Par un jugement du 25 octobre 2021, le Tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale (TITSS) de Lyon a jugé qu’à la suite d’une fusion d’Associations gestionnaires, la détermination de l’autorité de tarification désormais compétente pour fixer annuellement la quote-parts des frais de siège dépend du nouveau périmètre budgétaire correspondant à tous les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) regroupés par l’effet de cette fusion. Cela signifie que le tarificateur ayant initialement autorisé le siège social peut, en cas de changement de proportion des origines de financement, perdre sa compétence.
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1. Les faits
Une Association gestionnaire est créée par fusion-absorption de trois organismes gestionnaires associatifs ; les deux Associations absorbées sont dissoutes et l’absorbante change de dénomination.
Lors de l’exercice suivant, un foyer de vie de cette nouvelle Association gestionnaire, qui relevait auparavant de l’une des Associations absorbées, est tarifé, s’agissant de ses frais de siège, par application du pourcentage prévu dans le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) que l’absorbante avait conclu avec l’agence régionale de santé (ARS) avant la fusion.
Insatisfaite de ce tarif, le nouvel organisme gestionnaire forme un recours gracieux contre l’arrêté de tarification mais ce recours est explicitement rejeté.
2. La procédure
L’organisme gestionnaire saisit le TITSS d’une requête :
- en annulation de l’arrêté de tarification contesté et de la décision de rejet du recours gracieux ;
- en réformation des frais de siège de tous les ESSMS qui relevaient du périmètre de l’ancienne Association gestionnaire et, donc, de la compétence du Conseil départemental.
Il fait valoir :
- que la collectivité départementale n’était plus compétente pour fixer les quotes-parts annuelles des frais de siège. En effet, au vu du nouveau périmètre budgétaire constitué par les ESMSS des trois Associations regroupées, cette compétence appartenait désormais à l’agence régionale de santé (ARS) ;
- qu’elle n’a pas convenablement pris en compte les charges du personnel issues du transfert des contrats de travail de l’une des Associations fusionnées ;
- qu’elle n’a pas donné de justification des abattements pratiqués en ne critiquant pas les missions exercées par le siège social au regard de celles prévues par la règlementation ;
- qu’elle a statué sur les frais de siège en tenant compte du pourcentage du budget de l’organisme gestionnaire fixé par un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM), alors qu’aucun avenant à ce contrat n’avait été conclu pour tenir compte de l’accroissement du périmètre budgétaire provoqué par la fusion.
En défense, le Conseil départemental demande au juge :
- d’enjoindre l’organisme gestionnaire à communiquer son dossier de demande d’autorisation de siège social ainsi que l’arrêté d’autorisation qui a dû en résulter ;
- de rejeter la requête.
Pour ce faire, il se prévaut des moyens suivants :
- il a appliqué le pourcentage prévu par le CPOM de l’ARS, laquelle n’avait pas encore autorisé le nouveau siège social issu de la fusion ;
- l’autorisation du siège social de l’Association absorbée, qu’il avait donnée à titre dérogatoire pour une durée d’un an, ne valait pas pour les exercice suivants ;
- la nouvelle Association n’a pas présenté de demande d’autorisation de siège social consécutivement à la fusion ;
- le transfert des contrats de travail doit être apprécié indépendamment de leur charge par le tarif, cette dernière relevant de l’application des règles budgétaires de droit commun ;
- la question du financement du siège social n’a pas été traitée lors des discussions relatives à la fusion ;
- le financement des charges de personnel du siège qui ont été retenues était suffisant car :
- le budget présenté par l’Association présentait un dépassement de 138 points pour la directrice des ressources humaines ;
- le poste affecté à la vie associative devait relever du budget propre de l’Association ;
- à l’exception des équivalents temps plein (ETP) de directeur général, de contrôleur de gestion et de secrétariat affecté à la vie associative, l’ensemble des postes anciennement financés sur le siège de l’association absorbée avait bien été repris et financé ;
- aucune donnée chiffrée ni justification de l’insuffisance des moyens n’ont été communiquées concernant les locaux du siège ;
- le renforcement des fonctions support n’a pas été justifié ;
- le budget présenté intégrait des nouvelles fonctions qui n’étaient jusqu’alors pas financées au titre du siège social de l’Association absorbée.
En réplique, l’association gestionnaire soutient que :
- le niveau de financement correspondant à l’autorisation du siège social de l’Association absorbée aurait dû être maintenu. En effet, une autorisation de siège social vaut réglementairement pour cinq ans et ne peut être limitée à une année ;
- le pourcentage octroyé par l’ARS (8,62 %) dans le CPOM précédemment conclu avec l’absorbante aurait dû servir de référence au Département. Or de dernier n’a alloué qu’un pourcentage de 4,5 % ;
- le départ en retraite du directeur général, la réaffectation du contrôleur de gestion et le retrait de financement de 0,18 ETP de vie associative génèrent, sur les charges de personnel, une économie inférieure au montant de l’abattement qui a été pratiqué.
Le TITSS appelle l’ARS en cause.
3. La solution
Le TITSS rappelle le régime juridique applicable à la détermination de l’autorité administrative compétente pour délivrer l’autorisation d’un siège social et déterminer les quotes-parts de frais de siège applicables aux ESSMS. En vertu de l’article R. 314-90 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) et de l’arrêté du 23 décembre 2014, il énonce que “l’autorité compétente pour statuer sur les demandes d’autorisation de frais de siège et pour en fixer le montant est déterminée selon l’origine globale des financements perçus par tous les établissements ou services gérés”. Ceci étant, il constate qu’à la suite de la fusion-absorption, l’origine majoritaire des financements perçus par l’organisme gestionnaire est désormais l’assurance-maladie, sous compétence de tarification de l’ARS. Dès lors, le conseil départemental n’était plus compétent pour fixer les frais de siège du foyer.
Le juge du tarif précise, sur ce point, que dans la structure du budget, les frais de siège sont divisibles des autres charges prises en compte par le prix de journée. Cette divisibilité des charges permet au Tribunal de décider, d’une part que la tarification du foyer doit être maintenue à l’exception des charges correspondant aux frais de siège, d’autre part que l’organisme gestionnaire devra saisir l’ARS pour qu’elle fixe ces quotes-parts.
4. L’intérêt du jugement
Ce jugement présente un intérêt particulier dans la mesure où il traite d’un sujet encore peu appréhendé par la jurisprudence, à savoir le traitement budgétaire des frais de siège. Mais il retient également l’attention en ce qu’il envisage le traitement de la dimension financière d’une fusion touchant la tarification du nouveau siège social. Or l’un des enjeux essentiels des opérations de concentration qui interviennent actuellement dans le secteur social et médico-social tient précisément à la possibilité de renforcer les sièges sociaux.
Bien sûr, l’objet apparemment essentiel de la décision est de rappeler les règles du droit budgétaire qui s’appliquent à la détermination de l’autorité compétente pour fixer les frais de siège. Mais il ne s’agit pas là d’un apport jurisprudentiel décisif dans la mesure où les textes sont des plus clairs.
Les enseignements pratiques de ce jugement se situent ailleurs. En effet, il ressort clairement des circonstances de l’espèce que la question du devenir du siège social n’a peut-être pas été suffisamment bien appréhendée lors de la préparation de l’opération de fusion-absorption. Sur ce point, le juge du tarif a fait savoir à juste titre qu’il n’existe, pour une Association absorbante, aucun droit au maintien de la tarification des sièges sociaux des Associations absorbées. Et cela est tout à fait logique : la fusion fait disparaître la personnalité juridique des absorbées, ce qui a pour effet immédiat de rendre caduques les décisions d’autorisation de frais de siège qui les concernaient. Il n’existe pas de mécanisme de cession de telles autorisations ; de manière générale d’ailleurs, aucune cession d’autorisation ne peut intervenir de plein droit et l’aval formel de l’autorité administrative doit toujours être obtenu.
Au cas présent, la difficulté a pu se traduire par une tension de la trésorerie du nouvel organisme gestionnaire, lequel avait déjà peut-être assumé une charge financière non négligeable pour les besoins de l’opération (ex. : frais d’audit, d’ingénierie juridique et comptable). Pour éviter un tel risque, certaines précautions auraient pu être prises dans la rédaction du traité de fusion, afin de sécuriser le financement du siège social de la même manière que doit être garantie l’effectivité des transferts d’autorisation des ESSMS des organismes gestionnaires absorbés. Les praticiens savent bien qu’en la matière, le facteur déterminant du succès de l’opération est celui de l’anticipation du traitement des aspects administratifs de la fusion. Or à en croire les écritures du Conseil départemental, le sort du siège social n’aurait pas été abordé par l’organisme gestionnaire lors des échanges préparatoires avec les services du Département ; implicitement, cela signifierait du coup que la méthodologie de la fusion n’aurait pas non plus intégré de volet « tarification », volet pourtant essentiel pour la viabilité financière de l’opération.
En conclusion, cet exemple montre qu’il est impératif que les opérations de fusions – compte-tenu de leur complexité et de leurs enjeux – soit accompagnées par un professionnel du droit, ce qui semble ne pas avoir été le cas en l’espèce. Cela paraît d’autant plus nécessaire qu’apparemment, les Administrations n’hésitent plus à faire appel à des avocats, ce dont témoigne ici la défense du Département devant le juge du tarif.