Maître Pierre NAÏTALI vous invite à consulter l’article qu’il a rédigé pour la revue TSA : Assurer la sécurité des salariés et des usagers.
-
Le problème posé
Je viens de prendre des fonctions de directeur dans un foyer pour jeunes placés par l’aide sociale à l’enfance. Cet établissement connaît de grosses difficultés. Les locaux sont vétustes, le matériel n’est pas entretenu et je ne suis pas sûr qu’il soit aux normes. En outre, le climat est très tendu, des jeunes allant jusqu’à menacer les salariés. Je crains des passages à l’acte. La délégation me donne mission permanente de garantir les bonnes conditions d’hygiène et de sécurité tant à l’égard des jeunes que des salariés. Quelles sont mes obligations et que puis-je faire ?
-
Les solutions
L’hygiène et la sécurité au travail sont des problématiques de plus en plus importantes qui ont nécessité l’intervention du législateur. Les dispositions légales s’appliquent à tous : employeurs de droit privé, établissements publics à caractère industriel et commercial, établissements publics administratifs quand ils emploient des salariés dans les conditions de droit privé, établissements de santé et établissements sociaux et médico-sociaux. La jurisprudence est stricte et retient que l’obligation de sécurité est de résultat. Autrement dit, la responsabilité de l’employeur est chaque fois engagée à une seule exception: s’il prouve que l’échec est dû à la faute exclusive de la victime ou que cet échec s’explique par des circonstances relevant de la force majeure (c’est-à-dire des faits qui
présentent un caractère imprévisible, irrésistible et extérieur).
Mise aux normes et entretien du matériel
Dans le cadre de la délégation qui vous a été faite, vous avez reçu la responsabilité en matière de sécurité. Ainsi vous devez vous assurer que le matériel utilisé est aux normes, que des procédures sont mises en place, par exemple pour l’utilisation de machines. Pour mettre en œuvre cette délégation, il vous est possible de subdéléguer la question de l’entretien et de la mise aux normes des installations à un salarié formé. Il est important que ce salarié dispose des moyens nécessaires pour mettre en œuvre la subdélégation. Pour limiter les risques, les établissements ont en général recours à des contrats de maintenance sur l’ensemble des matériels présentant des risques particuliers. C’est le cas, par exemple, pour les ascenseurs, les chaudières ou encore les matériels de sécurité.
Ensuite, vous devez faire passer à intervalle régulier des organismes de contrôle. Le plus souvent, ils interviennent tous les ans et établissent des rapports avec des préconisations. Ces organismes vous permettent d’être informés du respect par votre établissement des normes d’hygiène et de sécurité. Compte tenu des difficultés que vous soulevez, il me semble nécessaire de faire passer les organismes compétents dans les plus brefs délais. En fonction des résultats des contrôles, il conviendra de mettre en œuvre les mesures correctives préconisées (remplacement d’extincteurs, mise aux normes d’un ascenseur, etc.).
Ainsi, vous aurez limité pour partie les risques d’accident liés à des matériels qui ne seraient pas aux normes ou qui seraient trop vieux.
Conditions de travail
En tant qu’employeur, vous devez garantir de bonnes conditions de travail à vos salariés. Vous disposez à cet effet de plusieurs outils. Le Code du travail vous permet là aussi de désigner un ou plusieurs salariés compétents en matière de prévention des risques professionnels de l’entreprise. Le ou les salariés ainsi désignés doivent pouvoir bénéficier, à leur demande, d’une formation en matière de santé au travail. À défaut, si les compétences dans votre établissement ne le permettent pas, vous pouvez faire appel, après avis du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou, en son absence, des délégués du personnel, à des intervenants en prévention des risques professionnels appartenant au service de santé au travail interentreprises auquel vous adhérez. J’attire votre attention sur la place du médecin du travail qui est devenu, depuis la réforme de l’organisation de
la médecine du travail en vigueur depuis le 1er juillet 2012, un acteur incontournable de la prévention des risques professionnels.
Vous pouvez enfin faire appel à votre Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract).
En définitive, la convergence des différents acteurs a pour but la mise en œuvre d’une action cohérente de prévention des risques professionnels.
À cette occasion il est important de mettre à jour, ou s’il n’existe pas, d’établir le document unique de prévention des risques. Ce dernier doit comporter un inventaire des risques identifiés et être tenu à la disposition des salariés.
Mesures d’urgence
Compte tenu de la gravité de la situation que vous exposez, il me semble nécessaire de prendre d’urgence des mesures pour prévenir les risques de violence de la part des jeunes, par exemple en renforçant la présence de personnel à certains moments de la journée, et donc en réorganisant les plannings de travail. Cela peut aussi nécessiter d’envisager des sanctions contre les jeunes pouvant aller jusqu’à l’exclusion d’un ou plusieurs jeunes de façon temporaire ou définitive, sous réserve de respecter bien entendu les procédures prévues en pareil cas.
La mise en place d’actions de formation est souvent un moyen de ramener la confiance chez les professionnels. De même, l’équipe de travailleurs sociaux peut se faire accompagner sur une période plus ou moins longue par un professionnel extérieur à l’établissement. L’objectif est que le personnel de l’établissement garde le dessus sur les jeunes.
L’étendue de la responsabilité de l’employeur
En cas d’infraction, la responsabilité de l’employeur peut être engagée. Les inspecteurs ou les contrôleurs du travail sont compétents pour dresser des constats qui font foi jusqu’à preuve du contraire. Ils peuvent prendre des mesures, qui diffèrent selon la nature de l’infraction. Il peut s’agir d’une mise en demeure. En cas de risque d’atteinte sérieuse à l’intégrité physique des salariés, l’inspecteur du travail peut saisir le juge des référés pour que soit ordonnée toute mesure propre à faire cesser le risque, voire même la fermeture temporaire de l’établissement. La responsabilité pénale du dirigeant ou du titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité pourra également être engagée. La personne morale (l’association) pourra être mise en cause concurremment ou à la place du dirigeant ou du titulaire de la délégation.
En matière d’hygiène et de sécurité, il est extrêmement difficile pour l’employeur d’échapper à sa responsabilité. Les circonstances atténuantes ne suffisent généralement pas à exonérer l’employeur de sa responsabilité. La jurisprudence retient en effet, que la seule inobservation d’une prescription particulière de sécurité constitue une faute caractérisée (Cass. crim., 18 juin 2002). En l’état de la jurisprudence, seul le recours à une entreprise désignée contractuellement responsable de la sécurité a permis à un employeur de ne pas être condamné. Les sanctions peuvent être lourdes. Tout d’abord, votre responsabilité pénale pourrait être mise en œuvre sur le fondement de l’article L.4741-1 Code du travail qui punit d’une amende de 3750 € (1 an d’emprisonnement et 9000 € en cas de récidive), chaque infraction aux prescriptions d’hygiène et de sécurité. Amende qui est multipliée par le nombre de salariés concernés.
Votre responsabilité pénale pourrait également être engagée en application de l’article 222-19 du Code pénal. Ainsi, en cas d’accident causant à autrui une incapacité totale de travail de plus de trois mois, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, vous encourez deux ans de prison et 30 000€ d’amende. Sanction portée à trois ans de prison et 45 000 € d’amende en cas de décès (art. 221-6 du Code pénal).
Enfin, il peut arriver que votre responsabilité soit fondée à la fois sur le Code du travail et le Code pénal. Dans cette hypothèse, la peine ne peut dépasser le maximum de la peine encourue la plus élevée. Dans tous les cas, vous seriez amené à indemniser en plus les victimes dans le cadre de votre responsabilité civile, en fonction du préjudice subi.
-
Attention
Des problèmes d’hygiène et/ou de sécurité susceptibles de mettre en cause la responsabilité civile de l’établissement ou la responsabilité pénale de l’organisme gestionnaire peuvent justifier des sanctions administratives. Il en va de même en cas de non-respect des règles minimales d’organisation et de fonctionnement des établissements. Les dispositions des articles L. 313-14 et suivants du Code de l’action sociale et des familles prévoient une échelle de mesures administratives : injonction de remédier aux dysfonctionnements, administration provisoire ou encore fermeture totale ou partielle, à titre temporaire ou définitif, de l’établissement.