ETAT D’URGENCE SANITAIRE : le Conseil d’Etat justifie l’interdiction, pour les personnes vaccinées contre le coronavirus, de sortir de leur domicile

Avr 12, 2021Droit des associations et des ESMS, Droit public

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Par une ordonnance du 1er avril 2021, le juge des référés du conseil d’État a refusé d’exclure les personnes vaccinées contre le coronavirus du champ d’application de l’interdiction règlementaire de sortie du domicile, au motif qu’elles peuvent être contagieuses.

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1. Les faits

Le premier ministre, en vertu de l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique (CSP) qui définit ses prérogatives en état d’urgence sanitaire, édicte le décret n° 2021-296 du 19 mars 2021 modifiant le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Ce décret comprend, dans son article 4, le le régime du couvre-feu et du confinement dans certaines zones dont l’Ile-de-France, à savoir une interdiction de sortie du domicile sauf motif dérogatoire. Le texte ne prévoit pas d’exception au profit des personnes vaccinées contre le coronavirus.

2. La procédure

Une francilien vacciné contre le coronavirus saisit le Conseil d’Etat d’un référé-liberté pour demander la suspension de celles des dispositions du décret qui définissent l’interdiction de sortie du domicile. En effet, elle considère que cette interdiction :

  • équivaut à une assignation à résidence qui viole la liberté d’aller et venir. Il est donc urgent que le juge se prononce à son sujet ;
  • porte atteinte de manière grave et manifestement illégale à cette liberté ;
  • n’est ni nécessaire, ni adaptée à l’objectif de santé publique poursuivi. En effet, elle s’applique de la même manière aux personnes vaccinées et non vaccinées, alors que de nombreuses études scientifiques démontrent que les vaccins sont pleinement efficaces et que les personnes vaccinées présentent des risques d’hospitalisation et de transmission du virus moins considérables.

Le ministre des solidarités et de la santé produit deux mémoires en réponse qui concluent au rejet pur et simple de la requête.

Le premier ministre, invité à conclure à son tour, s’en abstient.

Une première audience se tient, au terme de laquelle le juge rouvre l’instruction pour permettre au ministre de la santé de produire un nouveau mémoire.

Le ministre fait valoir que l’interdiction est motivée par la nécessité de freiner la diffusion du virus par les contacts interpersonnels pour protéger la population, notamment les personnes les plus vulnérables à raison de leur âge. Elle est appelée à durer aussi longtemps que des mesures de prévention ou de soin ne seront pas disponibles. Elle doit servir à circonvenir le risque de contracter des formes graves de la maladie qui :

  • sont d’une morbidité élevée pour les personnes âgées ;
  • exposent les services hospitaliers à la saturation, ce qui restreindrait la possibilité d’hospitaliser d’autres catégories de malades.

En réplique, le requérant produit deux mémoires.

3. La solution

Le juge des référés s’approprie d’abord le raisonnement de l’Exécutif :

  • l’interdiction de sortie sert à limiter les relations interpersonnelles ;
  • son objectif est de protéger les personnes âgées et d’éviter la saturation des établissements de santé ;

tant que des moyens thérapeutiques adéquats ne pourront pas neutraliser le risque.

Ceci étant, il considère que :

  • la reprise de la diffusion de l’épidémie s’est traduite par une aggravation significative de la diffusion du virus sur l’ensemble du territoire national ;
  • cette reprise a provoqué une sollicitation accrue des capacités hospitalières ;
  • cet accroissement est dû à un nombre élevé de personnes souffrant de la maladie, notamment de ses formes les plus graves ;
  • cette situation a conduit les pouvoirs publics à généraliser les mesures qui, jusqu’alors, ne s’appliquaient qu’à un nombre limité de départements.

Ceci étant, le juge du palais Royal indique que, contrairement à ce que soutient le requérant, l’interdiction de circuler indifférenciée sert, de manière à la fois nécessaire et adaptée l’intérêt public d’assurer la sécurité sanitaire de la population. Analysant les pièces du dossier, il estime avérés les éléments suivants :

  • pour efficace que soit la vaccination – qui ne concerne encore qu’une faible proportion des personnes les plus vulnérables – elle n’élimine pas complètement la possibilité que les personnes vaccinées demeurent porteuses du virus ;
  • si une étude américaine, produite en délibéré par le requérant, semble indiquer que le nombre en serait faible, pour autant elle ne suffit pas à ce stade à démontrer, au regard de l’accélération de l’épidémie, que seul le respect des gestes barrières par les personnes vaccinées suffirait à limiter la contamination ;
  • dès lors, la libre circulation des personnes vaccinées pourrait aggraver le risque pour les personnes les plus vulnérables non encore vaccinées – qui sont encore majoritaires – même si elles sont désormais moins nombreuses dans les services hospitaliers ;
  • selon le conseil scientifique, l’effet de la vaccination en matière de réduction de la circulation du virus n’est atteint, dans certains pays, que par un niveau suffisant de vaccination au sein de l’ensemble de la population.

De ces données, le juge des référés déduit que :

  • s’il est pour l’instant vraisemblable que la vaccination assure une protection efficace des bénéficiaires – même si l’impact des évolutions de l’épidémie dues aux variants demeure incertain -les personnes vaccinées peuvent cependant demeurer porteuses du virus et contribuer ainsi à la diffusion de l’épidémie, dans une mesure qu’il est pour l’instant difficile de quantifier ;
  • il n’est donc pas possible d’affirmer que seule la pratique des gestes barrières limiterait suffisamment le risque de contagion par les personnes vaccinées infectées ;
  • dès lors, l’atteinte à la liberté individuelle des personnes vaccinées résultant des mesures de couvre-feu et de confinement ne peut en l’état, au regard des objectifs poursuivis, être regardée comme disproportionnée.

Le juge des référés du Conseil d’Etat rejette donc la requête.

4. L’intérêt de l’ordonnance

Cette ordonnance mérite l’attention à plusieurs titres.

En premier lieu, elle confirme la jurisprudence du juge des référés du Conseil d’Etat selon laquelle les atteintes administratives à la liberté d’aller et de venir sont bien susceptibles d’être critiquées par la voie du référé-liberté.

Par ailleurs, elle souligne un point important : le juge des référés, juge de l’évidence, apprécie les données factuelles de la situation dont il est saisi au moment exact où il statue. Sur ce point, les moyens de fait pris en compte sont cohérents avec les données épidémiologiques de Santé Publique France sur les admissions en établissement de santé, en service de réanimation et sur la mortalité – les taux d’incidence, de dépistage et de reproduction n’ont aucun d’intérêt compte tenu des multiples biais qui les affectent – mises en ligne dans le bulletin épidémiologique du 1er avril 2021.

Ceci étant, la mise en regard de cette nouvelle décision du juge des référés du Conseil d’Etat avec son ordonnance du 3 mars 2021 concernant les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les unités de soins de longue durée (USLD), commentée sur ce blog, n’apporte pas de nouvel enseignement significatif. En effet, dans sa décision précédente, le magistrat considérait que le fait, pour un résident ou un patient, d’être vacciné devait lui permettre d’aller et venir librement hors de l’établissement. Mais la problématique qu’il était invité à trancher concernait le risque qu’un résident, de retour d’une sortie, contamine les autres personnes hébergées. Sur ce point, il était acquis que le taux très important de vaccination dans ces structures était de nature à maîtriser un tel risque. A contrario, le raisonnement tenu ici justifie l’atteinte portée à la liberté de circulation des personnes vaccinées par l’absence d’immunité de troupeau dans la population générale.

CE, Réf., 1er avril 2021, M. A… B… c/ Premier ministre, n° 450956

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