ESSMS PH : les parents ne peuvent engager la responsabilité de l’Etat faute de place disponible que s’ils en rapportent la preuve

Déc 9, 2021Droit des associations et des ESMS

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Entrée de la Cour administrative d’appel de Versailles

Par un arrêt du 23 novembre 2021, la Cour administrative d’appel (CAA) de Versailles a jugé que les parents d’un enfant autiste ne peuvent rechercher l’engagement de la responsabilité de l’Etat faute de places disponibles que s’ils rapportent effectivement la preuve de cette absence de place dans tous les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) qui avaient été désignés dans la notification d’orientation de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).

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1. Les faits

Les parents d’un enfant atteint de troubles du spectre autistique (TSA) saisissent la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) d’une demande d’orientation vers un établissement ou service social et médico-social (ESSMS) adapté.

Dans un premier temps, la CDAPH oriente l’enfant vers 9 instituts médico-éducatifs (IME) et services d’éducation spéciale et de soin s à domicile (SESSAD). Puis, l’année suivante, elle prend une nouvelle décision d’orientation vers 4 IME et 2 instituts médico-professionnels (IMPro).

Les parents, confrontés à une absence de place disponible dans ces structures, confient l’accompagnement de leur enfant à un établissement belge et décident d’engager la responsabilité extracontractuelle de l’Etat.

2. La procédure

Les parents adressent au ministre des solidarités et de la santé et à l’agence régionale de santé (ARS) une demande préalable indemnitaire visant à réparer le préjudice causé à leur enfant ainsi que les dommages subis par ricochet par eux-mêmes et les autres enfants de la fratrie. Cette demande fait l’objet d’un rejet implicite.

Les parents saisissent alors le Tribunal administratif mais leur requête est rejetée.

Ils interjettent appel, faisant valoir que :

  • l’Etat est débiteur d’une obligation de prise en charge adaptée des personnes atteintes de troubles autistiques en application des dispositions de l’article L. 246-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF). Or, n’ayant pas respecté cette obligation depuis la date à laquelle la MDPH a orienté leur enfant vers un établissement médico-social adapté, il a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
  • leur enfant a subi une perte de chance de voir son état de santé s’améliorer et un préjudice moral dont ils demandent réparation ;
  • en tant que parents, ils ont eux-mêmes subi des troubles dans les conditions d’existence et un préjudice moral qui doivent être réparés ;
  • leurs autres enfants ont également subi un préjudice moral qui doit être réparé.

A titre subsidiaire, ils proposent au juge de surseoir à statuer pour se livrer à une mesure d’instruction, le temps d’obtenir de l’ARS copie des courriers qu’elle a dû recevoir des ESSMS ayant refusé l’admission. En effet, dans ce cas de figure, ces structures ont une obligation formelle d’information de l’autorité administrative, en application de l’article L. 241-6, III, alinéa 3 du CASF.

Aucune indication n’est donnée par l’arrêt sur les arguments invoqués en défense par le ministre et l’ARS.

3. La solution

La CAA rappelle d’abord, au visa des articles L. 114-1 et L. 246-1 du CASF, que :

  • le droit à une prise en charge pluridisciplinaire doit être garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, quelles que soient les différences de situation ;
  • si, eu égard à la variété des formes du syndrome autistique, la loi impose que cette prise en charge – afin d’être adaptée aux besoins et difficultés spécifiques de la personne handicapée – puisse être mise en œuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l’accueil dans un établissement spécialisé ou par l’intervention d’un service à domicile, c’est sous réserve que la prise en charge soit effective dans la durée, pluridisciplinaire, et adaptée à l’état et à l’âge de la personne atteinte de ce syndrome.

Elle souligne également qu’en vertu de l’article L. 241-6, la CDAPH doit, à la demande des parents, se prononcer sur l’orientation des enfants atteints du syndrome autistique et désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de ceux-ci et étant en mesure de les accueillir, ces structures étant tenues de se conformer à la décision de la commission.

Dès lors, lorsqu’un enfant autiste ne peut être pris en charge par l’une des structures désignées par la CDAPH en raison du manque de places disponibles, l’absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l’État dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d’une telle prise en charge dans une structure adaptée.

Ce principe étant posé, le juge d’appel analyse les faits de l’espèce au regard des éléments de preuve produits par les requérants. La production de divers courriers établit que les parents ont bien été confrontés au refus de 8 ESSMS sur les 15 désignés successivement par la CDAPH. Manque donc la preuve du refus des 7 autres structures. La Cour en déduit que les parents n’ont pas sollicité tous les établissements et qu’ils ne peuvent donc prétendre qu’aucun d’entre eux ne pouvait accueillir leur enfant faute de place disponible. Ce faisant, elle décide – implicitement – de ne pas donner suite à la demande des parents tendant à ce que l’ARS soit contrainte de produire les courriers de refus que les ESSMS concernés ont dû lui adresser.

La requête des parents est donc rejetée.

4. L’intérêt de l’arrêt

La situation appréhendée par cet arrêt est sans doute symptomatique des difficultés que rencontrent bon nombre de parents d’enfants atteints de TSA. En effet, en dépit des dispositions qui ont été prises pour mettre un terme aux absences ou ruptures de parcours à la suite du rapport Piveteau de 2012 “Zéro sans solution” – notamment avec les groupes opérationnels de synthèse (GOS) et la faculté pour la MDPH de saisir en urgence l’ARS, conformément à l’article L. 146-8 du CASF – il est malheureusement avéré que les modalités d’accompagnement adapté donc ces enfants ont besoin sont quantitativement insuffisantes. Ces insuffisances sont d’ailleurs à ce point caractérisées que le ministère a été, très récemment encore, interpellé au Parlement (réponse du 7 décembre 2021 à la question écrite AN n° 40133).

La solution retenue par la CAA et bien sûr juridiquement pertinente. En effet, il appartient toujours au requérant de rapporter la preuve des faits dont il trouve à se plaindre. En l’espèce, les parents n’ont pas su administrer cette preuve puisqu’ils n’ont pas produit de documents établissant les refus d’admission opposés par tous les ESSMS. Sans doute est-il probable qu’ils aient néanmoins contacté l’ensemble des ESSMS avant de décider d’envoyer leurs enfants dans un établissement belge.

En définitive, l’arrêt illustre bien le véritable parcours du combattant auquel les parents d’enfants autistes doivent se livrer. Des associations de défense des droits se sont constituées pour les guider, y compris sur le terrain juridique ; il paraît souhaitable qu’un tel accompagnement puisse intervenir le plus en amont possible, pour éviter que leurs revendications légitimes ne prospèrent pas devant les tribunaux faute de preuves suffisantes.

La leçon – simple – de cet arrêt est qu’il est essentiel que les parents exposés à des absences de place disponible obtiennent des établissements sollicités des réponses négatives formelles.

Mais il faut, du coup, rappeler également que les ESSMS sollicités mais dans l’incapacité de réserver une suite favorable ont l’obligation, en vertu de l’article L. 241-6, III, alinéa 3 du CASF, de notifier leur décision de refus à la MDPH, au demandeur et à l’Administration dont relève leur autorisation. Cette décision doit mentionner ses motifs, lesquels doivent référer au principe de spécialité en vertu duquel la structure a été autorisée. Pour mémoire, la notion de principe de spécialité correspond aux spécificités de l’activité, lesquelles peuvent être objectivement définies à la lecture du projet d’établissement (ex. : critères populationnels, options techniques de prise en charge). Compte tenu des difficultés de preuve rencontrées par les parents, on pourra s’interroger sur le point de savoir si les tous ESSMS contactés s’étaient effectivement conformés à leur obligation de notifier leur refus par écrit ; si tel n’avait pas pas le cas, alors ils auraient commis une faute dont les parents pourraient demander réparation devant le juge judiciaire.

CAA Versailles, 4ème Ch., 23 novembre 2021, M. & Mme B… c/ Ministre des solidarités et de la santé & ARS d’Ile-de-France, n° 19VE02623

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