CPOM : lorsque que le contrat est échu et qu’aucun nouveau contrat n’a été conclu, la tarification règlementaire s’applique à nouveau

Juil 20, 2021Tarification

}

Temps de lecture : <1 minutes

Par un jugement du 15 novembre 2019, le Tribunal Interrégional de la tarification sanitaire et sociale (TITSS) de Paris a dit pour droit que, dès lors qu’il n’est plus soumis à un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) venu à échéance, un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) relève de la procédure de tarification règlementaire. Dans ce cadre, la définition de l’activité pour le calcul du prix de journée doit résulter du droit commun, c’est-à-dire en tenant compte de l’activité réalisée des trois années précédentes.

.

1. Les faits

L’Association gestionnaire d’un ITEP adresse à l’agence régionale de santé (ARS) ses propositions budgétaires initiales pour l’exercice 2017.

Pour respecter le caractère limitatif de l’enveloppe régionale, l’ARS édite un rapport d’orientation budgétaire (ROB) 2017 qui prévoit la réalisation d’abattements pour les établissements dont l’activité serait inférieure à 90% du total réalisable.

Puis, sans mettre en oeuvre aucune procédure contradictoire, le directeur général de l’ARS édicte d’autorité un arrêté de tarification fixant le tarif sous forme de dotation globale en application du CPOM. Appliquant les directives du ROB, il pratique un abattement au motif que l’activité de l’ITEP est insuffisante.

L’organisme gestionnaire désapprouve cette décision et forme un recours gracieux contre l’arrêté de tarification.

Un arrêté modificatif est entrepris mais il ne revalorise le tarif que partiellement, appliquant un taux de débasage de 13 %.

2. La procédure

L’Association saisit le TITSS d’une requête en annulation des deux arrêtés ainsi qu’en réformation du prix de journée.

Elle conclut à l’annulation des arrêtés aux motifs que :

  • l’arrêté initial est entaché d’incompétence ;
  • les deux arrêtés ont été entrepris en violation des articles L. 314-7, R. 314-22 et R. 314-23 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) car ils n’ont pas été précédés de propositions de modifications budgétaires motivées ;
  • les arrêtés ne sont pas dûment motivés car le recours à un taux d’occupation cible défini par le ROB ne fait pas partie des critères d’abattement limitativement définis par le CASF ;
  • ils encourent aussi l’annulation pour défaut de motivation dans la mesure où le ROB ne précise pas les critères de modulation, ni l’exercice de référence ;
  • le taux de débasage de 13% n’est pas expliqué ;
  • les arrêtés violent l’article R. 314-34 du CASF qui prescrit la pratique des abattements par groupe fonctionnel. En effet, ils a été procédé à un abattement global, non ventilé par groupe.

Elle soutient ensuite sa demande de réformation :

  • l’autorité de tarification a commis une erreur de droit. En effet, l’activité qu’elle a retenue pour le calcul du prix de journée procède d’une violation de l’article R. 314-113 du CASF. En l’espèce, l’agence a fixé le nombre de journées à 3 564 alors que l’activité moyenne des trois dernières années est de 3 056 journées ;
  • l’ARS, en se référant à un taux d’occupation, a également commis une erreur de droit au regard des critères d’abattement limitativement prévus par les articles L 314-7, R. 314-22 et R. 314-23 du CASF ;
  • l’autorité de tarification a commis une erreur manifeste d’appréciation. En effet, à supposer qu’elle ait pu se fonder sur le taux d’occupation pour fixer sa dotation globale, elle aurait dû tenir compte des temps d’inclusion scolaire et sociales, des absences pour hospitalisations ainsi que des difficultés d’accès aux soins résultant de la situation sociale et psychopathologique des enfants et de leurs parents, ces divers facteurs ayant impacté l’activité à hauteur de 25% ;
  • l’ARS a commis une autre erreur manifeste d’appréciation en demandant à l’ITEP d’augmenter son activité de 15% avec des dépenses de fonctionnement diminuées de 10%. De ce seul fait, le budget autorisé était intenable. Même un virement de crédit n’aurait pu résoudre cette impossibilité, compte tenu notamment de l’importance des dépenses de personnel. L’exécution de ce budget autorisé aurait conduit au gel de 2 postes éducatifs, ce qui n’est pas envisageable au regard de la qualité nécessaire de la prise en charge, alors que l’ITEP déplore déjà le manque d’un assistant social.

En défense, le directeur général de l’ARS développe les moyens suivants :

  • l’arrêté n’est pas entaché d’incompétence ;
  • les abattements ont été dûment motivés ;
  • pour respecter le caractère limitatif de l’enveloppe, le ROB a prévu des abattements pour les établissements dont l’activité serait inférieure à 90% du total réalisable. En réalisant en 2016 une activité inférieure aux 2/3 de l’activité réalisable, l’ITEP présente des charges manifestement hors de proportion avec le service rendu et avec le coût d’établissements comparables. Il bénéficie d’une dotation supérieure de 17,72% à la dotation régionale moyenne, même après débasage : la place de semi-internat de l’ITEP revient à 49 243 euros pour un coût moyen régional de 41 831 euros  ;
  • la décision de tarification n’est pas inintelligible ;
  • la proposition d’abattement a été formulée par une lettre datant de 3 semaines avant l’arrêté initial, de sorte que la procédure contradictoire a été respectée ;
  • l’établissement étant financé par CPOM, les produits de la tarification sont versés sous forme de dotation globale. Dès lors, l’organisme gestionnaire ne peut référer à l’article R. 314-113 du CASF relatif au calcul du prix de journée ;
  • l’établissement étant financé par dotation globale, l’ARS pouvait se fonder sur le ROB pour pratiquer l’abattement contesté ;
  • l’établissement, qui a une capacité de 20 places, peut accueillir un nombre supérieur d’usagers pour compenser les absences de certains usagers ;
  • entre 2012 et 2016, le taux d’activité de l’ITEP a été de 73%, sauf en 2013 où il a été de 76%. L’établissement, auquel il a plusieurs fois été rappelé la nécessité d’augmenter son activité, a donc eu le temps de s’adapter ;
  • l’ITEP est régulièrement en excédent, pour un montant moyen de 55 000 euros et un montant cumulé de 219 000 euros sur la période ;
  • la retenue pratiquée est temporaire. Il est seulement demandé à l’ITEP de réaliser une activité correspondant au financement qui lui est accordé. Sa base budgétaire sera rétablie si son activité atteint ce qui est attendu.

Sur ce, le TITSS constate d’abord que le CPOM n’était plus en vigueur et décide donc que le régime juridique applicable au litige est celui de la tarification budgétaire règlementaire, en particulier s’agissant des règles de calcul du prix de journée.

Ensuite, le juge du tarif relève que le nombre de journées d’activité retenu par le directeur général de l’ARS n’est pas conforme à celui dont le respect est prescrit par la règlementaire budgétaire règlementaire, à savoir la moyenne des volumes d’activité constatés les trois dernières années. Il rejette donc la prévision d’activité de l’agence et retient celle de l’organisme gestionnaire.

Statuant enfin sur la légalité de l’abattement pratiqué, la juridiction :

  • rappelle certaines des dispositions des articles L. 314-7, R. 314-23 et R. 314-24 du CASF qui définissent limitativement les motifs d’abattement :
    • incompatibilité avec la dotation régionale limitative (DRL) ;
    • dépenses manifestement hors de proportion avec le service rendu ou avec le coût des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) fournissant des prestations comparables. Sur ce point, le juge précise, à propos des coûts des établissements et services fournissant des prestations comparables, que les textes permettent la prise en compte, par l’autorité de tarification :
      • des coûts moyens et médians de certaines activités ou de certaines prestations, en vue de réduire les inégalités de dotation entre ESSMS ;
      • de la valeur des indicateurs comparée à celle des indicateurs des ESSMS qui fournissent des prestations comparables ;
      • des priorités qu’elle se fixe en matière d’action sociale, notamment s’agissant de l’objectif annuel ou pluriannuel d’évolution des dépenses, de ses priorités en matière d’action sociale ou encore des orientations des schémas ;
      • des résultats d’une étude réalisée par l’organisme gestionnaire à la demande du tarificateur (article R. 314-61 du CASF) ;
      • des indicateurs de référence ministériels par catégorie d’ESSMS (article R. 314-33-1) ;
    • dépenses injustifiées ou excessives compte tenu des conditions de satisfaction des besoins de la population, ou de l’activité et des coûts des ESSMS fournissant des prestations comparables ;
  • considère, au vu de ces principes textuels, que l’autorité de tarification peut tenir compte, au-delà de la capacité autorisée de l’ITEP, de son taux d’occupation réel, à condition toutefois de le faire dans le cadre d’une comparaison entre son coût et celui des ITEP comparables ;
  • constate qu’en l’espèce, si le directeur général de l’ARS soutient que le coût à la place de l’ITEP est de 49 243 euros alors que le coût à la place moyen des ITEP en semi-internat serait de 41 831 euros, ce dernier chiffre n’a pas été calculé à partir du coût des ITEP en semi-internat implantés dans la région mais à partir du coût moyen des ITEP en internat, ce coût étant ensuite corrigé – selon une méthode non précisée – pour établir un coût moyen en semi-internat ;
  • en déduit que l’abattement litigieux, qu’il soit fondé sur des dispositions du ROB – non conformes au CASF – ou sur la comparaison entre le coût à la place de l’ITEP et celui d’autres établissements fonctionnant dans des conditions distinctes, est dépourvu de base légale.

Dès lors, le TITSS admet la validité des propositions budgétaires de l’organisme gestionnaire en tenant compte de l’activité qu’il avait prise en compte. Toutefois, les écritures de l’Association gestionnaire étant insuffisamment précises, le Tribunal n’est pas en mesure de recalculer le prix de journée et renvoie donc l’organisme gestionnaire devant l’ARS pour qu’elle le fixe en tenant compte du jugement.

4. L’intérêt du jugement

Le jugement rendu dans ce litige – qui, à ce jour, n’a pas fait l’objet d’un arrêt de la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (CNTSS) – présente un grand intérêt à au moins trois titres.

Son intérêt majeur, sans doute, tient à ce que, pour le juge du tarif, l’échéance d’un CPOM entraîne de plein droit le retour à la procédure budgétaire règlementaire. C’est là un point crucial qui avait, dès l’institution des CPOM dans le CASF, retenu l’attention des commentateurs : quelles seraient les conséquences, en termes de tarification, de la non conclusion ou de l’expiration du contrat ? La réponse est à la fois claire et logique : s’il n’y a pas – ou plus – de contrat, alors c’est le droit commun qui s’applique, droit commun qui résulte des articles L. 314-1 et suivants et R. 314-1 et suivants du CASF. Les organismes gestionnaires ne doivent donc pas avoir peur du vide, qu’ils n’aient pas encore signé un CPOM obligatoire, qu’ils aient refusé de le signer ou que leur contrat soit échu et non encore remplacé.

Pourrait dès lors de poser la question de savoir si une stratégie de tarification pourrait être de créer délibérément les conditions d’un maintien de la tarification règlementaire, ne serait-ce que pour pouvoir conserver l’accès au juge et la possibilité d’un rebasage. En effet, il apparaît clairement, à la lecture de la jurisprudence du juge du tarif en matière de CPOM, qu’en pratique les tarifs qui sont issus de ces contrats sont tout bonnement incontestables et ce, même si l’autorité de tarification a fixé une dotation globalisée commune (DGC) non conforme aux prévisions du contrat.

A noter que ce raisonnement, tenu pour les CPOM du champ du handicap, vaut bien sûr également pour les conventions pluriannuelles tripartites (CPT) des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et, plus généralement, pour toutes les catégories d’ESSMS assujetties à un mécanisme de contractualisation par objectifs et moyens au sens du new public management.

Le deuxième intérêt du jugement, conforme à une tendance classique de la jurisprudence du juge du tarif, concerne la notion de caractère comparable des dépenses d’un établissement avec d’autres ESSMS de même catégorie au sens de l’article L. 312-1, I du CASF. En effet, le Tribunal récuse la comparaison opérée par l’ARS entre le prix de journée du semi-internat de l’ITEP concerné et un prix de journée fictif calculé, selon une formule secrète, à partir du prix de journée régional moyen de l’internat. C’est donc le critère d’effectivité – ou de sincérité – de la comparaison qui se trouve rappelé. On pourra profiter de cette occasion pour rappeler que la pertinence de la comparaison s’apprécie au regard de la nature réelle des activités, ce qui signifie qu’un organisme gestionnaire, dans ce cas de figure, aura intérêt à se prévaloir de spécificités – objectivées par exemple dans le projet d’établissement – pour démontrer que l’ESSMS concerné est singulier et non comparable aux autres de même catégorie. Les possibilités de singularisation sont nombreuses, à condition toutefois d’avoir en amont bien réfléchi à la rédaction du projet d’établissement.

Enfin, ce jugement est intéressant en ce que le ROB, dès l’instant qu’il n’est pas conforme au droit budgétaire contenu dans le CASF, doit être considéré comme illégal et donc inopérant. Certes, cette observation n’a qu’un intérêt limité en tarification règlementaire, dans la mesure où ce rapport n’est pas opposable aux organismes gestionnaires (article R. 314-25 du CASF).. En revanche, dès lors qu’il est cité en référence dans le volet financier des CPOM, il est permis de penser que son illégalité pourrait avoir des conséquences sur la validité de l’arrêté fixant la DGC.

TITSS Paris, 15 novembre 2019, Association Aurore (ITEP L’Eveil) c/ Directeur général de l’ARS d’Ile-de-France, n° 17.072

Ces articles pourraient vous intéresser