LOGEMENT-FOYER : droit à l’intimité de la vie privée, résiliation du contrat et expulsion de l’usager

Juil 8, 2022Droit des associations et des ESMS, Droit public

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Par un arrêt du 16 juin 2022, la Cour d’appel de Paris a confirmé la résiliation du contrat d’occupation ainsi que l’expulsion d’une personne logée en logement-foyer.

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1. Les faits

Un travailleur migrant occupe une chambre en logement-foyer. Pour ce faire, il a signé à son admission un contrat de résidence et acquitte régulièrement sa redevance mensuelle d’occupation.

Cet usager du foyer vient à héberger, pendant plus de trois mois, une personne qu’il dit être son neveu et qui détient un titre de séjour régulier.

L’organisme gestionnaire souhaite remettre en cause cet hébergement d’un tiers, le règlement intérieur du foyer n’admettant une telle pratique que lorsqu’elle dure moins de trois mois, qu’elle a fait l’objet d’une information de la part du signataire du contrat et que la personne hébergée temporairement s’acquitte d’une participation financière forfaitaire.

Le foyer adresse donc à l’usager une mise en demeure de se conformer sous un mois au contrat de résidence puis, cette dernière n’ayant été suivie d’aucun effet, fait procéder à un constat d’huissier de justice. L’officier public recueille l’accord de l’occupant pour pénétrer dans sa chambre, y constate la présence de deux matelas et consigne les propos de l’occupant selon lesquels la personne hébergée en sus est là depuis quelques mois.

2. La procédure

Sur la foi du constat d’huissier, l’organisme gestionnaire assigne l’usager devant le Tribunal d’instance auquel il demande de :

  • constater que la clause résolutoire inscrite au contrat de résidence a vocation à s’appliquer ;
  • à défaut, prononcer la résiliation du contrat de résidence pour non respect des obligations contractuelles ;
  • dans un cas comme dans l’autre, juger que l’occupant est donc sans droit ni titre pour occuper la chambre ;
  • ordonner qu’il quitte les lieux ;
  • ordonner son expulsion et celles de tous occupants de son chef, avec dispense de délai ;
  • ordonner la séquestration et le transport des meubles garnissant les lieux ;
  • condamner l’intéressé au paiement :
    • du solde de sa redevance en fonction du nombre de jours où il se sera maintenu dans les lieux,
    • de dommages-intérêts,
    • des dépens,
    • des frais irrépétibles.

Le juge de première instance accueille favorablement ces demandes, à l’exception de celles concernant la dispense de délai avant expulsion ainsi que le sort des meubles.

L’usager interjette appel et demande la réformation totale du jugement. Il fait valoir que cette décision :

  • a contrevenu à son droit à l’intimité de la vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du Code civil ;
  • fait fi de l’irrégularité du constat d’huissier, intervenu sans avoir été ordonné par un juge ;
  • aurait dû écarter l’application des stipulations du règlement intérieur du foyer, parce que celles-ci sont contraires à la loi.

L’organisme gestionnaire, intimé, maintient son argumentation.

3. La solution

La Cour d’appel examine chacun des moyens soulevés par l’appelant.

Elle commence par rappeler le régime du contrat d’occupation des logements-foyers contenu dans le Code de la construction et de l’habitation (CCH), visant spécialement les articles L. 633-2, R. 633-2, R. 633-9 et L. 633-4. Ceci étant, elle relève que le contrat de résidence en cause – qui reprend les dispositions législatives et règlementaires visées – comprend bien une clause de résiliation de plein droit en cas de non respect des obligations issues du règlement intérieur du foyer. Elle constate ensuite que, dans les faits, l’usager a bien violé la clause du règlement intérieur encadrant la possibilité d’héberger un tiers. Elle en déduit que la résiliation du contrat de résidence était justifiée et que, pour cette raison, le jugement critiqué pouvait tout à fait régulièrement ordonner l’expulsion de l’usager.

Le juge d’appel affirme ensuite que le régime juridique des logements-foyers, s’il est contraignant, est justifié par “la spécificité des résidences sociales et les impératifs de sécurité et de santé publique”. Pour cette raison, elle n’est pas contraire à l’article 8 de la CEDH qui protège la vie personnelle et familiale.

Enfin, le juge du second degré relève, s’agissant de la régularité du constat d’huissier, qu’en l’espèce l’usager a donné son accord à l’officier public pour qu’il pénètre dans le logement. Dès lors, la législation applicable à la réalisation de ce constat – l’article 1er, alinéa 2 de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers et l’article L. 142-1 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) – a bien été respectée.

Dès lors, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance et condamne l’usager à des frais irrépétibles.

4. L’intérêt de l’arrêt

Cet arrêt présente un intérêt particulier aussi bien pour les professionnels du champ des logements-foyers que pour l’ensemble des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) toutes catégories confondues.

4.1. Champ des logements-foyers

Les logements-foyers se trouvent dans une situation très particulière puisqu’ils relèvent à la fois du Code de l’action sociale et des familles (CASF) et du CCH. De ce point de vue, il faut souligner que le différend entre l’usager et le foyer a été traité ici sous le seul angle de la législation relative à l’habitat ; la dimension médico-sociale a été occultée, possiblement parce que le conseil de l’usager ne l’avait pas prise en compte.

Concrètement, la difficulté réside dans le fait que doivent s’articuler harmonieusement le contrat d’occupation et le contrat de séjour. Heureusement, la résiliation opérée ici pour violation du règlement intérieur du foyer était conforme aux prévisions des III et IV de l’article L. 311-4-1 du CASF – dont le champ d’application concerne l’ensemble des catégories d’ESSMS, à la différence du I qui ne touche que les établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Il se trouve en effet que la rédaction des textes du CCH et du CASF est, sur ce point, identique.

Ceci étant, l’arrêt n’établit pas en quoi l’usager avait paraphé et signé le règlement intérieur du foyer, alors même qu’il s’agit d’une exigence règlementaire que la jurisprudence a de longue date confirmé ; il se borne à mentionner la clause du contrat d’occupation en vertu de laquelle l’usager s’engage à signer et parapher le règlement intérieur.

4.2. Secteur social et médico-social dans son ensemble

Cet arrêt peut déjà retenir l’attention des professionnels du secteurs, tous champs confondus, parce qu’il se consacre à l’examen d’une mesure qu’ils connaissent en général assez mal : celle de l’expulsion d’un usager qui a violé ses obligations contractuelles. Certes, la sanction paraît lourde – et l’on ne peut que louer les préoccupations éthiques de directrices et directeurs qui préfèrent ne pas envisager une telle extrémité – mais il doit sans doute exister des cas dans lesquels aucune autre solution n’est raisonnablement envisageable.

Ceci dit, la solution commentée ici pose une autre question tout aussi digne d’intérêt : celle de la compatibilité entre la législation nationale et la CEDH en matière de droit à l’intimité de la vie privée. Elle intéresse donc aussi l’ensemble des professionnels du secteur.

L’usager faisait valoir que les dispositions françaises limitant le droit d’accueillir temporairement un tiers étaient attentatoires à sa liberté personnelle et familiale et, par voie de conséquence, à son droit à l’intimité de la vie privée. La Cour d’appel a répondu à ce moyen de manière péremptoire, en une seule phrase, indiquant que cette restriction était justifiée par “la spécificité des résidences sociales et les impératifs de sécurité et de santé publique”.

Aucune démonstration n’a été apportée au soutien de cette assertion, alors qu’il aurait fallu répondre à plusieurs questions : qu’est-ce que la spécificité des résidences sociales ? Quels sont les impératifs de sécurité et de santé publique en jeu ? En quoi la restriction apportée à une liberté fondamentale telle que le droit à l’intimité de la vie privée est-elle adéquate et proportionnée au but légitime poursuivi ? Depuis 1981, pour le juge européen, l’atteinte aux droit fondamentaux protégés par l’article 8 ne peut se justifier qu’un présence d’un “besoin social impérieux”. Pourtant, le juge d’appel n’a pas jugé utile d’énoncer les caractéristiques de ce besoin social, ce qui peut paraître étrange dans la mesure où le juge judiciaire, en vertu de l’article 66 de la Constitution, doit être le gardien de la liberté individuelle.

Un tel contrôle aurait été d’autant plus nécessaire que la restriction apportée à la liberté, pour l’usager, d’accueillir à son domicile la personne de son choix a été instituée par une disposition règlementaire et non par la loi elle-même, ce qui entre en contradiction avec l’article 34 de la Constitution.

En définitive, ce qu’illustre cet arrêt, c’est que la réalisation des interventions sociales et médico-sociales, dès qu’elle inclut des prestations d’hébergement, est encline à altérer l’exercice de certaines libertés fondamentales et que, sur ce point, le droit français révèle encore de nombreuses fragilités au regard des standards actuels, qu’ils soient conventionnels ou même constitutionnels.

Paris, 16 juin 2022, Pôle 4, Ch. 3, M. X… c/ Coallia, n° RG 19/227297

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