
Le Monde du 26 janvier 2022 publie une tribune de madame Martine CARAGLIO, inspectrice générale de l’éducation nationale (IGEN), intitulée : “Elèves en situation de handicap : Il n’y aura pas de retour en arrière, tous les enfants ont le droit d’être scolarisés”.
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C’est une curieuse tribune parce qu’elle commence par dénoncer l’ancienne dénomination de certains handicaps (ex. : arriération, idiotie) comme symptôme d’une volonté de prophylaxie sociale, en passant sous silence que cette terminologie correspondait aux connaissances médicales de l’époque. Le sacro-saint test Binet-Simon des classes de perfectionnement était-il un outil de discrimination assumée ?
Curieuse, parce qu’elle semble ignorer qu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la création de nombre d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) pour enfants handicapés fut le fait d’instituteurs qui avaient constaté l’impossibilité matérielle, pour ces enfants, d’accéder à l’école républicaine à cause de ses marches, de son estrade, de ses pupitres (ex. : PEP, APAJH, ASEI, OVE). Ces Hussards de la République voulaient-ils faire de la prophylaxie sociale, dans les années 40-50 et leur épidémie de polyomyélite ? Ou bien “instituer” leurs élèves, c’est-à-dire les mettre debout ?
Curieuse, parce qu’elle ne dit mot sur le seul véritable déterminant de l’effectivité de l’école inclusive : les moyens. Pas un mot sur les classes à 30 élèves ni sur les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) non formés mais mutualisés y compris en violation des décisions des CDAPH.
Curieuse, parce qu’elle ne prend pas en compte un phénomène réel parfois : celui de la paralysie du groupe-classe et de l’interruption de l’enseignement lorsque les manifestations du handicap deviennent des comportements-problèmes au sens de la Haute autorité de santé (HAS).
Curieuse aussi parce qu’elle fait abstraction du fait que, dans son organisation actuelle, l’éducation nationale est là pour enseigner à des contingents d’élèves et n’est pas capable de pratiquer une personnalisation des parcours pédagogiques. De ce point de vue d’ailleurs, l’école – dans sa logique de flux – est très en retard sur les ESSMS qui procèdent tous, depuis longtemps, selon une logique de projet individualisé d’autonomie.
Curieuse encore, parce qu’elle n’évoque aucune piste pour résoudre la complexité du processus d’inclusion scolaire qui, pourtant, a été clairement analysée.
Curieuse enfin, parce qu’elle tait le fait qu’à partir d’un certain niveau de handicap, l’inclusion scolaire est concrètement irréaliste et stigmatisante pour les enfants et adolescents concernés, que l’on place en situation d’échec, et pour leurs parents.
Force est de constater que la vision proposée dans cette chronique ne correspond guère à l’analyse du sujet que font d’autres hauts responsables de l’Education nationale justifiant, eux, d’une longue expérience de terrain :
“Héritier d’une cohorte de fondateurs remarquables depuis la Renaissance, notre système s’appuie sur des caractéristiques qui répondent à une conception de l’ordre social et une efficacité économique de masse que la IIIème République a adoptées sans états d’âme pour en faire la base de la forme scolaire française : enseignement collectif frontal, groupes d’élèves organisés en classes ou divisions aux effectifs proches de la trentaine, gestion des comportements par une discipline collective fondée sur la docilité, découpage des enseignements par disciplines héritées de l’université, programmes encyclopédiques rigoureusement répartis en années scolaires, hiérarchie morale des savoirs, des niveaux et des filières d’enseignement promouvant la théorie par rapport à la pratique, culte de l’élitisme qualifié de républicain et considéré comme démocratique au nom de l’égalité des chances et de la méritocratie, évaluation chiffrée des élèves dans une logique d’évaluation par compétition qui met d’abord en évidence les échecs en vue d’une sélection progressive par éliminations successives. Les bases de la formation professionnelle initiale des enseignants, et particulièrement dans les niveaux du second degré, sont imprégnées de ces principes depuis près de deux siècles. Dès lors, l’introduction des idéaux de la démocratisation scolaire, de la coopération et de l’éducation inclusive sans avoir préalablement discuté et amendé ce qui précédait ne peut que mettre les acteurs dans des situations d’injonction paradoxale, voire d’insécurité morale” (D. Momiron, “L’école inclusive et ses obstacles”).
L’inclusion scolaire constituera, lorsqu’elle sera réelle, un progrès réel et – souhaitons-le – sans retour. Tâchons dans l’immédiat de la considérer sans idéologie. Et espérons surtout que l’Etat engagera des moyens à la hauteur des ambitions qu’il affiche ; pour l’heure, celles-ci semblent plutôt relever de la démagogie.
Et accessoirement, il serait profitable que certains IGEN aillent un peu voir, dans la vraie vie, ce qui se passe dans les classes.