire dans le cadre d’un CPOM lorsque le périmètre de ce contrat correspond à celui des ESSMS gérés par l’organisme gestionnaire.
Enfin, pour être exhaustif, il faut relever qu’au cas d’espèce, l’autorisation du siège social comprenait une base budgétaire initiale mais aussi un dispositif d’indexation année après année. Or une telle pratique est illégale. En effet, l’article R. 314-91 ne prévoit qu’une procédure annuelle de revalorisation sur présentation d’une proposition de charges nettes (“budget” du siège) assortie d’un projet de ventilation des quotes-parts entre ESSMS. L’autorité administrative compétente pour autoriser un siège social n’a donc aucune compétence matérielle pour fixer une telle indexation.