POLICE ADMINISTRATIVE : les enseignements de l’audition, au Sénat, des représentants des syndicats de fonctionnaires de contrôle

Mar 23, 2022Droit des associations et des ESMS, Droit public

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Le 14 mars 2022, la commission d’enquête du Sénat sur le contrôle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), créée consécutivement à l’ “affaire Orpéa”, a procédé à l’audition des représentants des organisations syndicales des inspecteurs de l’action sociale et médico-sociale (IASS), des médecins inspecteurs de santé publique (MISP) et des pharmaciens inspecteurs de santé publique (PISP). Une analyse éclairante de l’état de la fonction inspection-contrôle prolongée par des propositions d’amélioration concrètes.

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1. Synthèse de l’audition

Ont été auditionnés messieurs Assam AIMEUR (Président du Syndicat des pharmaciens inspecteurs de santé publique), Stéphane BERNARD (Secrétaire général adjoint du Syndicat national des inspecteurs de l’action sanitaire et sociale) et Thierry FOUÉRÉ (Président du Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique). Ces représentants des fonctionnaires des corps de contrôle exerçant dans les agences régionales de santé (ARS) ont présenté l’état actuel de la fonction inspection-contrôle dans les agences, à partir de données chiffrées issues de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) mais aussi de leur expérience, avant de soumettre aux sénateurs des pistes d’amélioration.

1.1. Diagnostic

L’audition a débuté par une mise au point de vocabulaire car, dans certaines agences, les responsables hiérarchiques opèrent une confusion entre le contrôle, l’évaluation, la certification et l’audit. De ce point de vue, la fonction de contrôle doit être définie comme l’exercice d’une mission régalienne organisée par la loi et le règlement en vue d’identifier, dans une perspective de police administrative, les écarts pouvant exister dans les établissements entre leur pratique et le cadre juridique applicable à leur activité. L’exercice du contrôle peut en effet aboutir au prononcé de mesures que l’on peut classer en trois catégories en fonction de leur nature :

  • les mesures pédagogiques, qui consistent dans l’expression de recommandations ;
  • les mesures correctrices, qui incluent les injonctions et administrations provisoires ;
  • les mesures répressives, qui consistent dans la fermeture de l’établissement, le prononcé de sanctions financières, l’engagement de poursuites disciplinaires ordinales et le déclenchement de poursuites pénales.

Le contrôle peut s’exercer de plusieurs manières :

  • contrôle sur pièces / inspection sur place ;
  • contrôle programmé / non programmé ;
  • contrôle annoncé / inopiné.

L’importance stratégique du contrôle dans la politique publique est devenue négligeable et le contrôle n’est plus une priorité de la puissance publique. En effet, depuis 2019, ni les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) conclu par les ARS avec le ministère des solidarités de la santé, ni les lettres de mission qui en découlent n’identifient le contrôle comme une priorité opérationnelle. Cet état de fait a été constaté par l’IGAS dans plusieurs rapports ; il a été corroboré dans le rapport d’information de l’Assemblée nationale de juin 2021 sur les ARS, dont l’une des recommandations finales (n° 11) était de “renforcer les compétences d’inspection et clarifier la place de ces fonctions au sein des agences”. Il semble que le renouvellement des CPOM et lettres de mission des agences en 2022, en cours, continue d’ignorer la fonction contrôle comme priorité.

En pratique, l’importance reconnue à la fonction contrôle fluctue d’une ARS à une autre en fonction de la personnalité des directeurs généraux d’agence.

Au vu du rapport annuel d’activité de la mission inspection-contrôle de l’IGAS de 2018, il apparaît que :

  • le personnel des ARS est de 8 500 personnes correspondant à 8 300 ETP. Entre la création des agences en 2010 et l’année 2020, 1600 postes ont été supprimés. 400 postes d’inspecteur ont disparu entre 2014 et 2021. Dans la même période, 117 postes de MISP ont été fermés, représentant 39 % de l’effectif ;
  • au sein de cet effectif global, le personnel habilité à réaliser des contrôles (80 % de fonctionnaires des corps d’inspection, 20 % d’inspecteurs complémentaires des ARS ou ICARS) comprend 2 700 personnes. 1 000 agents n’exerce aucune fonction de contrôle, étant affectés à d’autres missions (planification, autorisation, allocation de ressources, etc.). En moyenne, la part des activités de contrôle dans le volume de travail des fonctionnaires des corps de contrôle est minoritaire :
    • médecins inspecteurs de santé publique (MISP) : 8 % du temps de travail,
    • inspecteurs des affaires sanitaires et sociales (IASS) : 10 % ;
    • pharmaciens inspecteurs de santé publique (PHISP) : 28 % ;
  • 500 ETP sont affectés au contrôle proprement dit, soit 6 % du nombre total d’ETP du personnel en agence. Ces professionnels exercent le contrôle des établissements sanitaires, établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) sous compétence ARS, professionnels de santé, structures de santé et activités médico-techniques de ville ;
  • sur ces 500 ETP, 270 se consacrent à la mission de contrôle santé-environnement et 230 aux autres contrôles ;
  • le contrôle des EHPAD est assuré par 49 ETP pour toute la France, ce qui représente 0,6 % du personnel des agences ;
  • le nombre des contrôles est en forte diminution depuis plusieurs années, passant de 6 146 en 2016 à 2 620 en 2019 (- 58 %) ;
  • 1 273 contrôles ont été réalisés dans le champ PA-PH ;

Par ailleurs, la pratique du contrôle en ARS conduit à identifier plusieurs difficultés :

  • les mesures de sanction – notamment les fermetures – sont difficiles à mettre en œuvre, notamment s’il est nécessaire de transférer les usagers dans un autre ESSMS ;
  • le dispositif de sanctions financières est actuellement inapplicable, faute de décret d’application permettant l’émission des titres de perception ;
  • le cadre juridique de l’activité des ESSMS est insuffisamment précis, notamment en ce qui concerne les conditions techniques minimale d’organisation et de fonctionnement (ex. : absence de ratio d’encadrement dans la définition des plateaux techniques des différentes catégories), ce qui fragilise juridiquement les contrôles faute de référence textuelle. Par ailleurs, le corpus actuel ne prend pas en compte la nouvelle définition juridique de la maltraitance ;
  • l’absence fréquente de MISP dans les missions d’inspection rend difficiles les investigations en rapport avec la problématique de la maltraitance car elle empêche l’accès aux données médicales des usagers ;
  • la prise en charge médicamenteuse ne fait l’objet d’aucune réglementation opposable, ce qui interdit de constater des écarts et de prononcer des mesures de police ;
  • si, d’un point de vue juridique, la réalisation d’inspection conjointe avec d’autres Administrations (finances publiques, inspection du travail, répression des fraudes) est possible, elle est rare en pratique car elle peut ne pas être jugée opportune par les DGARS ;
  • les contrôleurs d’ARS n’ont aucune compétence, à la différence des inspecteurs du travail, pour traiter les situations de non conformité au droit du travail ;
  • les mêmes contrôleurs n’on aucun pouvoir d’initiative, de sorte que la décision d’engagement du contrôle appartient au DGARS voire au directeur métier à qui il a donné délégation (ex. : directeur de l’offre de soins et de l’autonomie) ;
  • certains contrôles peuvent ne pas être engagés ou encore être interrompus en présence d’enjeux stratégiques, économiques ou politiques pour l’ARS à l’égard de l’organisme gestionnaire concerné ;
  • la médiatisation croissante des situations de dysfonctionnements – notamment si il s’agit de maltraitance – provoque une augmentation importante du nombre d’inspections ;
  • dans certains cas, l’inspection peut être réalisée avec la participation, au sein même de la mission, de membres des services internes de l’organisme gestionnaire de l’établissement inspecté. L’exemple est donné d’une inspection consécutive au décès, dans la salle d’attente des urgences, d’une patiente de l’hôpital de Lariboisière en 2018. La mission d’inspection comprenait des agents du service d’audit interne de l’AP-HP. Parmi les auditeurs internes participant à cette inspection se trouvait le responsable des urgences de l’AP. Ce cas de figure a fait l’objet d’une saisine de la commission administrative de déontologie qui a rendu, en 2019, un avis critique ;
  • la présence, au sein des ARS, d’anciens cadres d’organisme gestionnaire ne favorise pas l’exercice de la mission de contrôle ;
  • l’embauche d’anciens cadres d’agence par des organismes gestionnaires situés dans la même région pose potentiellement problème ;
  • d’une ARS à l’autre et dans des situations comparables, le prononcé de injonction peut varier, favorisant la possibilité d’une contestation juridique des mesures de police. L’exemple est donné du cas de 11 EHPAD d’Orpéa, situés en Normandie, à l’encontre desquels ont été prononcées des injonctions qui n’ont pas été édictées à l’égard d’autres établissements du même groupe situés dans d’autres régions ;
  • les ARS s’engagent de plus en plus dans un rôle d’appui, de conseil et d’accompagnement des opérateurs, ce qui apparaît parfois paradoxal lorsqu’il s’agit d’exercer le contrôle ;

Quant au contrôle budgétaire des ESSMS, s’il n’entre pas à proprement parler dans le périmètre de la fonction de contrôle, il a perdu de son efficacité avec l’entrée en vigueur des CPOM obligatoires des ESSMS. En effet, il complique le contrôle par poste de dépenses et, du fait du rôle central désormais joué par l’organisme gestionnaire, rend la lisibilité budgétaire des établissements moins immédiate.

Un sénateur demande s’il serait utile de limiter les possibilités, pour les agents de contrôle, de travailler dans le privé, par exemple en instituant une incompatibilité d’exercice professionnel pendant quelques années suivant le départ du service de contrôle. Les représentants auditionnés répondent que s’appliquent les règles de la fonction publique de l’État en matière de conflits d’intérêt. Dans les ARS, tous les inspecteurs ainsi que les fonctionnaires titulaires d’un pouvoir décisionnel remplissent une déclaration publique d’intérêts. Lorsqu’un fonctionnaire envisage de cesser son activité pour être embauché, la commission de déontologie doit être saisie – au niveau local ou national, selon le niveau hiérarchique – et rendre un avis sur la compatibilité du nouvel emploi avec la fonction exercée précédemment.

1.2. Préconisations

  • la première des mesures à prendre serait de s’assurer que l’exercice du contrôle constitue une mission prioritaire des ARS. Cela devrait se traduire dans les termes des CPOM et lettres de mission des agences ;
  • alors que l’Administration centrale ne comprend pas actuellement, dans son organigramme, d’interlocuteur désigné pour connaître des questions de contrôle, il serait important de créer une fonction de pilotage stratégique au niveau ministériel, possiblement au niveau du secrétariat général (SGMAS) puisque celui-ci oriente les activités des directions d’Administration centrale et des ARS ;
  • il serait pertinent de créer un service en charge du contrôle, service spécialisé et à compétence nationale. De telles structures existent dans d’autres ministères, comme par exemple au sein de la DGCCRF qui comprend un service national des enquêtes apte à traiter les gros dossiers. Ce service – qui pourrait relever d’une autorité administrative indépendante, afin de garantir l’indépendance des inspecteurs aujourd’hui fragilisée dans les agences (sic : “ne pas être juge et partie”) – devrait bénéficier d’effectifs suffisants et comprendre des expertises dans tous les domaines, qu’il s’agisse du cœur de métier des interventions (ex. : médecine) comme des processus support (ex. : finances). Cette structure exercerait deux missions :
    • le pilotage, l’animation, la définition des méthodes, la formation des agents et la programmation des inspections ;
    • la pratique d’inspections, soit en renfort du personnel de contrôle des agences, soit directement – ce qui rendrait possible des contrôles d’envergure nationale – avec des effectifs dédiés, sanctuarisés et spécialisés ;
  • dans les ARS, il faudrait professionnaliser l’activité de contrôle et sanctuariser le temps de travail des inspecteurs ;
  • il faudrait recourir plus fréquemment aux inspections conjointes inter-administratives, avec les inspections du travail, la DGCCRF, la DGFiP, les Chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) ;
  • Il serait utile d’assurer la transparence des activités de police administrative par la publication des rapports d’inspection, des injonctions, des mesures d’administration provisoire, des fermetures et des rapports d’activité des services de contrôle.

2. Commentaire

Cette audition est très riche d’enseignements parce qu’elle fait partager « le regard de l’intérieur » qu’ont les agents en charge de la mission de contrôle en ARS.

De ce point de vue, il faut constater que le diagnostic et les recommandations formulées se recoupent intimement avec l’analyse publiée sur ce blog le 4 mars 2022 (“POLICE ADMINISTRATIVE : pourquoi et comment réformer le contrôle des ESSMS ?”), s’agissant notamment de :

  • l’insuffisance des moyens humains consacrés au contrôle ;
  • la nécessité de garantir la compétence et l’indépendance des inspecteurs ;
  • l’opportunité de confier la mise en œuvre de la politique de contrôle à une institution administrative nationale indépendante des autorités administratives en charge de la régulation ;
  • l’intérêt de constituer des missions d’inspection conjointe inter-administratives, notamment avec la participation des CRTC et de la DGFiP.

Pour mémoire, la réforme suggérée dans ce post reposait sur 5 axes :

  • l’indépendance du contrôle :
    • séparation de la compétence de contrôle des autres compétences de régulation ;
    • création d’une autorité administrative indépendante, compétente nationalement ;
    • exercice, par cette autorité, de l’autorité organique et fonctionnelle sur les agents de contrôle, assortie de garanties statutaires d’indépendance technique ;
    • organisation fonctionnelle déconcentrée au niveau des CRTC ;
    • certification ISO de cette autorité ;
  • l’accroissement des moyens consacrés au contrôle : sanctuarisation des effectifs en volume suffisant pour garantir l’effectivité de l’activité ;
  • la qualification des agents de contrôle :
    • formation aux standards de l’audit de contrôle et d’inspection ;
    • certification IFACI des agents ;
  • la méthodologie du contrôle :
    • élaboration, mise en oeuvre et contrôle de l’exécution d’un plan de contrôle incluant des missions planifiées et des missions impromptues en fonction des besoins ;
    • renforcement du contrôle de légalité a priori des lettres de mission déclenchant les contrôles ;
    • encadrement juridique plus précis des décisions de police administrative ;
  • le pilotage de la politique publique de contrôle : présentation annuelle, au Parlement, du rapport d’activité de l’institution nationale de contrôle.

 

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