HANDICAP PSYCHIQUE, TROUBLES COGNITIFS & TND : publication du cahier des charges des collectifs d’entraide et d’insertion sociale et professionnelle

Sep 19, 2022Droit des associations et des ESMS, Droit public, Tarification

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Au BO Santé n° 2022/19 du 15 septembre 2022 (p. 47) a été publiée l’instruction n° DGCS/SD3B/2022/195 du 31 août 2022 relative à la diffusion du cahier des charges des collectifs d’entraide et d’insertion sociale et professionnelle.

1. Présentation

Ce nouveau cahier des charges concerne les dispositifs de pair-aidance, d’expertise d’usage et de partage du savoir expérientiel destinés à soutenir les personnes concernées par un trouble psychique, un trouble cognitif ou un trouble du neuro-développement (TND), avec ou sans reconnaissance de handicap – y compris lorsqu’ils agissent en appui des plateformes d’emploi accompagné (PEA). Il s’adresse aux groupes d’entraide mutuelle (GEM) et aux « Club-Houses ».

Les dispositifs existants sont invités à se conformer à ce cahier des charges, lequel servira également à juger les mérites des projets de création de dispositif (5 sont prévues d’ici 2025).

1.1. Missions et actions

La mission des collectifs concernés se définit par 4 caractéristiques cumulatives :

  • proposer une entraide entre pairs, permettant aux personnes l’acquisition de compétences et la construction d’une trajectoire professionnelle correspondant à leurs choix et préférences, pour contribuer au renforcement de leur autodétermination ;
  • agir en complémentarité et en partenariat avec l’offre existante ;
  • assurer un accueil inconditionnel des bénéficiaires, sans aucune orientation préalable ;
  •  impliquer les personnes tout au long de leur projet.

D’un point de vue opérationnel, il s’agit de :

  • lutter contre l’isolement et soutenir l’appartenance à un collectif ;
  • soutenir l’autodétermination des personnes en développant les capacités individuelles et le soutien par les pairs ;
  • organiser la coopération avec les acteurs économiques pour soutenir les trajectoires d’accès à une activité professionnelle ;
  • contribuer à la déstigmatisation des troubles psychiques, cognitifs et du neuro-développement dans la cité ;
  • accompagner vers et dans l’emploi.

1.2. Plateau technique et activités

Le plateau technique comprend :

  • un directeur,
  • des chargés de cogestion et d’insertion, avec un ratio d’encadrement de 1 professionnel pour 20 membres « actifs », c’est-à-dire fréquentant le collectif au moins une fois par mois et sollicitant un accompagnement collectif ou un suivi individuel.

A noter que l’équipe salariée peut inclure des pairs-aidants professionnels.

L’équipe réalise les activités suivantes :

  • intervenir conjointement avec les membres pour l’organisation et l’animation du collectif ;
  • soutenir les interactions avec les entreprises de proximité (sensibilisation aux
    problématiques de santé mentale et de handicap, accueil régulier et rencontres avec les membres, recrutement dans le démarchage, accompagnement de l’employeur, etc.) ainsi
    qu’avec les structures de formation, d’apprentissage et d’accompagnement à l’emploi des personnes en situation de handicap ;
  • co-construire et co-organiser les ateliers collectifs et le suivi individuel vers et dans emploi ;
  • initier et consolider les partenariats avec les acteurs de droit commun du territoire ;
    – installer et entretenir une ambiance de respect au sein du collectif ;
  • assurer un niveau d’activité suffisant pour engager les membres à prendre des responsabilités.

1.3. Forme juridique, financement et gestion

Le dispositif doit se constituer en Association. L’exigence de participation des bénéficiaires doit se traduire par l’attribution, à leur profit, d’au moins la moitié des sièges au sein des instances statutaires, ce qui induit qu’ils deviennent préalablement membres de l’Association.

Le financement dépend de la conclusion d’une convention avec l’agence régionale de santé (ARS) afin de bénéficier d’une subvention publique versée sur le fonds d’intervention régional (FIR). Ce conventionnement est subordonné au respect de plusieurs exigences :

  • la création du projet doit s’appuyer sur le diagnostic d’un territoire et s’inscrire dans une démarche de partenariat territorial ;
  • le projet doit prend en compte les enjeux du projet territorial de santé mentale (PTSM) ;
  • la création du projet doit être initiée et organisée en impliquant les bénéficiaires
    eux-mêmes ;
  • un partenariat doit être établi avec un établissement de santé mentale ou un centre de
    réhabilitation ainsi qu’avec les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) du territoire, notamment spécialisés, afin de garantir la qualité du parcours ;
  • le collectif doit définir les modalités d’organisation de la complémentarité de l’offre d’entraide entre pairs et notamment de l’appui avec les GEM présents sur le territoire
    concerné (ressources et activités complémentaires d’entraide entre pairs, appui à la recherche d’une activité professionnelle) ;
  • enfin, le collectif doit définir une coopération renforcée avec les acteurs du service public de l’insertion et de l’emploi (SPIE) du département ainsi qu’avec les collectifs de formation, d’apprentissage et d’accompagnement à l’emploi des personnes en situation de handicap.

En matière de gestion, le cahier des charges détaille les modalités de :

  • conclusion de partenariats ;
  • démarche qualité ;
  • pilotage ;
  • reporting quantitatif et qualitatif annuel à l’ARS.

2. Commentaire

La définition de ce cahier des charges témoigne de l’attention prêtée par les pouvoirs public à l’accompagnement des personnes en situation de handicap psychique – même sans notification d’orientation de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) – ainsi que des personnes affectées de troubles cognitifs et de TND dans leur vie professionnelle et sociale. Par cette reconnaissance, il signe donc – aux confins des secteurs sanitaire et médico-social – une avancée importante de l’organisation de l’aval de la filière psychiatrique de court et moyen séjour et il y a tout lieu de s’en réjouir vivement.

Ceci étant, quelques observations peuvent être formulées qui sont en rapport avec la qualification juridique des GEM.

Cette qualification relève, en première intention, des dispositions des articles L. 14-10-5, L. 114-1-1 et L. 114-3 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) et de l’arrêté du 27 juin 2019 fixant leur cahier des charges. On lit, dans le préambule du cahier des charges règlementaire des GEM, que :

« Les GEM ne constituent pas des structures médico-sociales au sens de l’article L. 312-1 du même code. Leur organisation et leur fonctionnement se différencient à plusieurs titres des établissements et services médico-sociaux. Ainsi, les GEM ne sont pas chargés d’effectuer, comme ces structures, des prestations mises en œuvre par des professionnels (ou par des permanents, comme dans les lieux de vie) et n’ont pas pour mission la prise en charge des personnes. Les GEM n’ont donc pas vocation à se substituer aux prestations issues du secteur médico-social, ni aux entités œuvrant dans le secteur du handicap »

Une telle définition, exclusive de la qualification d’ESSMS, pourrait toutefois prêter à discussion. En effet, dès lors que les GEM trouvent leur origine dans l’article L. 14-10-5 du CASF relatif aux compétences financières de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), ils doivent nécessairement correspondre à l’un des domaines de compétence de cette Caisse. Pour mémoire, la CNSA est compétente pour :

  • financer, au titre de l’assurance maladie, certaines catégories d’ESSMS dans les champs du handicap et de la dépendance, tant en matière d’exploitation que d’investissement ;
  • verser certains concours financiers aux Conseils départementaux ;
  • solvabiliser d’autres dépenses d’intervention en faveur des personnes handicapées, des personnes âgées dépendantes et des proches aidants dans le cadre de la branche autonomie (« 5ème branche ») via des concours financiers versés aux Conseils départementaux et Métropoles ou encore l’abondement des FIR pour le soutien d’actions, expérimentations, dispositifs ou structures qui participent à la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées.

Au vu de cette définition de valeur législative, le financement des GEM ne peut relever ni du financement de certaines catégories d’ESSMS, ni des concours versés aux Conseils départementaux, ni de la contribution aux FIR pour soutenir des actions destinées aux personnes âgées ou handicapées. En effet – le cahier des charges signalé ici et le point I-A du cahier des charges générique des GEM le précisent – les groupes d’entraide mutuelle ne sont appelés à répondre ni à des besoins de personnes âgées, ni à des personnes en situation de handicap nécessairement titulaires d’une notification CDAPH.  

Par ailleurs, dans le cahier des charges commenté ici, certaines des activités des GEM concernés – troubles psychiques, troubles cognitifs, TND – correspondent, par leur nature même, à celles des ESSMS :

  • accompagner l’insertion professionnelle et sociale des personnes via des interventions auprès des interlocuteurs institutionnels avec lesquels ces personnes peuvent être en lien (entreprises, structures de formation, d’apprentissage et d’accompagnement à l’emploi des personnes en situation de handicap) ;
  • proposer aux personnes des actions collectives et individuelles d’accompagnement vers et dans l’emploi ;
  • nouer des partenariats avec les acteurs de droit commun du territoire.

Or de telles activités relèvent explicitement de l’action sociale et médico-sociale au visa de l’article L. 311-1 du CASF. Cette définition législative est la suivante :

« L’action sociale et médico-sociale, au sens du présent code, s’inscrit dans les missions d’intérêt général et d’utilité sociale suivantes :

1° évaluation et prévention des risques sociaux et médico-sociaux, information, investigation, conseil, orientation, formation, médiation et réparation ;

2° protection administrative ou judiciaire (…) ;

3° actions éducatives, médico-éducatives, médicales, thérapeutiques, pédagogiques et de formation adaptées aux besoins de la personne, à son niveau de développement, à ses potentialités, à l’évolution de son état ainsi qu’à son âge ;

actions d’intégration scolaire, d’adaptation, de réadaptation, d’insertion, de réinsertion sociales et professionnelles, d’aide à la vie active, d’information et de conseil sur les aides techniques ainsi que d’aide au travail ;

5° actions d’assistance dans les divers actes de la vie, de soutien, de soins et d’accompagnement, y compris à titre palliatif ;

6° actions contribuant au développement social et culturel, à la pratique d’activités physiques et sportives et d’activités physiques adaptées (…) et à l’insertion par l’activité économique »

A l’examen de cette définition, plusieurs des activités des GEM relèvent de l’action sociale et médico-sociale :

« Les missions mentionnées aux 1° à 6° du présent article sont accomplies par des personnes physiques ou des institutions sociales et médico-sociales »

Cela signifie que les activités en cause, dès lors qu’elles ne sont pas exercées par des personnes physiques, doivent impérativement l’être par des institutions sociales et médico-sociales :

« Sont des institutions sociales et médico-sociales au sens du présent code les personnes morales de droit public ou privé gestionnaires d’une manière permanente des établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés à l’article L. 312-1 »

Dès lors, l’action sociale et médico-sociale ne peut être exercée que par des ESSMS.

L’article L. 313-1 du CASF subordonne l’exercice de l’activités des ESSMS à la délivrance d’une autorisation administrative, autorisation qui ouvre droit à un financement sous la forme de produits de la tarification conformément aux articles L. 314-1 et R. 314-105.

La conjugaison de ces textes aboutit à la conclusion que certaines des activités des GEM doivent être soumises à autorisation, sauf à encourir une interdiction administrative pour défaut d’autorisation (article L. 313-15) et sous peine de sanction pénale (article L. 313-22 : délit d’exercice sans autorisation).

Enfin, l’analyse de la jurisprudence des juridictions administratives et répressives par la doctrine (J.-M. Lhuillier, « De quoi les établissements et services sociaux et médico-sociaux sont-ils le nom ? », RDSS 2010, p. 123) a révélé l’existence d’un faisceau d’indices matériels au vu du ou desquels le juge considère que les activités relèvent du monopole d’exercice des ESSMS autorisés. Parmi ces critères figurent :

  • le fait que l’activité soit destinée à un public homogène de personnes vulnérables ;
  • le fait qu’elle soit assurée par des personnes spécialement qualifiées ;
  • le fait que l’exercice de l’activité nécessite des aménagements particuliers.

En l’espèce, les publics bénéficiaires sont des personnes concernées par des troubles psychiques, cognitifs ou des TND. Or ces troubles sont de nature à justifier une orientation CDAPH en vertu de l’article L. 114 du CASF. La vulnérabilité des bénéficiaires ne fait donc pas débat.

On le voit bien : dès lors que les GEM sont appelés à exercer des activités d’accompagnement individuel, d’orientation, de coordination des interventions et d’actions sur l’environnement, ces interventions relèvent du monopole d’exercice des ESSMS autorisés, plus précisément des 7° voire 8° de l’article L. 312-1, I du CASF.

Que l’on ne se méprenne pas : le propos n’est pas ici de critiquer l’utilité des GEM, y compris dans leur dimension de pair-aidance. Il s’agit simplement de relever que l’on ne saurait, par des dispositions règlementaires ad hoc, contrevenir à des textes législatifs de valeur supérieure. Et cette pratique mérite d’autant plus d’être mise en exergue qu’elle est susceptible d’avoir des conséquences préjudiciables aux intérêts des bénéficiaires :

  • l’activité des GEM n’est pas financée de manière pérenne par des produits de la tarification mais par des subventions dont la précarité tient à leur nature juridique même. On a bien vu, par exemple, l’effet qu’a pu avoir le choix d’un tel mode de financement dans le champ de l’insertion par l’activité économique (IAE) : le jour où les crédits ont diminué, les conventions passées avec la puissance publique ont été révisées en conséquence, provoquant la paupérisation des acteurs. C’est d’ailleurs le même risque qui pèse sur des structures aussi essentielles dans la structure de notre système de santé que les dispositifs d’appui à la coordination des parcours de santé complexes (DAC) censés être la garantie ultime de la disparition des ruptures de parcours ;
  • l’activité des GEM échappe au pouvoir de police administrative, alors même que l’exercice de cette prérogative de puissance public se justifie d’abord par le souci régalien de protéger les personnes vulnérables.

Quant aux atteintes portées par cette pratique au droit des institutions sociales et médico-sociales, elles consistent par voie de conséquence dans :

  • le détournement du droit des autorisations via le recours indû à des appels à manifestations d’intérêt (AMI) ou appels à candidatures (AAC) ;
  • la multiplication des dispositifs dans une logique de réduction des champs d’intervention des ESSMS, réduction qui n’est pas un gage de compétence technique des intervenants ;
  • la légitimation d’une logique de définition technique des besoins par la puissance publique, alors que cette dernière ne justifie pas de compétences « cliniques » du niveau de celles des équipes pluridisciplinaires.

En définitive, l’exemple donnée par ce dispositif de GEM illustre une tendance lourde à l’œuvre dans le secteur social et médico-social :

  • les lieux institutionnels n’ont pas la confiance des pouvoirs publics pour concevoir et mettre en œuvre des modalités d’intervention et de coordination souples, trans-sectorielles et innovantes ;
  • l’Etat ne se sent nullement engagé à respecter le droit des activités sociales et médico-sociales, n’hésitant pas à recourir à des dispositifs à la légalité contestable ;
  • la recomposition de l’offre peut, de manière significative, s’opérer sans la participation des organismes gestionnaires ;
  • la logique de désinstitutionalisation irrigue assurément les politiques sociales.

Pour ce qui est des personnes en situation de handicap psychique ou rencontrant des troubles voisins, il faut espérer que ces GEM leur procurent le plus de bienfaits possible mais il faut, dans le même temps, souhaiter que leur existence ne soit pas un prétexte pour faire l’économie d’une réflexion de fond sur l’efficacité de la politique publique en santé mentale : ces GEM ne viendront pas, à eux seuls, combler les lacunes de l’aval des prises en charge psychiatriques en établissement sanitaire de court ou moyen séjour. Un vrai travail de fond sur ce sujet – en plus d’une revalorisation des crédits de la psychiatrie – serait à la hauteur de l’intention exprimée en 2005 lorsqu’a été enfin reconnu le handicap psychique.

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