Par un arrêt du 12 janvier 2022, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a jugé que l’absence de mention, dans la convocation à audience adressée aux parents par le greffe du Juge des enfants, de la possibilité de consulter préalablement les pièces du dossier, porte atteinte au principe du contradictoire et justifie l’annulation du jugement rendu consécutivement.
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1. Les faits
Les parents de six enfants placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) après avoir fait l’objet, pendant plusieurs années, de mesures d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), sont convoqués devant le Juge des enfants dans la perspective d’une possible modification de l’organisation de leur droit de visite. La convocation ne mentionne pas la possibilité, pour ces parents, de consulter le dossier au greffe, sur leur demande et aux jours et heures fixés par le juge, jusqu’à la veille de l’audience.
Le jugement rendu supprime les visites médiatisées et retire aux parents le droit d’appeler téléphoniquement leurs enfants ; les parents décident de le contester.
2. La procédure
Les parents interjettent appel du jugement du Juge des enfants.
La Cour d’appel prend en considération un rapport établi par le service de l’ASE 15 jours avant son audience. Ce rapport décrit une emprise psychologique des parents nuisible aux enfants, des pressions exercées par le recours à la peur – notamment de punitions divines – ainsi que des comportements parentaux paralysant les mesures et menaçant physiquement les travailleurs sociaux. La Cour en déduit l’existence d’un danger psychologique pour les enfants ainsi que l’incapacité des parents, dans l’immédiat, d’améliorer leur comportement. Elle confirme donc le jugement.
Les parents se pourvoient en cassation. Ils adressent plusieurs critiques à l’arrêt d’appel :
- l’un des Conseillers qui a pris part à la formation de jugement avait eu précédemment à connaître d’une autre procédure d’appel concernant des mesures d’assistance éducative pour cette même famille. Les parents considèrent qu’est ainsi caractérisée une atteinte au principe d’impartialité du tribunal ;
- les intéressés n’ont pas été mis une meure de prendre connaissance du rapport de l’ASE remis à la Cour 15 jours avant l’audience ;
- la Cour n’a pas identifié précisément les faits au vu desquels il pouvait être considéré que la santé, la sécurité ou la moralité des enfants étaient mises en danger ou que les conditions de leur éducation ou de leur développement physique, affectif, intellectuel et social étaient gravement compromises ;
- le juge d’appel n’a pas pris en considération certaines pièces produites par les parents en vue de prouver que les enfants se plaignaient de leur placement et qu’ils souhaitaient qu’elle s’interrompe ;
- le placement a provoqué un échec scolaire brutal des enfants, alors qu’ils étaient bons élèves, échec amplifié par un absentéisme scolaire conséquent imputable aux dysfonctionnements du service de l’ASE.
3. La solution
La Cour de cassation écarte comme irrecevable le premier moyen, tiré d’une atteinte au principe d’impartialité du tribunal.
Puis elle examine celui relatif à l’atteinte au principe du contradictoire. A cet effet, elle vise les dispositions des articles 16, 1182, 1187 et 1193 du Code de procédure civile. Il résulte de ces textes que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue contradictoirement, ce qui implique que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce présentée au juge. En matière d’assistance éducative, le dossier peut être consulté, sur leur demande et aux jours et heures fixés par le juge, par les parents de l’enfant jusqu’à la veille de l’audience ; les convocations doivent informer les parties de cette possibilité de consulter le dossier.
La juridiction régulatrice, constatant qu’en l’espèce les parents n’avait pas été informés de la possibilité de prendre connaissance du rapport de l’ASE avant l’audience d’appel, relève que l’atteinte au principe du contradictoire est avéré et annule purement et simplement l’arrêt d’appel.
4. L’intérêt de l’arrêt
Cet arrêt, conforme à la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation, et là pour rappeler l’importance du respect des droits fondamentaux des justiciables et, en particulier, du principe de la contradiction.
Si, au cas d’espèce, la nécessité d’une protection adéquate des enfants ne semblait pas discutable, il faut néanmoins souligner que la valeur de cet impératif pratique a paru, aux yeux du juge suprême, inférieure au principe du procès équitable protégé par l’article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que par le Code de procédure civile.
On aura bien compris que la situation de la famille était objectivement des plus préoccupantes et c’est sans doute ce qui a provoqué, de bon sens, la rédaction et la transmission in extremis d’un rapport à la Cour d’appel par le service de l’ASE. Mais cette pratique s’est finalement avérée contre-productive car il n’était pas possible de rendre un arrêt en considération d’un document secret.
Le service de l’ASE, qui est une Administration, a naturellement ses mérites mais peut également connaître des insuffisances – et les professionnels connaissent bien certains exemples de faiblesse du dispositif, par exemple en matière de fugue ou d’absentéisme scolaire – et il est impératif que toutes les parties soient mises en mesure de mettre son action en débat. En effet, dans notre système juridique, il n’est pas admis qu’une Administration puisse porter atteinte à des libertés fondamentales ; cette prérogative est réservée aux seul juge judiciaire en application de l’article 66 de la Constitution. Et qui dit juge judiciaire dit garanties procédurales.
Dès lors, il faut pour conclure insister sur l’importance primordiale, pour tous les acteurs de la protection de l’enfance, de veiller scrupuleusement au respect des procédures applicables, cette compétence procédurale constituant leur cœur de métier au même titre que leurs aptitudes professionnelles en travail social.