ETAT D’URGENCE SANITAIRE : la CNCDH dénonce l’illégalité des consignes données par les Administrations lors de la crise sanitaire

Fév 17, 2021Droit des associations et des ESMS, Droit public, Droit social

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Au JO du 14 février 2021 a été publiée la déclaration de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur les droits fondamentaux des travailleurs pendant l’état d’urgence sanitaire, adoptée en assemblée plénière le 28 janvier 2021 par 44 voix pour et 3 abstentions. A l’occasion de cette prise de position contre la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, la Commission dénonce l’illégalité de la prise en compte de divers supports d’informations diffusés sur Internet par les Administrations pendant la crise sanitaire. Or le secteur social et médico-social a été destinataire de moultes orientations administratives informelles de cette nature, avec parfois des conséquences importantes en termes de restrictions des libertés individuelles des usagers et résidents.

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Indépendamment des critiques qui sont principalement adressées par la Commission aux adaptations du droit du travail pendant l’état d’urgence sanitaire, cette déclaration souligne une difficulté juridique majeure – et générale – sur la valeur des recommandations, consignes et autres fiches pratiques qui ont été diffusées par les Administrations sur leur site Internet (point 5 du document).

Sur ce point, la CNCDH considère que ces documents ont été produits sans aucune habilitation législative ou règlementaire et le plus souvent sans concertation. Elle critique le fait que le Conseil d’État ait pu parfois admettre que certains de ces documents constituent du “droit souple” pouvant avoir une valeur normative. Elle relève que, suivant le Conseil d’Etat, des Administrations aient pu considérer que ces documents n’étaient pas dénués de portée normative. Car, pour la CNCDH, “le recours à de tels instruments, non publiés au Journal officiel, dotés d’une force juridique incertaine et susceptibles d’être retirés sans aucune publicité, porte atteinte à la prévisibilité, l’intelligibilité et l’accessibilité des normes”.

Pour soutenir ce point de vue, la CNCDH fait référence à une décision du Conseil d’Etat rendue en matière de référé-suspension en mai 2020 (CE, Réf., 29 mai 2020, Association française de l’industrie des fontaines à eau, n° 440452). La lecture de cette décision est éclairante sur la question de la valeur juridique de ces documents diffusés sur Internet par les Administrations :

“les décisions de publication de ces guides sur le site du ministère du travail ont pour seul objet d’informer les employeurs et les salariés des branches concernées des travaux réalisés par les organisations professionnelles et syndicales auteurs de ces guides. Elles ne révèlent par elles-mêmes aucune décision d’approbation de leur contenu par l’administration et ne contiennent pas d’autres informations que celles ayant vocation à être portées, par ailleurs, à la connaissance des employeurs et salariés de la branche par les organisations qui sont à l’initiative de ces documents. Par suite, elles ne revêtent pas le caractère de décisions faisant grief et ne sont susceptibles de faire l’objet ni d’un recours pour excès de pouvoir ni, par conséquent, d’une requête tendant à la suspension de leur exécution”.

L’analyse critique formulée par la CNCDH paraît donc devoir être tempérée. En effet, pour la Haute juridiction, les recommandations en cause n’ont aucune valeur règlementaire puisqu’elles ne peuvent être qualifiées de décisions administratives faisant grief aux administrés.

Il va de soi qu’il en aurait été autrement si ces consignes avaient été adoptées, soit sous la forme de décrets ou d’arrêtés, soit par l’adoption de circulaires ou d’instructions susceptibles d’avoir un caractère règlementaire au sens de la jurisprudence Duvignères sous réserve que la compétence matérielle de leur(s) auteur(s) ait été avérée.

Mais, pour autant, la déclaration de la CNCDH a le mérite de soulever un point de droit important qui peut avoir des conséquences pratiques directes pour les organismes gestionnaires d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).

De fait, les directeurs/trices d’ESSMS ont été destinataires, tout au long de la crise sanitaire et en particulier dès sa phase pandémique du printemps 2020, de multiples recommandations et autres fiches mises en ligne par le ministère des solidarités et de la santé et/ou les agences régionales de santé (ARS). Ces diverses recommandations, quel qu’ait été le nom qui leur a été donné, ont pu prescrire la violation de libertés fondamentales des personnes accueillies ou accompagnées. A titre d’exemples :

De telles restrictions, opérées de manière non assumée par la puissance publique, contrevenaient très clairement à l’avis du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) du 13 mars 2020, pourtant rendu sur saisine du ministre des solidarités et de la santé. Cet avis recommandait à l’Exécutif de faire reposer les mesures restrictives de liberté sur “un cadre juridique et éthique solide”. Dans son avis du 30 mars 2020, rendu lui aussi sur saisine du ministère, le même CCNE a confirmé son analyse, jugeant bon de préciser à cette occasion que “la crise sanitaire actuelle est révélatrice du manque de moyens préexistants, notamment humains, dans ces établissements. La pénurie de personnels et des ressources indispensables aujourd’hui (masques de protection, tests de détection), dans un contexte d’isolement déjà installé, exacerbe les difficultés auxquelles les professionnels de santé doivent faire face dans l’urgence”.

Au vu de tous ces éléments, il est avéré que l’absence d’initiatives de la puissance publique en matière d’adaptation du droit a placé les directeurs/trices dans une situation de grande insécurité juridique car ils ont, en toute bonne foi et pour faire au mieux, suivi des consignes manifestement illégales des autorités sanitaires. Il est malheureusement prévisible que des contentieux naissent de ces situations illégales, notamment à l’initiative de certains résidents et/ou de leur famille. Devant le juge civil, les organismes gestionnaires de droit privé se retrouveront alors bien seuls car ils ont objectivement outrepassé leurs attributions ; ils exposeront nécessairement leur responsabilité. Il faut espérer que ces initiatives contentieuses ne soient pas accompagnées de poursuites pénales contre les organismes gestionnaires et les professionnel eux-mêmes …

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