ESSMS : des sanctions administratives inconstitutionnelles en cas de non respect des injonctions ?

Jan 31, 2022Droit des associations et des ESMS, Droit public

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Le 28 janvier 2022, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition afférente aux sanctions applicables les lors des contrôle de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Le principe qu’il a énoncé à cette occasion pourrait bien trouver application en matière de contrôle administratif cèdes établissements t services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).

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1. Les termes de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

Après un contrôle réalisé par l’AMF, des sociétés sont poursuivies pénalement du chef de refus de communiquer des informations aux inspecteurs ; elles se voient également infliger des amendes administratives en raison du même refus.

Contestant ces décisions, elles posent une QPC visant le texte législatif instituant le délit pénal car elles considèrent que :

  • le texte ne définirait pas précisément le manquement réprimé et instituerait une sanction manifestement excessive. Il en résulterait une méconnaissance des principes de légalité des délits et des peines et de proportionnalité des peines ;
  • serait contraire au principe de nécessité des délits et des peines le cumul possible entre la sanction administrative et la sanction pénale pour obstacle à une mission de contrôle ou d’enquête de l’AMF ;
  • la loi incriminée, en permettant à l’AMF de sanctionner des personnes qui ne sont pas soumises à des obligations qu’elle a pour mission de contrôler, lui octroierait un pouvoir qui empiéterait sur celui de l’autorité judiciaire, en méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs ;
  • l’absence de possibilité de s’opposer aux demandes de l’autorité, alors même qu’elles conduiraient la personne sollicitée à révéler des éléments relevant de la vie privée ou qu’elles tendraient à l’obtention d’aveux, porterait atteinte au droit au respect de la vie privée et au droit de ne pas s’auto-incriminer.

Le Conseil constitutionnel choisit notamment de statuer au vu du deuxième argument relatif au cumul entre les peines pénales et administratives (principe Non bis in idem). Son raisonnement est le suivant :

  • l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes énoncés par cet article s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. En vertu du principe de légalité des délits et des peines, le législateur ou, dans son domaine de compétence, le pouvoir réglementaire, doivent fixer les sanctions ayant le caractère d’une punition en des termes suffisamment clairs et précis ;
  • le principe de nécessité des délits et des peines se traduit par la prohibition du cumul de sanctions si les conditions cumulatives sont remplies :
    • les sanctions portent sur des faits qualifiés de manière identique,
    • les sanctions sont de même nature,
    • les sanctions protègent les mêmes intérêts sociaux,
  • si l’éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.

Au cas d’espèce, les Sages de la rue Montpensier constatent la satisfaction de ces conditions :

  • la loi pénale et celle instituant l’amende administrative visent des faits ayant la même qualification : celle d’obstacle au contrôle ;
  • les deux textes visent à garantir l’efficacité des investigations conduites pr l’AMF, ils protègent donc les mêmes intérêts sociaux ;
  • la sanction pénale encourue (emprisonnement et amende) est de même nature que la sanction administrative (amende). Il faut ici préciser que le texte examiné prévoit d’autres peines : l’avertissement, le blâme, l’interdiction à titre temporaire ou définitif d’exercice de tout ou partie des services fournis, la radiation du registre d’immatriculation obligatoire.

Dès lors, le principe Non bis ion idem doit être appliqué.

Tirant les conclusions de ce raisonnement, le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnelle la disposition législative instituant le pouvoir de l’AMF de prononcer une amende administrative.

2. Une possible transposition de cette solution au droit du contrôle des ESSMS ?

L’article L. 313-14 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) a été modifié par l’article 1er de l’ordonnance n° 2018-22 du 17 janvier 2018 relative au contrôle de la mise en œuvre des dispositions du Code de l’action sociale et des familles et de l’article L. 412-2 du code du tourisme et aux suites de ce contrôle. Plus précisément, l’ordonnance a institué au II de l’article la possibilité, pour l’autorité administrative compétente en matière de contrôle, de prononcer des astreintes, une interdiction de gérer et une amende administrative :

  • en cas d’inexécution des injonctions prononcées, l’organisme gestionnaire :
    • encourt une astreinte journalière d’un montant maximal de 500 euros ;
    • peut être frappé d’une interdiction de gérer toute nouvelle autorisation relevant de l’Administration concernée, pour une durée maximale de 3 ans ;
  • en cas de méconnaissance des dispositions du CASF, le même organisme gestionnaire peut se voir infliger une sanction financière plafonnée à 1 % du chiffre d’affaires réalisé, en France et dans le champ d’activité en cause, lors du dernier exercice clos. A défaut d’activité permettant de déterminer ce plafond, le montant de la sanction financière ne peut être supérieur à 100 000 €. 

Il ressort de ces dispositions que l’organisme gestionnaire peut subir à la fois une interdiction de gérer, une astreinte et une amende administrative. Or :

  • ces sanctions répriment toutes le même fait : celui de ne pas se conformer aux injonctions ;
  • elles ont vocation à protéger les mêmes intérêts sociaux : l’efficacité du pouvoir de police administrative ;
  • elles ont bien la nature d’une punition.

Dès lors, en cas de cumul de ces sanctions, l’organisme gestionnaire pourrait se prévaloir, au contentieux, de l’inconstitutionnalité l’article L. 313-14 du CASF en ce qu’il viole le principe Non bis in idem.

C. Constit., 28 janvier 2022, Sté Novaxia Développement & autres, n° 2021-965

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