EHPAD : les règles de calcul de la valeur du point GIR départemental sont-elles contraires au principe d’égalité ?

Jan 20, 2022Droit des associations et des ESMS, Droit public, Tarification

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Par un arrêt du 9 juillet 2021, la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (CNTSS) a jugé implicitement que les règles de calcul de la valeur du point GIR départemental ne portent pas atteinte au principe d’égalité et ce, même si elles n’opèrent aucune distinction entre établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) publics et privés et si cette valeur du point diffère d’un département à l’autre.

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1. Les faits

Un EHPAD public reçoit l’arrêté de tarification du Conseil départemental ; le prix de journée et le forfait dépendance ainsi fixés sont jugés insuffisants au regard des propositions budgétaires.

2. La procédure

L’établissement saisit le Tribunal Interrégional de la tarification (TITSS) d’une contestation relative à la fois à l’arrêté fixant la valeur du point GIR et à l’arrêté de tarification. Le Tribunal ayant rejeté sa requête, le requérant interjette appel.

Devant la CNTSS, l’EHPAD conclut à l’annulation des deux arrêtés ainsi qu’à la réformation du tarif dépendance.

A cette fin, il fait valoir :

  • à l’égard de l’arrêté fixant la valeur du point GIR :
    • qu’il  a porté atteinte au principe d’égalité constitutionnellement garanti car l’autorité de tarification :
      • n’a pas pris en compte les différences de statut des EHPAD du département (public, privé associatif, privé à but lucratif), alors même que ces différences de statut implique des différences significatives de charges, les établissements publics devant respecter les règles statutaires de la fonction publique hospitalière et les réformes qui leur sont applicables ;
      • traite de manière différente des usagers selon le département où ils sont hébergés, alors même que la valeur du point a un impact direct sur le calcul de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ;
    • que le Département n’a pas apporté les preuves du bien-fondé de ses calculs, y compris dans son mémoire en défense ; 
    • que la valeur du point GIR qui a été fixée porte atteinte à la qualité de la prise en charge des personnes totalement dépendantes. En effet, elle représente 45 minutes de temps aide-soignant par jour alors qu’il faut consacrer aux résidents un minimum de 3 heures de temps aide-soignant par jour ;
    • que la première fixation de la valeur du point GIR conditionne les suivantes dans le temps et ne pourra plus être modifiée ;
  • à l’égard de l’arrêté de tarification :
    • que l’arrêté est insuffisamment motivé car il ne permet pas à l’établissement de comprendre les modalités de calcul du point GIR départemental et par suite, les abattements opérés ;
    • que le montant de la valeur du point GIR qui a été fixée ne répond pas aux modalités de calcul définies dans la nouvelle législation en vigueur ;
    • qu’il a été fait une mauvaise application de la notion de convergence tarifaire. Pour respecter son engagement, le Département aurait dû verser à l’EHPAD une subvention d’équilibre pour combler la diminution des produits de la tarification due à la convergence, ce qu’il n’a pas fait ;
    • qu’en ce qui concerne la tarification hôtelière, les coûts moyens départementaux agents utilisés par le Département sont erronés pour les agents de service hospitalier (ASH), les animateurs, les assistantes sociales et les aides-soignants ;
    • que la nouvelle réglementation prévoit, au 3° de l’article R. 314-176 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), que le forfait global relatif à la dépendance peut couvrir les charges relatives à l’emploi de personnels affectés aux fonctions de blanchissage, nettoyage et service des repas, concurremment avec les produits relatifs à l’hébergement, permettant de couvrir les charges votées par le conseil d’administration ;
    • que l’autorité de tarification a réduit les dépenses votées par le conseil d’administration dans de telles proportions qu’il est impossible de maintenir la somme minimale nécessaire à la suppression des effets de la convergence et à la couverture des charges relatives au blanchissage nettoyage et au service des repas.

En défense, la collectivité départementale souligne que :

  • l’arrêté fixant le montant du point GIR ne peut être contesté devant les juridictions de la tarification car il ne constitue qu’un acte préparatoire à l’opération de tarification ;
  • les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté de tarification doivent être rejetées dans la mesure où, par ailleurs, le requérant a présenté des conclusions à fins de réformation du tarif, ce qui confère au litige la nature d’un plein contentieux ;
  • l’arrêté qui a instauré un dispositif transitoire pour le calcul de la valeur du point GIR départemental n’a pas méconnu le principe d’égalité constitutionnellement garanti car :
    • il a été pris conformément à la réglementation applicable, dans le respect du champ de compétence territoriale du Conseil départemental ;
    • il a intégré les différences de statut des organisme gestionnaires car il a intégré la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due par les établissements privés qui lui sont assujettis ;
  • s’agissant du forfait global dépendance, rien ne s’opposait à ce que les moyennes soient calculées à l’échelle des établissements du département ;
  • concernant la méthode de détermination de la valeur du point GIR départemental, le requérant ne fait qu’alléguer que les données retenues seraient erronées, alors même qu’en comparaison avec les autres départements de la région, cette valeur correspond à la valeur médiane ;
  • pour ce qui est de l’application de la convergence tarifaire, la convention pluriannuelle tripartite (CPT) n’a jamais eu pour effet de soustraire l’EHPAD de la procédure de tarification annuelle. Par ailleurs, aucune disposition légale ou réglementaire ne permettait d’imposer à l’autorité de tarification de déroger aux articles L. 314-7 et R. 314-3 et suivants du CASF ;
  • en contestant à la fois les abattements pratiqués sur les charges du personnel des ASH et ceux relatifs aux animateurs et assistantes sociales, l’établissement a opéré une confusion des charges relevant de la section tarifaire “hébergement” et de la section “dépendance” ;
  • alors que certains des abattements contestés concernent la rémunération d’agents dont les postes budgétaires relèvent de la section “hébergement”, pour autant l’établissement n’a pas contesté les charges et produits de cette section ;
  • pour la prise en compte des charges du personnel des animateurs et assistantes sociales, l’autorité de tarification a pris en compte traitement coût annuel par agent supérieur à la moyenne départementale.

L’EHPAD a produit un mémoire en réplique confirmant les termes de sa requête d’appel.

3. La solution

S’agissant d’abord de l’arrêté fixant la valeur du point GIR, la CNTSS juge qu’il constitue un acte préparatoire à la tarification et qu’il est donc insusceptible de recours.

S’agissant ensuite de l’arrêté de tarification, le juge d’appel considère d’abord que la requête, dans la mesure où elle conclut à la réformation du tarif, relève bien du plein contentieux, ce qui rend inopérante la critique de la légalité de l’acte.

Ceci étant, la juridiction rappelle les dispositions de l’article 5, II du décret n° 2016-1814 du 21 décembre 2016 relatif aux principes généraux de la tarification, au forfait global de soins, au forfait global dépendance et aux tarifs journaliers des EHPAD relevant du I et du II de l’article L. 313-12 du CASF. Ce texte prescrit en effet des dispositions spécifiques applicables à l’année du tarif contesté (l’année 2017) :

  • la modulation des tarifs soins et dépendance en fonction de l’activité ne s’applique pas ;
  • les règles de droit commun du calcul de la valeur du point GIR ne s’appliquent pas non plus. En effet, cette valeur est calculée transitoirement en divisant le total des charges nettes autorisées qui entrent en compte dans le calcul du tarif journalier dépendance par le total des points GIR des établissements du département pour l’exercice 2016.

Au-delà, la Cour se réfère au III du même article en vertu duquel, pour les exercices 2017 à 2023, le financement de la dépendance est assuré à hauteur de la somme :

  • du montant des produits de la tarification reconductibles fixé l’année précédente, revalorisé d’un taux fixé chaque année par arrêté du Président du Conseil départemental ;
  • et d’une fraction du forfait global dépendance, à l’exclusion des financements complémentaires éventuellement prévus dans la CPT. Cette fraction est fixée règlementairement à 1/7 pour l’exercice 2017.

Ayant ainsi rappelé le régime transitoire correspondant à la mise en oeuvre de la convergence tarifaire, la CNTSS constate que :

  • l’autorité de tarification s’est conformée aux dispositions relatives au calcul du forfait dépendance et a appliqué les bonnes règles de calcul ;
  • aucun texte ne prévoit que le Département aurait dû verser à l’EHPAD une subvention d’équilibre ;
  • la critique de la sous-dotation des charges du personnel concernant les  les ASH, animateurs, assistantes sociales et aides-soignants aurait dû s’inscrire dans une contestation du tarif hébergement. Or, l’établissement n’a pas contesté ce tarif, ce qui rend sa demande irrecevable ;
  • aux termes de l’article R. 314-176 du CASF, le forfait soins ne supporte qu’en partie les charges du personnel de blanchissage, de nettoyage et de service des repas. La fraction restante est financée par la section hébergement. Or, l’EHPAD a sur ce sujet présenté une demande globale qui ne tenait pas compte de la répartition nécessaire à opérer entre les deux sections d’imputation budgétaire, ce qui rend là aussi sa demande irrecevable.

La CNTSS rejette donc la requête de l’EHPAD.

4. L’intérêt de l’arrêt

Même si la majeure partie des considérants de cet arrêt se rapportent à l’application du régime transitoire de la convergence tarifaire applicable aux EHPAD, ces derniers ne présentent pas un grand intérêt dans la mesure où la juridiction s’est contentée de vérifier que l’autorité de tarification s’était bien conformée à la réglementation applicable.

En revanche, il est intéressant de relever que la CNTSS n’a pas répondu aux conclusions de l’EHPAD relatives à la violation du principe d’égalité. On pourrait déduire – implicitement – d’un tel silence que le moyen a été considéré comme inopérant. En termes d’opportunité, cela pourrait se comprendre dans la mesure où une remise en cause de la réglementation actuelle, au nom de ce principe, aurait pour effet de bouleverser profondément l’emploi des fonds de l’aide sociale par les Conseils départementaux :

  • la fixation, dans tous les départements, d’une valeur identique du point GIR aurait des incidence majeur sur les budgets départementaux ;
  • elle pourrait par ailleurs constituer une atteinte au principe d’autonomie des collectivités territoriales.

Ce que critiquait par ailleurs l’établissement, c’était l’absence de modulation de la valeur du point GIR départemental en fonction du statut des organismes gestionnaires ; c’est cette absence de modulation qui serait à l’origine d’une violation du principe constitutionnel d’égalité. Or, force est de constater qu’une telle modulation est absente des dispositions de l’article R. 314-175 du CASF qui détermine les règles de calcul de la valeur du point GIR départemental. Mais ce texte réglementaire n’aurait pas pu faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) puisque, par hypothèse, un tel recours ne peut viser que des dispositions législatives. Il aurait donc fallu contester en amont la constitutionnalité de l’article L. 314-8 du CASF – dont procède l’article R. 314-175 – qui confie à l’autorité règlementaire le soin de fixer les règles de tarification, en ce que ce texte législatif ne prévoit pas la modulation revendiquée. L’article L. 314-8 est issu de l’article 87 de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 promulguant la partie législative du CASF. Cette loi n’a, à l’époque, fait l’objet d’aucun contrôle de constitutionnalité a priori. Dans l’absolu, la présentation d’une telle QPC serait donc envisageable au regard de l’article 23-2, 2° de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, sous réserve que soient satisfaites trois conditions : d’une part une atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Constitution, d’autre part l’applicabilité de la loi critiquée à la solution du litige, enfin le caractère sérieux de la contestation. Sous ces réserves et à supposer qu’un pourvoi en cassation soit pendant, l’établissement aurait encore la ressource d’adresser une QPC au Conseil d’État conjointement à son pourvoi. Mais s’agissant d’un EHPAD public, cette hypothèse ne paraît que très peu probable.

CNTSS, 9 juillet 2021, Résidence du Parc de Nesle c/ Président du Conseil départemental de la Somme, n° A.19.006

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