TARIFICATION : de l’importance du compte administratif pour justifier la reprise de résultats déficitaires

Déc 13, 2021Droit des associations et des ESMS, Tarification

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Le Tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale (TITSS) de Paris a jugé, le 22 octobre 2021, que les déficits de plus de deux ans cumulés par un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) doivent être repris par le tarificateur lors de la fixation du prix de journée hébergement, dès lors que ce dernier n’avait pas statué en temps utile sur les comptes administratifs correspondants.

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1. Les faits

Pendant plusieurs années avant 2016, le Conseil départemental s’abstient de reprendre des déficits d’exploitation d’un EHPAD qui lui avaient pourtant été justifiés dans les comptes administratifs des exercices correspondants.

Année après année, l’organisme gestionnaire intègre les déficits ainsi cumulés dans ses propositions budgétaires et ses comptes administratifs.

Dans ses propositions budgétaires pour l’exercice 2018, l’EHPAD – qui a présenté ce cumul en dernier lieu dans son compte administratif 2016 – sollicite la reprise de la totalité des déficits.

L’autorité de tarification fait droit à sa demande pour 25 % environ des sommes concernées, justifiant l’abattement pratiqué sur le reste par un impératif de maîtrise de l’évolution tarifaire.

Insatisfait de cette insuffisante reprise de résultat, l’organisme gestionnaire forme un recours gracieux qui est rejeté.

2. La procédure

L’organisme gestionnaire saisit le TITSS d’une requête en annulation de la décision de rejet de son recours gracieux assortie d’une demande en réformation du tarif.

En défense, le Département soutient que la requête est irrecevable car ses prétentions sont irréalistes et que ses moyens ne sont pas fondés.

3. La solution

Le TITSS rappelle d’abord les dispositions de l’article R. 314-51 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) relatives au mécanisme de reprise et d’affectation des résultats.

Il constate ensuite que le compte administratif de l’exercice 2016, qui englobait le cumul des déficits des exercices antérieurs, n’a donné lieu à aucune décision de l’autorité de tarification. Plus précisément, il relève qu’ “elle ne pouvait légalement écarter des déficits antérieurs dont elle n’a pas contesté le bien-fondé dans le cadre de l’approbation des comptes administratifs correspondants”.

Dès lors, il juge que le prix de journée hébergement de l’exercice 2018 doit être majoré du montant de ces déficits cumulés, déduction faite de la somme partielle admise par la collectivité départementale. toutefois, il ne fixe pas le tarif et renvoie l’organisme gestionnaire devant le Département à cette fin.

4. L’intérêt du jugement

Ce jugement – qui, sur une autre demande de l’organisme gestionnaire, a également confirmé que l’absence de contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) permet à l’organisme gestionnaire d’opposer au tarificateur l’augmentation “mécanique” des charges du personnel due à l’application de la convention collective agréée au sens de l’article L. 314-6 du CASF, du fait du glissement vieillesse-technicité (GVT) – présente un intérêt certain.

En effet, le droit de la tarification circonscrit le jeu des reprises de résultat à l’anti-pénultième exercice, c’est-à-dire que le tarif de l’année N est susceptible d’être majoré du résultat déficitaire de l’exercice N-2. En revanche, il n’est nullement prévu que puisse intervenir une reprise de résultat correspondant à des exercices déficitaires datant de plus de deux ans.

Ce faisant, le juge du tarif approuve la pratique de l’organisme gestionnaire qui a consisté à cumuler les déficits des exercices passés jusqu’à les intégrer au déficit d’exploitation de l’exercice N-2.

Il procède également à une interprétation novatrice des dispositions relatives au compte administratif, en donnant une importance particulière à l’article R. 314-53 du CASF – qu’il ne cite pourtant pas dans ses considérants. Pour mémoire, ce texte prévoit que, dans le cadre de la procédure de fixation du tarif de l’année N, l’autorité de tarification doit notifier à l’organisme gestionnaire sa décision motivée sur l’affectation du résultat de l’exercice N-2. Au regard de ces prescriptions, le juge constate en l’espèce que le tarificateur n’avait pas statué, année après année, sur les comptes administratifs des exercices déficitaires dont l’organisme gestionnaire a procédé au cumul ; ce faisant, il n’en a pas contesté le bien-fondé.

Une telle décision est très heureuse pour l’organisme gestionnaire dont on comprend incidemment qu’il avait omis, les années précédentes, de contester au contentieux les défauts de reprise du déficit. Ainsi le juge lui a-t-il donné l’occasion de de corriger cette lacune. Mais il ne pouvait le faire qu’après avoir relevé que, dans le cadre de la procédure budgétaire 2018, aucune motivation opérante n’avait été formulée pour critiquer les demandes de reprises successives.

Cette considération conduit à rappeler que l’autorité de tarification est soumise à une obligation de motivation en cas de rejet d’une demande de reprise de déficit. Il faut à cet égard préciser que le tarificateur n’est nullement contraint de décider à réception du compte administratif de l’année N ; le ferait-il qu’il ne ne prendrait tout au plus qu’un acte préparatoire insusceptible de recours. En réalité, il n’existe de décision administrative attaquable sur la demande de reprise de résultat de l’année N qu’avec le support de l’acte de tarification de l’exercice N+2. C’est à l’occasion de la procédure budgétaire de l’exercice N+2 que l’autorité de tarification doit, si elle entend pratiquer des abattements sur une demande de reprise de déficit, articuler une motivation précise des raisons qu’elle retient et ce, conformément à l’article R. 314-34, I, alinéa 2 du CASF. Ainsi la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (CNTSS) a-t-elle eu encore l’occasion, en 2021, de censurer des abattements au motif que l’autorité de tarification n’avait pas démontré en quoi les déficits à reprendre étaient injustifiés.

En définitive, ce jugement du TITSS de Paris, s’il souligne une obligation de motivation tout à fait classique, innove en admettant la validité du cumul de déficits dont le rejet n’avait pas été contesté, dans le cadre de la fixation des tarifs successifs, par l’organisme gestionnaire. Que retenir alors de cette décision novatrice, qui ne serait plus une solution d’espèce si elle venait à être confirmée par la CNTSS ? Que si l’autorité de tarification se dispense, année après année, de motiver ses abattements sur les propositions de reprise de déficit, alors l’organisme gestionnaire lésé est en droit de les lui opposer au contentieux – même tardivement – en adoptant une pratique comptable qui, pourtant, n’existe pas en droit budgétaire.

 

 

TITSS Paris, 22 octobre 2021, Mutuelle Nationale des Artistes c/ Président du Conseil départemental de Seine-et-Marne, n° 19.003

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