L’état d’urgence sanitaire, s’il fournit un cadre juridique d’exception, ne comprend néanmoins aucune disposition propre à justifier la pratique, par les directeurs/trices des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), de mesures restreignant l’exercice des droits fondamentaux tels que la liberté d’aller et venir ou encore le droit de recevoir des visites.
.
Depuis un an, la crise sanitaire du coronavirus a conduit et conduit encore les directeurs/trices d’ESSMS à aménager le fonctionnement des établissements pour assurer, autant que faire se peut, la sécurité sanitaire des personnes accueillies ou accompagnées.
A cet effet, depuis le 27 mars 2020, ils sont régulièrement destinataires de recommandations, fiches, guides et autres foires aux questions (FAQ) émises par le ministère des solidarités et de la santé et les agences régionales de santé (ARS). Pour quelques exemples récents :
1°) pour ce qui est du ministère :
- consignes “adaptation des mesures de protection dans les ESMS accueillant des personnes en situation de handicap face à la propagation de nouvelles variantes du SARS-CoV-2” du 5 avril 2021 ;
2°) pour ce qui provient des ARS :
Or l’examen juridique de ces pratiques conduit à constater que de telles restrictions n’ont en réalité aucun fondement juridique. En effet, les pouvoirs de restriction administrative des libertés individuelles prévus par l’état d’urgence sanitaire ne peuvent résulter que :
- pour le premier ministre : de l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique (CSP) ;
- pour le ministre des solidarités et de la santé : de l’article L. 3131-16 ;
- pour les préfets de département : de l’article L. 3131-17.
En matière de restriction des droits fondamentaux des personnes accueillies, ces textes prévoient la possibilité d’édicter un décret ou un arrêté afin d’imposer :
- l’interdiction de sortie du domicile,
- l’isolement,
- la quarantaine,
- l’adaptation du fonctionnement voire la fermeture des établissements recevant du public (ERP).
Il apparaît aussitôt évident qu’aucune de ces prérogatives n’est susceptible de concerner les personnes accueillies en ESSMS :
- la chambre de la personne en ESSMS n’est pas son domicile (voir, sur le sujet, ce post du 19 mars 2013) ;
- l’isolement et la quarantaine ne concernent que les étrangers entrant sur le territoire national, conformément au Règlement sanitaire international (RSI) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2005 ;
- l’adaptation du fonctionnement ou la fermeture des ERP concerne, non des personnes mais des types d’ERP.
L’Administration centrale n’est sans doute pas sans connaître ce régime inséré dans le CSP – pour en avoir été l’auteur – mais recourt pourtant aux notions d’isolement et de mise en quarantaine de manière impropre : les personnes accueillies ne peuvent juridiquement subir de telles mesures qui sont réservées aux seuls étrangers.
Selon les mêmes consignes administratives, les directeurs/trices auraient toute latitude de prendre des décisions restrictives des libertés en cas de nécessité, à condition d’informer le conseil de la vie sociale (CVS) et les personnes accueillies (à titre d’exemple : recommandations “Allègement post vaccinal des mesures de protection dans les EHPAD et les USLD” du 12 mars 2021). Or cette appréciation est erronée :
- d’une part, parce que la seule information préalable du CVS et des personnes accueillies est formellement insuffisante, ne serait-ce que parce qu’est oubliée l’information préalable due aux institutions représentatives du personnel, dont l’absence est sanctionnable pénalement pour délit d’entrave ;
- d’autre part, parce que les directeurs/trices des ESSMS de droit privé n’ont aucun pouvoir règlementaire à l’égard des personnes accueillies ni, a fortiori, à l’égard des tiers tels que les visiteurs ;
- enfin, parce que les restrictions des droits fondamentaux doivent impérativement prendre la forme de modifications de certains documents obligatoires issus de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002.
Ceci étant, si le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire ne permet pas de fonder les mesures de confinement en chambre et de réception de visiteurs, d’autres fondements juridiques sont mobilisables par les organismes gestionnaires pour permettre aux professionnels de veiller sur la santé des personnes accueillies en toute légalité, à condition bien sûr de respecter des critères d’adéquation, de proportion, de caractère temporaire et d’application au cas par cas des mesures restrictives.
En termes de responsabilité indemnitaire, les organismes gestionnaires n’ont que peu de craintes à avoir dans la mesure où ils bénéficient, ainsi que les professionnels concernés :
- de garanties d’assurance adéquates (sous réserve de les avoir convenablement vérifiées et adaptées si nécessaire) en cas de recherche de leur responsabilité – contractuelle ou extracontractuelle selon les cas de figure – des personnes accueillies et de leurs proches ;
- d’une exclusion légale de leur responsabilité à raison des accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales imputables aux activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application des mesures prises à l’occasion de la crise sanitaire et ce, par application de l’article L. 3131-4 du CSP. L’indemnisation est due de plein droit par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).
En revanche, les organismes gestionnaires et leurs professionnels sont potentiellement exposés à des risques pénaux significatifs pouvant aller :
- jusqu’au crime de séquestration, passible de 20 ans de réclusion (pour les structures de droit privé) ;
- jusqu’au délit de détention arbitraire, passible de 7 ans d’emprisonnement (pour les structures de droit public).
Là, aucune garantie d’assurance ne peut permettre de maîtriser le risque, même si une garantie de protection juridique est souhaitable pour couvrir les frais de défense pénale.
Enfin, le risque de voie de fait est également important.
Parce que :
- les droits fondamentaux sont garantis par de nombreux textes internationaux dont la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) applicable en droit français ;
- ces mêmes droits fondamentaux sont également garantis par des dispositions du droit positif national, y compris par la Constitution ;
- le régime législatif de l’état d’urgence sanitaire n’apporte aucun fondement valable aux restrictions que l’Etat incite les professionnels à pratiquer ;
- le risque pénal, lui-même générateur d’un risque important d’image et de réputation, ne peut être maîtrisé ;
il est essentiel que les directeurs/trices d’ESSMS et les organismes gestionnaires adoptent des dispositions adéquates pour agir en toute légalité et ce, en mobilisant des fondements juridiques distincts de ceux du régime d’exception actuellement en vigueur.