EHPAD : les actes facturés en “feuille à feuille” par un kinésithérapeute doivent être remboursés à la CPAM … Mais par qui ?

Mai 11, 2022Droit des associations et des ESMS, Tarification

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Par un arrêt du 7 avril 2022, la Cour de cassation a dit pour droit que lorsqu’un masseur-kinésithérapeute a facturé à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) des actes accomplis pour un résident d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), la caisse est fondée à exiger de lui la répétition de l’indu sans avoir à demander à l’établissement le remboursement de ces sommes.

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1. Les faits

De 2011 à 2014, un masseur-kinésithérapeute libéral qui vient en EHPAD soigner une résidente facture ses actes en “feuille à feuille” à la CPAM, comme s’il s’agissait de soins de ville.

Postérieurement, lors d’un contrôle, la caisse se rend compte que l’assurée sociale est résidente d’EHPAD. Considérant que le paiement des actes de kinésithérapie ne peut lui incomber au titre des soins de ville, elle engage contre le professionnel de santé une procédure de répétition de l’indu sur trois ans (près de 40 000 euros).

Ce dernier conteste devoir rembourser à la CPAM les actes en cause.

2. La procédure

Le masseur-kinésithérapeute saisit le juge du contentieux de la sécurité sociale. Aucune indication n’est donnée sur le sens du jugement entrepris consécutivement ; toujours est-il qu’il en est interjeté appel.

Devant la Cour d’appel, la caisse fait valoir qu’elle est en droit d’opposer la répétition de l’indu au professionnel de santé.

L’intéressé soutient quant à lui que la prise en charge financière des actes qu’il a réalisés devait en réalité incomber à l’EHPAD et que, dès lors, la CPAM ne pouvait exiger le remboursement des actes concernés que de l’établissement.

Le juge d’appel donne raison à la CPAM ; le professionnel de santé se pourvoit en cassation.

A l’appui de son pourvoi, le masseur-kinésithérapeute prétend que :

  • les dépenses des EHPAD afférentes aux soins dispensés par des professionnels libéraux sont prises en charge par l’assurance maladie sous la forme d’une dotation globale de financement ;
  • le versement du tarif soins à l’EHPAD exclut que la caisse prenne en charge, en sus de ce tarif, les soins prodigués par des praticiens libéraux ;
  • lorsque la CPAM a pris en charge le remboursement des soins en lieu et place de l’EHPAD sous la forme de soins de ville, elle doit se retourner contre cet établissement. La caisse ne peut donc recouvrer ces sommes auprès du professionnel de santé libéral.

Dès lors, le demandeur au pourvoi considère que la Cour d’appel a violé :

En défense, la CPAM se prévaut de ce que :

  • selon l’article L. 133-4 C. Sécu. soc., en cas d’inobservation des règles de tarification, l’assurance-maladie recouvre l’indu correspondant auprès du professionnel ou de l’établissement à l’origine du non-respect de ces règles et ce, que le paiement ait été effectué à l’assuré, à un professionnel de santé ou à l’établissement ;
  • le professionnel de santé lui a facturé les soins prodigués à une assurée résidente d’EHPAD, alors que ces soins auraient dû être facturés directement à l’établissement car inclus dans son budget de fonctionnement ;
  • l’inobservation des règles de tarification ou de facturation ayant été établie, elle était fondée à recouvrer l’indu auprès du praticien à l’origine du non-respect de ces règles.

La Cour de cassation est donc saisie d’une question de pur droit : si la prise en charge des honoraires d’un professionnel de santé libéral concernant un résident d’EHPAD relève du forfait soins de l’établissement, alors l’assurance-maladie doit-elle se retourner contre ce praticien ou bien contre l’établissement ?

3. La solution

La Haute juridiction rappelle d’abord la règle instituée par l’article L. 133-4 C. Sécu. Soc. : en cas d’inobservation des règles de facturation des actes, la CPAM est fondée à exiger la répétition de l’indu auprès du professionnel à l’origine du non-respect de ces règles et ce, quelle que soit la personne à qui le paiement a été effectué.

Puis, elle constate qu’en l’espèce le masseur-kinésithérapeute a bien facturé à la caisse des soins prodigués à une résidente d’EHPAD, alors que ces derniers auraient dû être facturés directement à l’établissement car inclus dans son budget de fonctionnement.

Elle en conclut que la CPAM est fondée à demander au praticien le remboursement des actes qu’il a indûment facturés. Ce faisant, elle confirme l’arrêt d’appel et déboute le masseur-kinésithérapeute.

4. L’intérêt de la solution

En apparence, cet arrêt illustre une solution classique qui concerne plus généralement ce que l’on nomme la « double prise en charge » qui peut concerner les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). En effet, la jurisprudence considère de longue date que lorsqu’un ESSMS doit à un usager des prestations de soins qui sont incluses dans le périmètre de ses produits de la tarification, la facturation de telles prestations par un professionnel de santé libéral en sus du tarif n’est pas opposable à l’assurance-maladie. Toutefois, par exception à ce principe, le recours au “feuille à feuille” a pu parfois être admis s’il était avéré que les soins en cause, compte tenu de leur spécificité et des moyens particuliers que leur dispensation requiert, ne faisaient pas partie des prestations actuellement disponibles au sein de l’établissement.

Mais au-delà des apparences, au cas d’espèce qui concerne spécifiquement un EHPAD, la solution adoptée par la Cour de cassation – qui n’opère aucune distinction entre tarif global et tarif partiel – pourrait être critiquée. En effet, des dispositions législatives spéciales prévoient pour cette catégorie précise d’ESSMS que la répétition de l’indu par la CPAM doit s’opérer par compensation sur le forfait soins. L’article L. 133-4-4 C. Sécu. soc. – dans sa rédaction de l’époque comme dans son libellé actuel – dispose expressément que, sous réserve que l’EHPAD ne conteste pas le caractère indu des soins en cause, la caisse est fondée à compenser leur remboursement au titre des soins de ville par déduction sur les versements ultérieurs du forfait soins.

Ce qui peut surprendre ici, c’est que la juridiction régulatrice avait eu l’occasion d’affirmer ce principe propre aux EHPAD dans un arrêt de 2012, en exigeant que le juge vérifie que les soins dont le remboursement est litigieux relevaient bien du forfait soins. Sur ce point, le juge de cassation aurait pu utilement se référer à l’article R. 314-161 dans sa rédaction applicable à l’époque du litige (c’est-à-dire avant la réforme de la tarification des EHPAD de décembre 2016) qui disposait que relèvent du tarif soins “les prestations médicales et paramédicales nécessaires à la prise en charge des affections somatiques et psychiques des personnes résidant dans l’établissement ainsi que les prestations paramédicales correspondant aux soins liées à l’état de dépendance des personnes accueillies” . D’évidence, les actes de kinésithérapie objets de la contestation entraient dans cette définition. Et si cette définition n’existe plus en droit positif, il est néanmoins permis de supposer que les actes de rééducation des masseurs kinésithérapeutes entrent toujours dans le périmètre du tarif soins.

L’argumentation juridique développée pour ce masseur-kinésithérapeute aurait pu intégrer ces éléments et cela aurait sans doute changé le sort du contentieux, au détriment de l’EHPAD.

Pour tirer tous les enseignements pratiques de cet arrêt, les organismes gestionnaires d’EHPAD pourraient considérer l’opportunité de compléter le contrat type gouvernant l’intervention des masseurs-kinésithérapeutes qui a été institué par l’arrêté du 30 décembre 2010. Certes, ce contrat ne contient aucune prévision concernant la facturation des actes mais rien interdit de l’enrichir. En effet, si l’arrêté de 2010 et l’article L. 313-30-1 du CASF – qui en prévoit le principe – disposent que ce contrat doit être conforme au modèle réglementaire, le fait de lui ajouter une clause n’affecterait pas pour autant sa conformité, tant que la nouvelle stipulation ne contrarierait pas celles prévues par le règlement. Il pourrait alors s’agir d’insérer une clause d’information indiquant aux masseurs-kinésithérapeutes libéraux que les actes qu’ils accomplissent au sein de l’EHPAD ne peuvent donner lieu à une facturation au titre des soins de ville.

Cass., Civ. 2, 7 avril 2022, M. T… G… c/ CPAM de l’Essonne, n° 20-22014

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