HANDICAP : des propositions révolutionnaires de l’IGAS pour accélérer la recomposition de l’offre

Nov 10, 2021Droit des associations et des ESMS, Droit public, Tarification

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Le 20 octobre 2021, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a publié un rapport n° 2021-010R intitulé “Mieux répondre aux attentes des personnes en situation de handicap : des outils pour la transformation des établissements et services sociaux et médico-sociaux” qui propose des modifications majeures du Livre III du Code de l’action sociale et des familles (CASF).

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I. – Présentation

Ce rapport de 80 pages hors annexes répond à une lettre de mission du 18 décembre 2020 de la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. La commande passée à l’inspection générale était de :

  • réaliser une analyse du Livre III du Code de l’action sociale et des familles (CASF) et, en particulier, du droit de la planification et des autorisations, afin d’identifier tous les moyens d’accélérer le processus de création de places. Il est précisé que doit être exploré l’intérêt de recourir aux appels à manifestations d’intérêt (AMI), à une unicité du financement et à une réduction du délai de validité des places autorisées mais non encore installées ;
  • sur la base d’un retour d’expérience des dérogations au droit commun permises, pendant la crise sanitaire du CoViD-19, en matière d’organisation et de fonctionnement des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), proposer des simplifications propres à apporter plus de souplesse de fonctionnement et une meilleure réponse aux besoins des personnes en situation de handicap.

L’analyse conduite par les auteurs a conduit à l’expression de quelques 21 recommandations sont classées en 4 chapitres (la liste suivante en comprend en réalité 32 car chaque fois que cela a été possible, les recommandations complexes ont été décomposées en énoncés élémentaires) :

  • Réduire la segmentation des autorisations
    • 1 : supprimer dans les autorisations des ESSMS-PH les éventuelles réserves relatives à l’absence de troubles associés et la gravité du handicap principal ;
    • 2 : uniformiser l’âge maximal de toutes les prises en charge d’enfants, adolescents et jeunes adultes handicapés à 20 ans et l’âge minimal des ESSMS-PH pour adultes à 16 ans et ce, quoi qu’aient prévu les autorisations ;
    • 3 : étendre à l’ensemble des ESSMS pour personnes âgées la possibilité d’accueillir des personnes en situation de handicap de moins de 60 ans dans une certaine proportion de la capacité autorisée ;
    • 4 : autoriser de plein droit toutes les catégories d’ESSMS-PH à intervenir à domicile et permettre qu’une partie de la capacité autorisée serve à de l’accueil temporaire ;
    • 5 : imposer, dans les autorisations futures ou modifier, une obligation d’assurer de l’accueil temporaire et de l’accompagnement en milieu ordinaire de vie ;
    • 6 : adopter un instrument législatif à vocation générale pour mettre en œuvre les recommandations qui précèdent ;
  • Améliorer les règles d’attribution des autorisations
    • 7 : englober toutes les catégories d’ESSMS-PH dans un ensemble juridique unique qui permette d’échapper aux appels à projets (AAP) pour les opérations de recomposition ;
    • 8a : fusionner toutes les catégories d’ESSMS-PH en une seule, celle des établissements d’accueil médicalisé (EAM), y compris les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) ;
    • 8b : permettre le regroupement, dans une seule autorisation d’EAM, de toutes les autorisations d’ESSMS-PH détenues par un organisme gestionnaire dans un département ;
    • 9a : prendre en compte la dernière capacité autorisée dans le cadre d’une transformation pour apprécier la nécessité de recourir à un AAP ;
    • 9b : dispenser d’AAP les regroupements d’ESSMS, les conversions d’établissement de santé en ESSMS et la délivrance des autorisations expérimentales ;
    • 10a : réécrire les conditions techniques minimales d’organisation et de fonctionnement pour créer un socle commun à tous les ESSMS-PH et prévoir des spécificités complémentaires en fonction des handicaps ;
    • 10b : supprimer la possibilité, pour les services ambulatoires PH, de constituer des ESSMS autonomes ;
    • 11a : mettre en œuvre un suivi national de l’offre et de la demande, avec restitution régulière aux autorités locales ;
    • 11b : élaborer des outils d’analyse des besoins et des projections sur les années à venir ;
  • Lever des freins au parcours des personnes
    • 12a : faire en sorte que les notifications d’orientation CDAPH ne prévoient plus une orientation vers une catégorie d’ESSMS mais simplement un droit à prise en charge en ESSMS assorti de l’indication des prestations de la nomenclature SERAFIN-PH qui seront utiles à la personne ;
    • 12b : instituer un dispositif systématique et externe d’appui à la construction des projets individualisés ;
    • 12c : en cas d’urgence, permettre l’accueil ou l’accompagnement d’une personne en situation de handicap sans notification d’orientation ;
    • 12d : permettre aux personnes en situation de handicap ayant fait l’objet d’une notification CDAPH de bénéficier de plein droit d’un accueil temporaire, sans qu’il soit nécessaire de modifier leur notification ;
    • 13a : supprimer la notion de double prise en charge financière par l’assurance maladie et imposer aux caisses de prendre en charge inconditionnellement – sans pratiquer de répétition de l’indu – tous les soins, qu’ils relèvent ou non du budget des ESSMS et que la personne vivent à domicile ou en établissement ;
    • 13b : mettre à la charge de l’assurance-maladie tous les frais de transport permettant la réalisation des prestations de soins, de maintien et le développement des capacités fonctionnelles et des prestations en matière d’autonomie au sens de la nomenclature SERAPHIN-PH ;
    • 13c : réserver la mobilisation de la prestation de compensation du handicap (PCH) aux seuls transports liés aux activités de la vie sociale ;
    • 14 : relever de 90 à 180 jours le plafond de l’accueil temporaire et permettre ensuite la poursuite de la prise en charge en accueil séquentiel sans durée préfixe ;
    • 15 : soutenir la transformation patrimoniale des ESSMS isolés avec des subventions de l’investissement de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) ;
    • 16 : instituer au profit des personnes accueillies ou accompagné une dispense de paiement de leurs frais d’hébergement en cas d’absence programmée ou d’urgence ;
  • Des outils pour une appréhension globale et territorialisée du handicap
    • 17a : créer un cadre juridique adéquat pour donner un statut spécifique aux structures mixtes, c’est-à-dire assurant à la fois des missions de protection de l’enfance et de prise en charge du handicap ;
    • 17b : dans l’immédiat, créer ce statut spécifique par convention entre les autorités compétentes ;
    • 18a : insérer, dans les conditions techniques minimales d’organisation et de fonctionnement, des obligations de prise en charge spécifiques à mettre en oeuvre par convention avec des acteurs de l’intermédiation locative, en fonction des catégories de public ;
    • 18b : rendre opposable ces obligations de prise en charge spécifiques aux acteurs de l’intermédiation locative ;
    • 19 : dans l’immédiat, transformer les ESSMS d’hébergement pour PH adultes en logements-foyers, pensions de famille ou résidences accueil ;
    • 20 : permettre la délivrance d’une autorisation territorialisée mais non quantifiée aux ESSMS-PH, sous réserve de la conclusion d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) ;
    • 21 : via la création d’un groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) « délégataire », délivrer une autorisation territorialisée mais non quantifiée commune à plusieurs ESSMS-PH.

II. – Un premier commentaire

Les perspectives d’évolution brossées par ce rapport sont d’une telle ampleur qui serait prétentieux de vouloir en proposer d’emblée un commentaire exhaustif.

Mais il est d’ores et déjà acquis que ce rapport Bohic-Le Morvan aura la même renommée fondatrice et novatrice que les rapports Vachey-Jeannet (réforme de la tarification) et Piveteau (“Zéro sans solution”). En effet, les recommandations qu’il comprend promettent une véritable révolution copernicienne du secteur social et médico-social, par une réforme très profonde :

  • des catégories juridiques d’ESSMS ;
  • des conditions techniques minimales d’organisation et de fonctionnement ;
  • de la notion même de capacité autorisée ;
  • de la philosophie et des modalités de reconnaissance et de compensation du handicap par les CDAPH ;
  • de la faculté, pour un organisme gestionnaire, de choisir le contenu de son projet d’établissement, dès lors qu’il n’a plus la faculté de déterminer en toute liberté les caractéristiques des publics qu’il entend accueillir.

Si l’on s’interrogeait sur le modèle cible qui pourrait résulter de la mise en œuvre de ces recommandations, tout en intégrant les évolutions promises par SERAPHIN-PH, alors on pourrait aboutir à la vision prospective suivante :

  • il n’existerait plus qu’une seule catégorie juridique indifférenciée d’ESSMS-PH (un “super EAM”), chaque établissement ou service délivrant des prestations sanitaires, sociales et médico-sociales à la fois au sein de sa structure mais aussi dans le milieu ordinaire de vie. Chaque ESSSM-PH ne serait plus caractérisé que par le catalogue des prestations SERAFIN-PH contenu dans son projet d’établissement, catalogue qui prendrait bien sûr en considération le ou les handicaps pris en charge ;
  • la personne en situation de handicap se verrait reconnaître, en fonction de la nature de ses désavantages, le droit de bénéficier d’un accueil ou d’un accompagnement en ESSMS-PH, la CDAPH devant inventorier celle des prestations de la nomenclature SERAPHIN-PH dont cette personne a besoin ;
  • pour les organismes gestionnaires d’importance au moins départementale, il n’existerait plus qu’un seul ESSMS-PH regroupant, dans chaque département, l’ensemble des activités réalisées au profit des personnes en situation de handicap.

Ce résultat sera atteint après une accélération sans précédent de l’ouvre de recomposition de l’offre, accélération rendue possible par la suppression quasi totale des cas de recours aux AAP.

Quels seraient les effets de cette transformation sans précédent du secteur, plus importante peut-être que celle introduite par la loi HPST ?

  • le cantonnement renforcé des organismes gestionnaires dans un simple rôle d’opérateur subordonné, sans plus aucune marge de manœuvre stratégique qui leur permette de jouer leur rôle de corps intermédiaire. Dans ce contexte, les associations gestionnaires auraient-elle encore un objet social valide et une utilité réelle dans la société ?
  • la condamnation à mort des petits organismes gestionnaires infra départementaux et, corrélativement, une concentration plus importante des activités entre les mains d’opérateurs de taille plus importante ;
  • le renforcement de la position des personnes en situation de handicap comme consommatrices de prestations. Sur ce point, l’enjeu serait sans doute la capacité, pour les CDAPH, de déterminer avec une véritable pertinence les prestations dont chaque personne a besoin. Si l’on veut bien considérer qu’actuellement, ces commissions ne sont même pas en mesure de faire procéder à l’examen de la situation et des besoins des personnes par leurs équipes pluridisciplinaires, sans doute y a-t-il lieu de s’inquiéter quelque peu de leur efficacité dans ce nouveau modèle ;
  • la possibilité d’une extension de ces mesures révolutionnaires à d’autres champs du secteur, comme par exemple le champ social, ceux de la protection l’enfance ou des personnes âgées ;
  • la sanitarisation du secteur avec :
    • l’EAM comme autorisation modèle ;
    • l’indifférenciation juridique des ESMSS en dépit des publics ;
    • un socle de conditions techniques communes, avec des diverticules spécialisés ;
    • la délivrance et le financement des prestations selon un dispositif à l’activité analogue à celui des établissements de santé ;
    • la généralisation des transports sanitaires en feuille à feuille ;

qui feraient de l’ESSMS l’équivalent social ou médico-social d’un hôpital ou d’une clinique. Ces mesures viendraient parachever le processus à l’oeuvre, en complément de celles déjà en vigueur en matière d’autorisation (“fenêtres”), de contractualisation obligatoire, d’évaluation qui signaient déjà une analogie forte avec la gouvernance publique du secteur sanitaire.

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