EHPAD : des précisions sur le volet “investissement” du Ségur de la Santé

Oct 13, 2021Droit des associations et des ESMS, Droit public, Tarification

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Le 11 octobre 2021 a été mise en ligne la circulaire n° DGCS/SD5C/CNSA/2021/210 du 24 septembre 2021 relative à la mobilisation des crédits d’investissement du Ségur de la santé et de France Relance en appui du virage domiciliaire de l’offre d’accompagnement des personnes âgées dans la société du grand âge.

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Ce texte fait suite à la circulaire du premier ministre n° 6250/SG du 10 mars 2021 relative à la relance de l’investissement dans le système de santé dans le cadre du Ségur de la santé et de France Relance ainsi qu’à la note d’information DGOS/PF1/DGCS/SD5C/CNSA/2021/149 du 2 juillet 2021 relative à la stratégie régionale d’investissement pour les 10 ans à venir (BO Santé n° 2021/13 du 30 juillet 2021, p. 136). Il intéresse spécialement les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

1. Présentation

En trois parties, la circulaire traite successivement de la stratégie d’investissement, de l’émergence des “l’EHPAD de demain” et, enfin, de la répartition des crédits de soutien à l’investissement. C’est dire qu’au-delà du soutien financier à l’investissement immobilier, elle contient des développements importants en matière de planification et d’autorisation.

1.1. La stratégie

L’objectif poursuivi par les pouvoirs publics est de mettre en œuvre, dans les 10 ans qui viennent, les évolutions nécessaires de l’offre d’accompagnement des personnes âgées, en raison de l’évolution démographique et de celle des aspirations des personnes et de leurs proches. A cet égard, la volonté claire du Gouvernement et de privilégier le soutien à domicile plutôt que la création de nouveaux établissements dans les régions métropolitaines dont les taux d’équipement place la France en tête des comparaisons européennes.

De cette volonté découlent quatre options de gouvernance publique selon les situations et les territoires :

  • dans les territoires où l’offre de place en établissement est comparativement la plus restreinte, l’objectif est de renforcer l’excellence des soins et des conditions d’hébergement permanent via des reconstructions ou rénovations lourdes ;
  • dans les territoires ruraux caractérisés par des difficultés de maintien à domicile, il s’agit de mettre l’accent sur le développement de l’activité en EHPAD de type “centre de ressources” pour les professionnels et personnes âgées du territoire ;
  • là où l’offre est plus importante en établissement et plus faible à domicile en comparaison avec les autres territoires, il s’agira de convertir des places d’hébergement permanent en activités d’appui du soutien à domicile ;
  • enfin, là où l’offre est excédentaire en comparaison avec les autres territoires, l’objectif est de redéployer la capacité vers les territoires moins bien pourvus.

Quel que soit le cas, les agences régionales de santé (ARS) devront résorber la situation des EHPAD qui ne garantissent pas une qualité d’accueil suffisante des personnes et une qualité de vie au travail des professionnels.

Afin de caractériser la situation de chaque EHPAD, les agences devront prêter attention à plusieurs critères :

  • le tableau de bord de la performance,
  • le taux de chambres doubles ou multiples,
  • l’existence de couloirs et espaces collectifs dépersonnalisants,
  • de mauvaises performances thermiques,
  • un manque de confort l’été,
  • un état général insatisfaisant du bâti construit ou rénové il y a plus de 20 ans en dépit du gros entretien et des réparations entrepris.

Ces critères viennent compléter ceux déjà proposé dans la “boîte à outils” de juin 2021 de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) annexée à la note d’information DGOS/PF1/DGCS/SD5C/CNSA/2021/149 du 2 juillet 2021 précitée.

En termes de méthode, le ministère demande aux ARS de ne pas organiser d’appels à projets annuels mais de se contenter de communiquer de façon permanente sur leurs orientations territorialisées, les résultats attendus et les modalités de sélection annuelle des projets.

1.2. L’émergence de « l’EHPAD de demain »

L’objectif est ici de créer une nouvelle génération d’EHPAD caractérisée par le sentiment d’être chez soi, l’ouverture sur le quartier, un haut niveau de médicalisation, un modèle économique viable, une conception qualitative. La circulaire détaille chacun de ces cinq points :

  • le sentiment d’être chez soi relève de la logique selon laquelle l’EHPAD constitue le domicile des personnes âgées dépendantes. Les préconisations afférentes concernent alors des adaptations des lieux et bâtiments pour promouvoir une habitabilité conviviale ;
  • pour ce qui concerne l’ouverture sur l’extérieur, il est recommandé aux opérateurs de veiller à ce qu’il existe des espaces partagés par l’établissement avec son quartier et sa ville ;
  • s’agissant ensuite du niveau de qualité des soins, la circulaire reprend à son compte les conclusions du rapport JEANDEL-GUERIN qui prônent un renforcement de la médicalisation des EHPAD ;
  • par ailleurs, la question de la viabilité économique des projets est traitée avec l’exigence d’avoir un tarif hébergement acceptable pour les familles et les Conseils départementaux tout en dégageant l’autofinancement nécessaire à l’entretien du patrimoine et en favorisant la qualité de vie des résidents et professionnels ;
  • enfin, l’exigence de qualité de la conception se traduit par celle de la réalisation d’études préalables solides incluant notamment une programmation architecturale des usages, l’association au projet – comme une sorte d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) – des futurs habitants de leurs familles et proches, des professionnels et des habitants du quartier, le tout dans le respect des standards actuels d’écoresponsabilité.

3. Les règles de répartition des crédits d’investissement

90 % de 990 millions d’euros de l’enveloppe quadriennale nationale seront répartis au prorata du nombre de places habilitées à l’aide sociale pondéré par l’ancienneté moyenne du parc immobilier.

Les 10 % restants seront répartis au prorata du nombre de places qui seraient à créer par région pour parvenir à la moyenne nationale du nombre de places installés en EHPAD.

La circulaire s’achève par deux annexes :

  • un tableau décrivant la répartition générale des crédits sur la période 2020 2024 par région ;
  • un tableau décrivant les projections des populations AG en perte d’autonomie et l’offre existante.

2. Commentaire

Cette circulaire est particulièrement intéressante à analyser dans la mesure où elle relie plusieurs évolutions importantes des politiques sociales.

La première observation concerne la prise en considération de la situation sociale actuelle, laquelle se caractérise à la fois par une augmentation des besoins en terme de prise en charge du grand âge et par la dénonciation récurrente – à juste titre – des insuffisances des moyens par les professionnels des EHPAD. Ni l’une ni l’autre ne sont nouvelles mais il faut se réjouir de l’affirmation d’une volonté politique forte d’améliorer le soutien de la solidarité nationale aux personnes âgées en perte d’autonomie, même si la polémique sur la prime Ségur démontre qu’un investissement significatif doit également être réalisé dans l’humain.

Il faut, dans le même temps, constater que la politique décrite dans cette circulaire vise bien la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé (ISTS), ce qui en soi paraît une bonne chose. Mais sur ce sujet, plusieurs observations doivent également être formulées :

  • tout d’abord, l’absence d’implication des Conseils départementaux (CD) par l’État paraît un peu surprenante. Bien sûr, c’est bien l’Etat qui consent ici un effort financier très significatif mais les orientations dégagée par ailleurs en matière de planification devraient être a minima partagées avec les Départements car – faut-il le rappeler – les EHPAD relèvent d’une compétence conjointe dans l’élaboration des schémas territoriaux. La méthode employée a une dimension unilatérale qui pourrait – au-delà de la question de la rénovation du bâti des établissements – se heurter à une forme d’inertie des collectivités départementales si les ARS ne veillaient pas à agir en étroite concertation avec elles ;
  • il faut ensuite relever que l’effort de financement auquel souscrit l’État vient compenser les insuffisances de moyens qui relèvent du domaine des CD car ce sont ces derniers qui ont la responsabilité financière de l’entretien et de la rénovation du bâti à travers le tarif hébergement ;
  • la transformation territoriale et catégorielle des interventions ne pourra s’opérer valablement que dans le respect du droit des autorisations, c’est-à-dire à condition de n’exclure de la procédure d’appel à projets que les opérations qui en sont exemptées par l’article L. 313-1-1, II du Code de l’action sociale et des familles (CASF). Au cas particulier, ne pourront être dispensés d’un appel à projets que :
    • les extensions non importantes d’établissements ou services ;
    • les regroupements d’établissements ou services par leurs propres gestionnaires, s’ils se limitent à des extensions non importantes ;
    • les transformations d’établissements ou de services ne comportant pas de modification de la catégorie juridique ;
    • les transformations d’établissements et services avec modification de la catégorie juridique, à condition de donner lieu à la conclusion d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) sous réserve qu’il n’y ait pas de désaccord avec le CD ;
    • les extensions de capacité des établissements et services n’excédant pas, sous certaines conditions de seuil, une capacité de 10 places.

Ceci rappelé, 2 des 4 catégories d’opérations prévues par la circulaire ne relèvent pas de la procédure d’appel à projets, soit qu’elles n’aient aucune incidence sur l’autorisation (investissement immobilier), soit qu’elles n’appellent pas de changement de catégorie juridique (requalification de places d’EHPAD en places de service ambulatoire PA) et à condition qu’elles ne produisent pas d’extension de capacité importante. En revanche :

  • les opérations concrétisées par une extension de capacité importante devront obligatoirement être réalisées suite à un appel à projet ;
  • il n’est pas certain que le nouveau concept d’EHPAD “centre de ressources” – dont il n’existe à ce jour aucune définition juridique spécifique – puisse échapper à la nécessité d’un appel à projet. En effet, il existe, dans l’inventaire donné par l’article L. 312-1, I du CASF, une catégorie propre aux centres de ressources définis comme “établissements ou services, dénommés selon les cas centres de ressources, centres d’information et de coordination ou centres prestataires de services de proximité, mettant en œuvre des actions de dépistage, d’aide, de soutien, de formation ou d’information, de conseil, d’expertise ou de coordination au bénéfice d’usagers, ou d’autres établissements et service”. Au vu de ce texte, l’évolution de l’activité d’un EHPAD en centre de ressources constituera un changement de catégorie juridique et ne pourra donc intervenir hors appel à projets qu’à la double condition de la conclusion d’un CPOM et de l’accord du CD ;
  • un redéploiement de capacité sur un autre territoire ne pourra s’accomplir sans l’accord de l’organisme gestionnaire et avoir, préalablement, fait l’objet d’une actualisation du projet régional de santé (PRS), du cadre d’orientation stratégique et du schéma régional de santé (SRS). En toutes hypothèses, dans ce cas de figure, l’opération requerrait l’accord de l’organisme gestionnaire. Le seul moyen pour l’ARS de passer outre son éventuel refus serait de lui retirer l’autorisation, ce qui n’est juridiquement pas possible sauf à détourner d’autres procédures (tarification, police administrative).

Ces questions de légalité ne sont pas neutres :

  • elles pourraient, de fait, conduire au développement du recours aux appels à manifestation d’intérêt (AMI) à l’égard des opérations non soumises à un appel à projets ;
  • le secteur des personnes âgées (PA) étant concurrentiel, il faudrait anticiper la volonté de certains organismes gestionnaires – notamment privés non lucratifs – de contester juridiquement toute modification d’activité qui aurait été consentie par AMI, à leur préjudice, alors qu’elle aurait dû relever d’un appel à projet.

En dernière observation, l’objectif de viabilité économique, consistant à maintenir un tarif hébergement acceptable tout en consacrant une plus grande part des ressources à l’entretien et à l’amortissement du cadre bâti et à la qualité des prestations délivrées aux résidents, ne pourra être atteint sans que des crédits supplémentaires soient mobilisés.

Pour conclure, il apparaît que – confirmant une tendance lourde – la gouvernance publique se recentralise au niveau national pour piloter avec une certaine fermeté la recomposition de l’offre, suite à des engagements politiques forts et médiatisés. Ici, elle pourrait toutefois se heurter à un risque d’inefficacité partielle :

  • en cas d’absence de revalorisation effective des financements des EHPAD ;
  • du fait du mécanisme de planification, parce que la modification du SRS ne peut intervenir à brève échéance compte tenu des délais de procédure ;
  • du fait de la nécessité, pour libérer totalement la démarche gouvernementale des contraintes actuelles en matière d’appel à projets, de modifier l’article L. 313-1-1 du CASF. Cela nécessiterait une intervention du législateur. A la lourdeur du calendrier parlementaire s’ajouterait alors un ralentissement de la production normative liée à la perspective des élections présidentielles de 2022 ;
  • en cas d’opposition des Départements.

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