Au JO du 29 décembre 2021 a été publiée la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Cette loi institue les lois de programmation des finances publiques, dont l’objet est de mettre en oeuvre la politique de rationalisation budgétaire voulue par l’Union européenne.
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1. Présentation
Cette loi organique vient compléter les dispositions de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), en y ajoutant un Titre préliminaire sur la programmation des finances publiques. Ces nouvelles dispositions instituent les lois de programmation des finances publiques (LPFP).
Elle entrera en vigueur avec l’exercice budgétaire 2023.
1.1. L’objectif : l’encadrement de la dette publique
La LPFP doit d’abord fixer l’objectif à moyen terme des administrations publiques mentionné à l’article 3 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, signé à Bruxelles le 2 mars 2012 (plus connu sous l’appellation de “pacte budgétaire”).
Pour mémoire, cet article 3 du traité prévoit que :
- la situation budgétaire des administrations publiques doit toujours être équilibrée ou excédentaire ;
- cette condition est réputée réalisée si le solde structurel annuel des administrations publiques correspond à l’objectif à moyen terme spécifique à chaque pays défini dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, avec une limite inférieure de déficit structurel de 0,5 % du produit intérieur brut aux prix du marché (PIB) ;
- l’encadrement de la dépense publique doit être assuré par “des dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles, ou dont le plein respect et Ia stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon (…) sur la base de principes communs proposés par la Commission européenne et concernant en particulier la nature, I’ampleur et le calendrier des mesures correctives à mettre en oeuvre, y compris en cas de circonstances exceptionnelles, ainsi que Ie rôle et I’indépendance des institutions chargées, au niveau national, de vérifier le respect” du traité.
Mais l’article 3 du traité ne peut être lu indépendamment des stipulations de l’article 4. Cette stipulation prévoit en effet que lorsque la dette publique est supérieure à 60 % du PIB, l’Etat doit la réduire à un rythme moyen de 5 % par an, sous les modalités prévues par l’article 2 du règlement (CE) n° 1467/97 du Conseil du 7 juillet 1997 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs modifié par le règlement (UE) n° 1177/2011 du Conseil du 8 novembre 2011.
En cas de déficit excessif, en application de l’article 126 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) issu du Traité de Lisbonne de 2007, l’Etat concerné est susceptible d’être pénalisé sur décision du Conseil de l’Union européenne qui peut :
- exiger de l’État membre concerné qu’il publie des informations supplémentaires qu’il détermine, avant d’émettre des obligations et des titres ;
- inviter la Banque européenne d’investissement (BEI) à revoir sa politique de prêts à l’égard de l’État concerné ;
- exiger que l’État concerné fasse, auprès de l’Union, un dépôt ne portant pas intérêt, d’un montant approprié, jusqu’à ce que, de l’avis du Conseil, le déficit excessif ait été corrigé ;
- infliger à l’Etat concerné des amendes d’un montant approprié.
1.2. Les modalités : une planification pluriannuelle de l’évolution des comptes publics
La période de planification est au moins triennale.
La LPFP doit déterminer les trajectoires des soldes structurels et effectifs annuels successifs des comptes des administrations publiques, avec l’indication des calculs permettant le passage des uns aux autres ainsi que l’évolution de la dette publique. Le solde structurel est le solde corrigé des variations conjoncturelles, déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.
A cette fin, la LPFP doit définir, pour chaque administration publique, l’effort structurel à accomplir au titre de chacun des exercices de la période de programmation. Cet effort structurel correspond à l’incidence des mesures nouvelles sur les recettes et la contribution des dépenses à l’évolution du solde structurel. Concrètement, la LPFP définit, pour chaque exercice comptable de la période de programmation, aussi bien en matière de fonctionnement qu’en matière d’investissement :
- un objectif, exprimé en volume, d’évolution des dépenses des administrations publiques ;
- une prévision, exprimée en milliards d’euros courants, de ces dépenses en valeur.
Si l’on va plus loin dans le détail, la LPFP doit édicter pour chaque administration publique :
- une déclinaison de l’objectif d’évolution et de la prévision des dépenses globaux ;
- un montant maximal pour les crédits du budget général de l’Etat, pour les prélèvements sur les recettes de l’Etat ainsi que pour les créations, suppressions ou modifications d’impositions de toutes natures affectées à des personnes publiques ou privées autres que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale ;
- l’objectif de dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et des organismes concourant à leur financement ainsi que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) de l’ensemble de ces régimes et le taux d’évolution de ses sous-objectifs ;
- l’incidence minimale des dispositions nouvelles, législatives ou prises par le Gouvernement par voie réglementaire, relatives aux impositions de toutes natures et aux cotisations sociales, en distinguant l’incidence des dispositions portant sur les dépenses fiscales et des dispositions portant sur les exonérations, abattements d’assiette et réductions de taux applicables aux cotisations sociales ;
- les plafonds de crédits alloués aux missions du budget général de l’Etat ;
- l’indication de l’ampleur et du calendrier des mesures de correction pouvant être mises en œuvre en cas d’écart important au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel ainsi que, le cas échéant, les conditions de prise en compte des circonstances exceptionnelles ;
- des orientations pluriannuelles relatives à l’encadrement des dépenses, des recettes et du solde ou au recours à l’endettement de tout ou partie des administrations publiques.
1.3. Une prérogative spécifique : un pouvoir de normativité ad hoc en matière de finances publiques
La LPFP peut définir, en sus et de manière distincte des objectifs pluriannuels, des règles relatives :
- à la gestion des finances publiques ne relevant pas du domaine exclusif des lois de finances (LF) et des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) ;
- à l’information et au contrôle du Parlement sur cette gestion.
Ces règles peuvent concerner :
- l’encadrement des dépenses,
- les recettes,
- le solde,
- le recours à l’endettement,
pour tout ou partie des administrations publiques.
1.4. Une logique connue : l’analogie avec la pluriannualité des LFSS
La LPFP comprend quatre parties distinctes relatives au cadre financier pluriannuel :
- ensemble des administrations publiques ;
- administrations publiques centrales ;
- administrations publiques locales ;
- administrations de sécurité sociale.
Dans chacune de ces parties, la LPFP présente de façon sincère les perspectives de dépenses, de recettes, de solde et d’endettement des administrations publiques. Sa sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler.
Le projet de LPFP présenté au Parlement doit être accompagné d’un rapport que le pouvoir législatif doit approuver, comprenant :
- des dispositions pluriannuelles :
- les hypothèses et méthodes retenues pour établir la programmation ;
- une présentation, pour l’ensemble de la période de la programmation, des principales dépenses des administrations publiques considérées comme des dépenses d’investissement, compte tenu de leur contribution à la croissance potentielle du PIB, à la transformation structurelle du pays et à son développement social et environnemental à long terme. Cette présentation retrace notamment leur nature, leur montant et leurs effets attendus ;
- les mesures de nature à garantir le respect de la programmation ;
- toute autre information utile au contrôle du respect des plafonds et objectifs, notamment les principes permettant de comparer les montants que la LPFP prévoit avec les montants figurant dans les LF et LFSS ;
- les projections de finances publiques à politiques inchangées et la description des politiques envisagées pour réaliser l’objectif à moyen terme au regard de ces projections ;
- le montant et la date d’échéance des engagements financiers significatifs de l’Etat en cours n’ayant pas d’implication immédiate sur le solde structurel ;
- les modalités de calcul de l’effort structurel, la répartition de cet effort entre chacun des sous-secteurs des administrations publiques et les éléments permettant d’établir la correspondance entre la notion d’effort structurel et celle de solde structurel ;
- les hypothèses de PIB et de PIB potentiel retenues pour la programmation des finances publiques. Le rapport présente et justifie les différences éventuelles par rapport aux estimations de la Commission européenne ;
- les hypothèses ayant permis l’estimation des effets de la conjoncture sur les dépenses et les recettes publiques, notamment les hypothèses d’élasticité à la conjoncture des différentes catégories de prélèvements obligatoires et des dépenses d’indemnisation du chômage. Le rapport présente et justifie les différences éventuelles par rapport aux estimations de la Commission européenne ;
- les modalités de calcul du solde structurel annuel ;
- des dispositions propres à chaque exercice budgétaire de la période de programmation :
- les perspectives de recettes, de dépenses, de solde et d’endettement des administrations publiques et de chacune de leurs composantes ;
- une évaluation minimaliste, moyenne et maximaliste de l’évolution des taux d’intérêt et de son impact sur les comptes de l’Etat ;
- l’estimation des dépenses d’assurance vieillesse et des dépenses d’allocations familiales ;
- les perspectives de recettes, de dépenses et de solde des régimes complémentaires de retraite et de l’assurance chômage ;
- la situation de la France, par rapport aux autres états membres de l’Union européenne, au regard des objectifs stratégiques européens.
1.5. Une valeur particulière : la prééminence sur les LF et LFSS
la LPFP “surplombe” les autres lois adoptées en matière budgétaire, en particulier les LF et les LFSS. En effet, ces dernières doivent désormais comprendre :
- dans leur exposé des motifs, des développements indiquant si les hypothèses ayant permis le calcul du solde structurel sont les mêmes que celles ayant permis de le calculer pour cette même année dans la LPFP ;
- en article liminaire, un tableau de synthèse retraçant, pour l’année sur laquelle elles portent et en rappelant les prévisions de la LPFP en vigueur pour l’année en question :
- l’état des prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques, avec l’indication des calculs permettant d’établir le passage de l’un à l’autre, et des prévisions de solde par sous-secteur ;
- l’état de la prévision, déclinée par sous-secteur d’administration publique, de l’objectif d’évolution en volume et de la prévision en milliards d’euros courants des dépenses des administrations publiques ;
- l’état des prévisions de prélèvements obligatoires, de dépenses et d’endettement de l’ensemble des administrations publiques, exprimées en pourcentage du PIB ;
- l’état des prévisions portant sur les principales dépenses d’investissement des administrations publiques ;
- dans leur rapport joint, les données d’évaluation prévisionnelle de l’effort structurel, détaillée par sous-secteur des administrations publiques, ainsi que les éléments permettant d’établir la correspondance entre la notion d’effort structurel et celle de solde structurel.
2. Commentaire
Cette présentation ne concerne que la partie de la loi organique consacrée aux LPFP, étant précisé que le texte apporte également diverses modifications au droit budgétaire de l’État.
S’il ne s’agit pas ici d’éléments juridiques ayant à proprement parler un impact direct sur l’exercice des activités sociales et médico-sociales, il paraît néanmoins opportun de les faire connaître dans la mesure où, au niveau macro-économique, ils affectent le secteur : ils concernent en effet aussi bien le budget de l’Etat que celui de l’assurance maladie.
En effet, le nouveau dispositif des LPFP parachève l’articulation juridique entre le droit communautaire et le droit français, dans la mesure où il subordonne les objectifs de dépense publique français aux orientations budgétaires de l’Union européenne.
À cet égard, il faut prévoir que l’exercice de rationalisation de la dépense publique par l’Union européenne va se traduire par des décisions budgétaires nationales contraignantes, compte tenu du niveau actuel de la dépense publique française au regard du PIB.
Il est alors essentiel de rappeler la définition de trois notions :
- la dépense publique décrit, pour une année budgétaire donnée, le montant des dépenses publiques. En 2021, cette dépense représente 58,5 % du PIB ;
- le déficit public exprime, pour une année budgétaire donnée, le déséquilibre entre les recettes et les dépenses. Le déficit budgétaire de la France en 2021 est de 9,4 % du PIB ;
- la dette publique correspond au solde cumulé, année après année, des intérêts des emprunts contractés pour financer l’action publique. En 2021, ce cumul est équivalent à un peu plus de 116 % du PIB.
A titre d’information, voici un graphique situant la France en matière de dette publique :
(source : Fonds monétaire international/Statista)
Au vu de ces définitions, les LPFP ont vocation à organiser la diminution de la dette publique de 5% par an jusqu’à ce qu’elle ait atteint 60 % du PIB. Concrètement, la France est donc appelée à résorber 56 % de sa dette publique en 12 ans. Il n’est pas possible d’évaluer, sur le long terme, les montants correspondants car le PIB varie d’une année à l’autre en fonction de la croissance économique et de l’inflation. Mais il est au moins possible d’acquérir des ordres de grandeur : sur la base du PIB de 2020 (2 302,9 milliards d’euros), l’économie annuelle globale à réaliser sur les budgets de l’Etat, des collectivités territoriales et de la sécurité sociale serait de l’ordre de 107 milliards d’euros, ce qui équivaudrait à 26 % du budget de l’Etat en 2020 (413 milliards d’euros de dépenses nettes) ou à 24,9 % du budget de la sécurité sociale en 2020 (429,4 milliards d’euros de dépenses). Nul doute que de telles restrictions budgétaires provoqueraient une austérité économique préjudiciable à la cohésion sociale.
En toutes hypothèses, deux préoccupations viennent à l’esprit :
- l’alignement des finances publiques françaises sur les orientations de l’Union européenne ne tient pas compte d’autres leviers qui seraient susceptibles d’être actionnés pour améliorer la situation car lorsqu’on raisonne budget, il ne suffit pas de traiter la question des dépenses, il faut également s’intéresser aux recettes. Sans doute est-ce par cette approche plus globale que les ressources indispensables au financement de l’action sociale pourraient être préservées voire accrues pour répondre à l’augmentation avérée des besoins ;
- l’analyse des projets de réforme du financement du secteur social et médico-social, qu’ils concernent la solvabilisation à la source des bénéficiaires de l’action sociale ou la tarification des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), ne pourra faire l’économie des orientations des politiques publiques que traduisent ces nouvelles LPFP.