ESSMS-PH enfants & ados : pour une coordination plus fructueuse avec les établissements scolaires de référence

Juin 22, 2021Droit des associations et des ESMS

}

Temps de lecture : 8 minutes

Le mouvement récent des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) met en lumière une problématique bien connue des professionnels des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) : celle de la scolarisation des usagers dans les établissements scolaires de référence. Sans doute une coopération renforcée avec l’Education Nationale, accompagnée d’adaptations significatives du milieu scolaire, permettrait-elle de résoudre ces difficultés rencontrées au quotidien.

.

1. Le diagnostic des difficultés rencontrées

Quatre difficultés au moins caractérisent souvent les situations rencontrées par les équipes pluridisciplinaires d’ITEP : l’absence de réelle évaluation des capacités d’apprentissage des enfants et adolescents concernés, l’inadéquation du milieu scolaire en cas de comportement-problème, la perturbation des cours et l’apparition de risques juridiques significatifs.

1.1. L’évaluation objective des capacités d’apprentissage est le prérequis d’une scolarisation inclusive réussie

Il est parfois difficile – nonobstant la présence d’enseignants spécialisés au sein des ITEP disposant d’une unité d’enseignement (UE) intégrée au sens de l’article D. 312-15 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) – d’évaluer l’état des acquisitions, le niveau scolaire réel et les potentialités d’apprentissage.

Or cette évaluation est nécessaire car elle conditionne le principe même de la scolarisation en milieu ouvert, notamment en ce qui concerne l’identification de la classe que l’enfant ou l’adolescent est en capacité de rejoindre. L’âge ne saurait ici être le seul critère car l’enjeu est celui de la participation effective de l’élève à la classe.

Ce prérequis est essentiel car il crée les bases d’une coopération pertinente entre l’ITEP et les enseignants de l’établissement scolaire de référence, notamment en les dotant d’un vocabulaire et de références communs.

A cet égard, il semble que manque parfois – aussi bien dans les ITEP que dans les établissements scolaires – une capacité d’évaluation de ces données fondatrices. Il faut préciser au passage que les conditions d’enseignement observées par les enseignants spécialisés de l’UE sont notablement distinctes de celles d’une classe ordinaire. L’enjeu est alors celui d’un diagnostic partagé, entre l’équipe pluridisciplinaire et l’équipe enseignante, sur la profitabilité de la participation de l’enfant ou de l’adolescent aux cours, dans les conditions où ils sont dispensés à l’école, au collège ou au lycée et non pas seulement dans celles qui sont constatées dans l’UE de l’ITEP.

1.2. Le milieu scolaire n’est pas capable de faire face efficacement aux comportements-problèmes

Compte tenu des troubles dont les usagers d’ITEP sont affectés, il n’est pas rare qu’ils passent à l’acte par des insultes, des coups, des dégradations de matériel au temps et au lieu de leur scolarisation en milieu ordinaire. Or la communauté éducative de l’établissement scolaire de référence — dont les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), qui ne sont pas formés pour faire face à de tels comportements-problèmes — n’est pas apte à détecter, prévenir et traiter ces passages à l’acte.

De plus, la mission du service public de l’enseignement n’est pas de traiter adéquatement les comportements-problèmes des élèves, ce qui explique que les moyens matériels et humains nécessaires ne soient pas disponibles dans les établissements de l’éducation nationale. Prévenir et traiter les passages supposerait que les enseignants, les AESH et le personnel de service connaissent et sachent mettre en pratique les recommandations de bonnes pratiques professionnelles (RBPP) émises par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) puis la Haute autorité de santé (HAS). A titre indicatif, peuvent être recensées les références suivantes :

Au vu de ces bonnes pratiques, force est de constater que les établissements scolaires de référence ne disposent pas d’un espace de calme-retrait adapté. Autre difficulté pratique : il ne se trouve pas, dans les écoles, collèges et lycées, d’agents formés pour décider, mettre en oeuvre et évaluer les temps de mise en retrait conformément aux RBPP, dont l’intervention éviterait pourtant aux enseignants d’interrompre leur cours et de laisser leurs élèves.

1.3. Les passages à l’acte en milieu scolaire compromettent la dispensation des enseignements

Les passages à l’acte perturbent l’exercice des activités d’enseignement dans l’établissement scolaire de référence car :

  • ils font peser sur les enseignants, les AESH, les autres élèves et le personnel de service un risque significatif d’atteinte à leur intégrité physique et psychologique ;
  • ils perturbent la classe car ils génèrent des temps d’agitation et parfois des craintes des autres élèves pour leur sécurité.

Ces situations sont, par nature, susceptibles de compromettre la continuité des enseignements pour l’ensemble des élèves et, partant, de perturber l’exercice du service public de l’enseignement.

1.4. Une inclusion scolaire inadaptée peut faire naître des risques juridiques

En cas de passage à l’acte violent, les enseignants, les AESH et le personnel de service pourraient considérer qu’il se trouvent dans une situation de danger grave et imminent justifiant l’exercice du droit de retrait.

De plus, dès lors qu’ils considéreraient que leur enfant a souffert physiquement ou psychologiquement, les parents des autres élèves pourraient être conduits à rechercher l’engagement de la responsabilité administrative de l’Education Nationale voire, dans les cas les plus graves, de la responsabilité pénale des membres de la communauté éducative placés, à leur corps défendant, en situation d’échec.

Au vu de cette grille d’analyse, plusieurs solutions pourraient être envisagées pour faire de l’inclusion scolaire un dispositif efficace au service des usagers d’ITEP.

2. Des pistes de solution

Plusieurs pistes de solution pourraient être envisagées pour que l’inclusion scolaire des usagers d’ITEP soit possible dans de bonnes conditions.

2.1. L’implication des EMAS

Les équipes mobiles d’aide à la scolarisation (EMAS), qui se déploieront à la rentrée 2021-2022 à la suite des appels à projet lancés par les agences régionales de santé (ARS), seront sans doute des acteurs majeurs de la résolution des difficultés rencontrées au quotidien :

  • elles pourraient organiser, au profit des personnes des établissements scolaires de référence, une formation à la détection des comportements-problèmes et à la conduite à tenir ;
  • elles pourraient définir et mettre en oeuvre un protocole d’intervention en urgence de leurs professionnels, en cas de comportement-problème ;
  • elles pourraient assurer, par l’intervention régulière de leurs professionnels dans les écoles, la mise en place d’un étayage psychologique des autres élèves ainsi que des séances d’analyse de pratiques pour les membres de la communauté éducative. Pour ces derniers, il faudrait alors que des temps dédiés soient prévus.

2.2. L’adaptation des établissements scolaires de référence

L’Education Nationale pourrait prendre des dispositions afin que :

  • soit présent en permanence, dans l’école, le collège ou le lycée, un agent formé aux bonnes pratiques de contention physique ainsi qu’à la mise en œuvre des protocoles de retrait indiqués par l’ANESM et la HAS. Il pourrait alors intervenir si besoin, sans que l’enseignant doive interrompre son cours et laisser ses élèves sans surveillance ;
  • la formation des AESH soit complétée de manière significative, en particulier sur la thématique de la détection, de la prévention et du traitement des comportements-problèmes des enfants atteints de troubles du spectre autistique (TSA), de troubles du neuro-développement (TND) et de troubles envahissants du développement (TED).

Les Communes, Départements et Régions pourraient, de leur côté :

  • veiller à ce que la même formation soit dispensée au personnel municipal intervenant dans l’enceinte scolaire ;
  • aménager une salle, dans chaque établissement scolaire, à usage d’espace de calme-retrait selon des caractéristiques techniques conformes aux recommandations de bonnes pratiques professionnelles de l’ANESM et de la HAS.

2.3. La vigilance des professionnels des ITEP sur les notifications d’orientation CDAPH

Les ITEP pourraient solliciter auprès de la CDAPH un examen attentif des besoins réels d’accompagnement des élèves en situation de handicap, afin que le volume horaire d’intervention et la formation des AESH soient définis de manière véritablement personnalisée, comme l’exigent les articles L. 241-6  et R. 146-27 à R. 146-29 du Code de l’action sociale et des familles (CASF).

En effet, l’article L. 351-1 du Code de l’éducation circonscrit l’obligation d’inclusion scolaire aux seules situations dans lesquelles « ce mode de scolarisation répond aux besoins des élèves ».

La personnalisation des conditions de scolarisation en milieu ordinaire, au vu des habiletés et restrictions d’habileté de l’enfant, constitue donc une nécessité impérieuse.

Les ITEP disposent, pour la prendre en compte, de moyens juridiques précis qui tiennent à la contestation des notifications d’orientation de la CDAPH, notamment si les étayages scolaires (ex. : attribution d’un AESH individuel, temps d’accompagnement) ne sont pas suffisants ou encore si la scolarisation en milieu ordinaire n’est pas réaliste au cas d’espèce. En effet, il faut rappeler que l’article L. 241-9 du CASF admet que les ESSMS ont intérêt à agir : ils sont, au sens de ce texte et en vertu d’une jurisprudence constante, un “organisme intéressé”.

2.4. Un renforcement de la coopération entre ITEP et établissements scolaires en matière de définition des projets personnalisés d’accompagnement (PPA)

Il s’agirait là de renforcer la méthodologie d’élaboration des PPA par l’équipe pluridisciplinaire de l’ITEP, pour tirer pleinement parti des conditions techniques minimales d’organisation et de fonctionnement applicables à cette catégorie d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).

En effet, l’article D. 312-59-2, II, 1° du CASF prévoit que l’ITEP « conjugue des actions thérapeutiques, éducatives et pédagogiques sous la forme d’une intervention interdisciplinaire réalisée en partenariat avec (…) les services et établissements de l’éducation nationale ».

De plus, l’article D. 312-59-15, alinéa 4 précise que « Un projet de formation scolaire et professionnelle est élaboré. Il prévoit notamment les conditions dans lesquelles la personne peut fréquenter l’école ou l’établissement scolaire dont elle dépend, à temps partiel ou à temps plein ».

Enfin, aux termes de l’article D. 312-59-11, alinéa 2, la scolarisation des usagers d’ITEP en milieu ordinaire n’est pas une obligation absolue mais une possibilité qui doit être appréciée en fonction des potentialités et restrictions d’habiletés de chaque enfant ou adolescent : “Sans préjudice de la possibilité de fréquenter une école ou un établissement scolaire, à temps partiel ou à temps plein, les enfants et adolescents peuvent (…)”.

Il résulte de ces dispositions que les professionnels des ITEP devraient associer étroitement les enseignants de l’établissement scolaire de référence dès avant la définition des projets personnalisés d’accompagnement (PPA) prévus à l’article D. 312-59-8, spécialement en ce qui concerne le volet pédagogique de scolarisation inclusive. Ainsi des situations de scolarisation intenables pourraient-elles être évitées, évitant ainsi que les usagers ne soient pas placés ab initio en situation d’échec et que des tensions inutiles soient générées entre l’ITEP et l’établissement scolaire.

2.5. L’accompagnement des responsables scolaires dans la remise en cause des notifications d’orientation CDPAH irréalistes

Certaines orientations prononcées par la CDAPH sont irréalistes, soit qu’elles ne prévoient pas un volume d’intervention suffisant d’AESH (ou qu’elles font le choix d’une AESH mutualisée et non individuelle), soit que la lourdeur et/ou les manifestations du handicap rendent en faits la scolarisation en milieu ordinaire totalement illusoire. Dans ces cas, l’Education Nationale pourrait faire le choix de la cohérence en remettant juridiquement en cause les notifications considérées, en application de l’article L. 241-9 du CASF, car elle constitue bien au sens de cet article un “organisme intéressé” par la décision de la CDAPH. Selon les situations, la saisine de la juridiction compétente appartiendrait :

  • pour les écoles élémentaires : au directeur des services départementaux de l’Education Nationale (DASEN) ;
  • pour les collèges et lycées : au chef d’établissement puisque ce dernier est juridiquement autonome.

Les professionnels des ITEP pourraient apporter leur conseil et leur appui à leur homologues enseignants alors que ces derniers sont soumis à une injonction paradoxale par leur hiérarchie : accueillir tous les élèves en situation de handicap mais sans les moyens, méthodes et infrastructures nécessaires.

En conclusion, il apparaît que la scolarité inclusive demeure un défi qui requiert – en faisant l’effort de renoncer à toute posture idéologique – non seulement des méthodes d’intervention renouvelées mais aussi, de manière tout aussi déterminante, l’allocation de moyens significatifs. Pour ce qui revient à l’Education Nationale, le déploiement – en cours – des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) est encore, hélas, bien loin du compte.

Ces articles pourraient vous intéresser