EHPAD : sanction du manque de clarté de la demande indemnitaire du fils de résident par le juge administratif

Juin 2, 2021Droit des associations et des ESMS

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Par un arrêt du 20 mai 2021, la Cour administrative d’appel de Marseille a statué sur la demande indemnitaire formée par le fils d’un couple de résidents accueillis dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) géré par un centre communal d’action sociale (CCAS).

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1. Les faits

Un homme se préoccupe de ses parents qui résident en EHPAD. Il considère que leurs conditions d’accueil et de séjour sont déficientes. Plus précisément, il estime qu’elles n’ont pas été conformes aux dispositions du Code de l’action sociale et des familles (CASF), du Code de la santé publique (CSP) ainsi qu’aux stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et de la Charte des droits et libertés de la personne accueillie.

Concrètement, il reproche à l’EHPAD :

  • de ne pas avoir recueilli le consentement éclairé de ses parents au moment de leur admission dans l’établissement et d’avis médicaux réguliers ;
  • d’avoir recouru à des mesures de contention sur la personne de son père ;
  • de lui avoir interdit de rendre visite à ses parents.

2. La procédure

Le fils forme une demande indemnitaire auprès du Tribunal administratif ; en effet, l’EHPAD en cause est géré par un CCAS. Il invoque deux moyens, dans une forme “profuse (i.e. abondante) et souvent difficilement intelligible” :

  • l’EHPAD s’est abstenu de recueillir le consentement éclairé de ses parents ;
  • il a violé diverses dispositions du CASF, du CSP, de la CEDH et de la Charte des droits et libertés de la personne accueillie.

Le CCAS conclut au débouté du requérant, ce que fait le Tribunal.

Le fils interjette alors appel.

3. La solution

Devant les mêmes arguments du requérant, la Cour se contente d’écarter la requête par adoption pure et simple des motifs du jugement de premier ressort.

Y ajoutant, elle estime nécessaire de signaler au requérant débouté les dispositions de l’article R. 741-12 du Code de justice administrative (CJA) : ” Le juge peut infliger à l’auteur d’une requête qu’il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros “.

Enfin, elle met à la charge du requérant débouté 1 500 € de frais irrépétibles.

4. L’intérêt de l’arrêt

A première vue, cet arrêt pourrait paraître dépourvu d’intérêt. Et pourtant, il permet de dégager quelques enseignements.

D’abord, il confirme le relatif libéralisme du juge administratif en matière de recevabilité de la requête. En effet, en la matière, le principe est celui d’un exposé écrit des moyens de fait et de droit qui soit suffisamment précis et ce, même si le cas échéant le requérant maladroit a présenté les faits et moyens de droit de manière indistincte. En l’espèce, la requête visait manifestement des faits précis de non prise en compte du consentement des résidents et les moyens de droit étaient tirés du CASF – notamment de la Charte des droits et libertés de la personne accueillie – et du CSP – sans doute en ce qu’il définit l’exigence de consentement du patient – ainsi que de la CEDH. Ainsi la demande indemnitaire visait-elle manifestement des actes des professionnels de l’EHPAD qui avaient violé l’obligation de recueillir le consentement des résidents, avaient consisté dans la pratique de la contention – dont le principe même est exclu dans le secteur social et médico-social – et avaient interdit aux résidents de recevoir la visite de leur fils. Le juge était donc en mesure, conformément à une jurisprudence bien établie, d’interpréter la requête, cette dernière fût-elle “bavarde” et peu claire.

Ensuite, cet arrêt, en ce qu’il procède à l’adoption des motifs du juge de première instance, laisse un peu le lecteur sur sa faim dans la mesure où il ne procède pas au contrôle de la motivation du jugement en droit et en faits. En effet, l’objet du litige concernait manifestement le respect des droits fondamentaux des résidents concernés, au visa de dispositions conventionnelles législatives et règlementaires dont la jurisprudence afférente au secteur social et médico-social est jusqu’ici plutôt avare. Alors que la crise sanitaire actuelle donne lieu à de nombreuses contestations des restrictions de liberté appliquées aux personnes accueillies ou accompagnées, il aurait été bienvenu de disposer de repères jurisprudentiels clairs sur ce sujet sensible. Cela aurait été d’auto plus souhaitable que l’action indemnitaire était ici présentée par le fils des résidents, alors que les droits dont la violation invoquée appartenaient aux seuls parents en leur qualité de résidents d’EHPAD. Il est à cet égard un peu surprenant que le juge n’ait pas statué sur le terrain de l’intérêt pour agir du requérant ; la motivation de l’arrêt aurait alors paru moins opaque qu’elle ne l’est finalement.

Enfin, il est sans doute dommage que les allégations de violation des libertés portées à la connaissance du juge administratif n’aient pas donné lieu au prononcé d’une mesure d’enquête, alors que la juridiction dispose du pouvoir de décider d’office une telle investigation. L’invocation de pratiques aussi douteuses que l’absence de recueil du consentement éclairé sur des actes – apparemment – médicaux, la pratique de la contention ou encore l’interdiction de visite aurait pu conduire les magistrats à prêter attention à leur caractère éventuellement avéré et, compte tenu de leur gravité potentielle, à s’assurer du respect effectif des droits fondamentaux en cause. Sans doute s’agit-il là d’une limite dont la justification tiendrait à ce que le juge administratif n’est pas le juge naturel du respect des libertés individuelles, à la différence du juge judiciaire qui en est investi par l’article 66 de la Constitution. Cet aspect important trouvera sans doute des développements dans les contentieux à venir, liés aux mêmes restrictions de libertés pratiquées au nom de l’état d’urgence sanitaire.

En définitive, ces points auraient pu être évoqués en cassation devant le Conseil d’Etat mais la menace d’une amende pour procédure abusive, brandie par la Cour, aura sans doute dissuadé le requérant d’aller plus avant dans sa contestation.

CAA Marseille, 2ème Ch., 20 mai 2021, M. B… c/ CCAS de Montpellier, n° 20MA00195

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