Au JO du 29 avril 2022 a été publié le décret n° 2022-742 du 28 avril 2022 relatif à l’accréditation des organismes pouvant procéder à l’évaluation de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).
.
1. Présentation
1.1. Accréditation des évaluateurs par le COFRAC
1.1.1. Régime de droit commun
Le décret prescrit que, pour pouvoir procéder à l’évaluation prévue à l’article L. 312-8 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), les évaluateurs devront être accrédités par le Comité français d’accréditation (COFRAC) ou par tout organisme européen équivalent signataire de l’accord multilatéral pris dans le cadre de la coordination européenne des organismes d’accréditation.
L’accréditation sera délivrée aux évaluateurs en référence à la norme EN ISO/IEC 17020 – Evaluation de la conformité – Exigences pour le fonctionnement de différents types d’organismes procédant à l’inspection en tant qu’organisme de type A ou C, dans les conditions fixées :
- par cette norme
- ainsi que par le cahier des charges élaboré par la Haute Autorité de santé (HAS) relatif aux exigences spécifiques, complémentaires à la norme d’accréditation, qu’elle rendra public sur son site internet.
En marge du texte, il est utile de préciser immédiatement et pur des raisons pratiques que l’audit d’accréditation ISO 17020 réalisé par le COFRAC dure 1,5 jour et est réalisé par deux évaluateurs : un évaluateur qualité (responsable d’audit) et un évaluation technique (expert du domaine d’accréditation visé). Cet audit a pour objectif de vérifier la conformité aux exigences de la norme ISO 17020 mais également aux exigences des documents COFRAC.
1.1.2. Régime temporaire et transitoire
A titre temporaire et transitoire, l’évaluateur non encore accrédité mais justifiant d’une recevabilité opérationnelle favorable pourra continuer à réaliser des évaluations pendant 18 mois au maximum, à compter de la date de la notification de la recevabilité opérationnelle favorable par le COFRAC. Il devra alors informer expressément l’ESSMS évalué de son statut spécifique.
Mais si, par la suite, cet évaluateur n’obtient pas son accréditation, alors l’établissement ou le service devra en informer la ou les autorités ayant délivré son autorisation. Dans les 6 mois suivants et au vu des résultats de l’évaluation, ces autorités pourront lui demander de faire procéder sous 2 ans à une nouvelle évaluation par un organisme accrédité.
1.2. Contrôle et suivi des évaluateurs par le COFRAC
Le COFRAC – ou l’organisme européen équivalent – vérifiera le respect de la norme d’accréditation et du cahier des charges par les évaluateurs. Il publiera sur son site Internet la liste des évaluateurs accrédités.
l’évaluateur accrédité ou détenteur d’une recevabilité opérationnelle favorable devra informer sans délai de tout changement de statut concernant son accréditation :
- la HAS,
- les ESSMS pour lesquels il a engagé une démarche d’évaluation.
1.3. Police de l’accréditation
Le COFRAC, responsable du contrôle des évaluateurs, sera compétent pour décider la suspension et le retrait d’accréditation, soit d’office, soit sur saisine de la HAS après qu’elle aura constaté un manquement à son cahier des charges complémentaire à la norme ISO. Les sanctions seront :
- suspension de l’accréditation : l’évaluateur ne sera plus autorisé à réaliser des évaluations jusqu’à la levée de suspension de l’accréditation par le COFRAC – ou son équivalent européen ;
- retrait de l’accréditation : l’évaluateur ne sera plus autorisé à réaliser d’évaluations.
Le changement de statut de l’évaluateur (suspension, non-renouvellement, résiliation, retrait) devra être notifié à la HAS dans les meilleurs délais par le COFRAC – ou son équivalent européen.
2. Commentaire
Une observation à titre principal doit être formulée sur la validité même du décret car cette dernière n’est pas évidente. Et ce n’est que dans l’hypothèse où ce texte pourrait être considéré comme opérant que d’autres observations, à caractère subsidiaire, auraient un intérêt à être présentées.
2.1. Observation principale : la valeur juridique du décret est douteuse
C’est la toute première question qui se pose.
En effet, la réforme de l’article L. 312-8 du CASF prévue dans la LFSS 2022 – qui, notamment sur ce point, a été invalidée par le Conseil constitutionnel – prévoyait que l’alinéa 2 du texte institue l’accréditation des évaluateurs par le COFRAC. Cette disposition n’ayant pas vu le jour, se pose la question de la validité de l’adoption du principe par un texte de nature seulement réglementaire.
Sur ce point, deux arguments semblent militer en faveur de l’illégalité du décret, pour violation de la loi et incompétence matérielle de l’auteur de l’acte :
- d’une part, il semble que le COFRAC ne puisse recevoir d’attributions en matière d’accréditation que si l’instrument qui l’en investit a une valeur légale. En droit de la santé, un exemple de ce principe a été fourni, concernant l’accréditation des laboratoires de biologie médicale, par l’article 69 de la loi HPST et l’article L. 6221-2 du Code de la santé publique (CSP) issu de l’article 1er de l’ordonnance n° 2010–49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale. Ici, la désignation du COFRAC était bien prévue par une dispositions de valeur législative. Et cela paraît logique dans la mesure ou il s’agit de confier à cet organisme l’exercice d’une mission de service public administratif (SPA) assortie de l’exercice de prérogatives de puissance publique (cf. infra, point 2.2.2) ;
- d’autre part, l’article L. 312-8 du CASF dans sa rédaction actuelle dispose, en son alinéa 1er, que “les établissements et services (…) évaluent et font procéder à l’évaluation de la qualité des prestations qu’ils délivrent selon une procédure élaborée par la Haute Autorité de santé”. Or le recours à l’accréditation par le COFRAC n’étant qu’un élément parmi d’autres de la procédure d’habilitation des évaluateurs, de sorte que la compétence pour décider d’une telle accréditation ne peut relever que de l’agence. Le ministre des solidarités de la santé ne peut donc déterminer ce sous-ensemble de la procédure d’habilitation sauf à porter atteinte à la compétence matérielle de la HAS.
La légalité du décret paraît donc douteuse.
2.2. Observations subsidiaires, dans l’hypothèse où le décret serait valide
2.2.1. L’évaluation des ESSMS est un audit externe de contrôle ou d’inspection
Comme cela avait été annoncé sur ce blog, l’accréditation des évaluateurs va donc être réalisée en référence à la norme norme ISO 17020:2012 relative à la réalisation d’audits par les organismes de contrôle et d’inspection. Le décret précise qu’ils seront considérés comme des organismes de contrôle et d’inspection de types A et C au sens de la norme ISO :
- organisme de type A : tout organisme assurant des inspections dite de «tierce partie». Cela signifie que l’inspection est l’activité unique et principale de l’organisme et que l’organisme n’est pas impliqué dans des activités incompatibles avec l’inspection ;
- organisme de type C : “organisme d’inspection assurant des inspections de première partie ou de deuxième partie ou les deux, qui constitue une partie identifiable mais pas nécessairement une partie distincte de l’organisation impliquée dans la conception, la fabrication, la fourniture, l’installation, l’utilisation ou la maintenance des objets inspectés, et qui fournit des prestations d’inspection à son organisation mère, à d’autres parties ou aux deux”. Un organisme de type C peut agir dans des domaines incompatibles avec l’inspection, à condition que des conditions plus poussées, en termes de confidentialité et d’impartialité, soient mises en œuvre. Les organismes de type C peuvent fournir des services d’inspection à d’autres organisations.
Il faut donc constater que la HAS a délibérément écarté la piste d’une accréditation des évaluateurs au regard de la norme ISO 19011:2018 relative à l’audit des systèmes de management qui constitue pourtant la référence en matière d’audit qualité.
Ce choix d’un référentiel réservé aux organismes de contrôle et d’inspection est surprenant si l’on veut bien considérer, par ailleurs, que les services de contrôle et d’inspection des agences régionales de santé (ARS) et des Conseils départementaux (CD) ne sont pas assujettis à une accréditation comparable. Autrement dit, les évaluateurs accrédités vont désormais produire des documents bien plus sérieux, probants et fiables que les rapports d’inspection ! Cet argument sera bien utile en cas de contentieux d’une mesure de police administrative, alors même que les approximations méthodologiques des contrôleurs ne sont pas rares.
2.2.2. Police des activités des évaluateurs et contentieux des décisions du COFRAC
Jusqu’à présent, la HAS exerçait un pouvoir de police administrative sur les activités des évaluateurs, cette prérogative pouvant conduire au prononcé de décisions administratives de suspension ou de retrait d’habilitation.
Désormais, dans la configuration de l’accréditation par le COFRAC – qui est une Association loi 1901 – c’est ce comité qui exerce la police de l’accréditation. L’article 4 du décret n° 2008-1401 du 19 décembre 2008 relatif à l’accréditation et à l’évaluation de conformité pris en application de l’article 137 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME) – loi qui a intégré les propositions de la “commission Attali” – définit les prérogatives de contrôle du COFRAC : il s’agit d’un pouvoir de contrôle sur place et sur pièces. S’il constate que l’évaluateur n’est plus compétent pour réaliser une activité spécifique d’évaluation ou a commis un manquement grave à ses obligations, alors il doit prendre toutes les mesures appropriées pour restreindre, suspendre ou retirer l’accréditation. Préalablement à la saisine du juge, les décisions de restriction, de suspension, de retrait, de refus d’accréditation peuvent faire l’objet d’un recours administratif préalable devant une section spécialisée du comité selon la procédure prévue dans les statuts du comité. Au gré de ces précisions, la procédure d’accréditation des évaluateurs d’ESSMS apparaît analogue à celle, plus générale, de certification des biens et services à des fins commerciales.
Dès lors, se pose la question de la nature des décisions de suspension et de retrait et des contestations éventuelles pont elles pourraient faire l’objet.
Le Conseil d’Etat a déjà statué sur cette question en 2010 et de son arrêt résultent les principes suivants :
- le COFRAC assure, sous le contrôle de l’Etat, une mission d’intérêt général d’attestation de capacité pour l’exécution de laquelle il a été habilité à délivrer, suspendre ou retirer l’accréditation conditionnant la possibilité d’exercer l’activité. Au vu de ces prérogatives de puissance publique, il exerce dont une mission de service public administratif ;
- les décisions par lesquelles le COFRAC retire ou suspend l’accréditation ne présentent pas le caractère de sanctions ;
- pour autant, le COFRAC est soumis à une obligation de motivation au sens du droit des décisions administratives (l’arrêt vise l’ancien article 24 de la loi n° 2000-321 auquel a succédé l’article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration ou CRPA) ;
- les décisions du COFRAC sont justiciables d’un recours pour excès de pouvoir (REP) ;
- les décisions du COFRAC ne sont pas soumises au respect de l’article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) ;
- la législation instituant l’accréditation par le COFRAC ne porte pas à la liberté d’entreprendre une atteinte disproportionnée compote tenu des objectifs d’intérêt général qu’elle poursuit.
En dépit du statut associatif du COFRAC, ses décisions sont donc à considérer comme des décisions administratives individuelles dont le contentieux relève du juge administratif.
2.2.3. Nature et portée du cahier des charges de la HAS
Par contre-coup, se pose la question de la nature et de la portée du cahier des charges complémentaire qui sera produit par la HAS et au regard duquel, en sus des exigences de la norme ISO 17020, le COFRAC pourra refuser, suspendre ou retirer une habilitation.
Dès l’instant qu’une telle décision du COFRAC constitue une décision administrative individuelle faisant grief – ce que sous-entend l’arrêt du Conseil d’Etat de 2010 – pourra être invoqué comme motif le non respect de ce cahier des charges, ce qui pourra faire entrer dans le débat contentieux la question de la légalité dudit cahier des charges.
Il est imaginable également que, sans attendre le contentieux d’une décision défavorable du COFRAC, un évaluateur ou une organisation représentative des intérêts professionnels des évaluateurs saisisse, s’il/elle l’estime nécessaire, le Conseil d’Etat d’un REP contre le cahier dès charges dès sa publication. Sans doute un évaluateur isolé ne ferait-il pas le choix d’une telle initiative individuelle, craignant quelque forme de représailles. Il serait donc opportun que les évaluateurs envisagent la création d’un syndicat professionnel assurant leur représentation collective ; on peut en effet redouter que la police de leurs activités soit désormais, sous la férule du COFRAC, plus rigoureuse que celle de la HAS – ne serait-ce que parce que le niveau d’exigence est à présent plus élevé.
La même possibilité serait ouverte aux organismes gestionnaires d’ESSMS et à leurs têtes de réseau, à supposer qu’ils y aient intérêt à la fois techniquement et stratégiquement.