ESSMS : quand l’expérimentation des centres de santé sexuelle d’approche communautaire (CSSAC) fraude le droit des autorisations sociales et médico-sociales

Déc 3, 2020Droit des associations et des ESMS, Droit public

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Au JO du 29 novembre 2020 a été publié l’arrêté du 27 novembre 2020 relatif à l’expérimentation nationale de centres de santé sexuelle d’approche communautaire et fixant la liste des établissements expérimentateurs.

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L’autorisation de cette expérimentation, d’une durée de deux ans, fait suite à la diffusion d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) conjoint par le ministère des solidarités et de la santé et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et correspond à l’action n° 15 de la “feuille de route santé sexuelle 2018-2020” : “expérimenter dans des villes à forte prévalence du VIH et des IST des centres de santé sexuelle, d’approche communautaire, sur le modèle anglo-saxon”. L’examen du cahier des charges annexé à l’arrêt permet de prendre connaissance de la consistance de ce projet expérimental.

I. – Description synthétique du dispositif

1. Définition du périmètre communautaire concerné

Le périmètre communautaire concerné par l’expérimentation se définit par deux critères, géographique et populationnel.

1.1. Critère géographique

L’expérimentation est conduite dans quatre grandes villes dans lesquelles le risque sanitaire lié aux comportements sexuels est estimé comme très élevé : Paris, Lyon, Marseille et Montpellier.

1.2. Critère populationnel : les “populations clés”

L’activité des centres de santé sexuelle d’approche communautaire (CSSAP) est appelée à bénéficier principalement à des populations considérées comme étant à risque fort de contamination par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les infections sexuellement transmissibles (IST). Sont ainsi désignées par le cahier des charges les communautés :

  • d’hommes homosexuels ;
  • de personnes transgenre ;
  • de personnes en situation de prostitution.

2. Objectif

L’expérimentation a pour ambition de réduire l’importance de l’épidémie cachée du territoire pour une population ciblée par la mise en oeuvre d’une offre de test & treat immédiat avec une offre globale de santé communautaire complétant l’offre existante. En effet, les constats de saturation des centres gratuits de d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) et de retard des résultats des tests de dépistage sont avérés.

Outre l’approche sanitaire au sens strict (dépistage et soins), le projet comprend un volet social significatif qui consiste dans :

  • la prévention des risques liés à la sexualité (violences, discriminations, etc.) ;
  • la favorisation de l’accès à la santé sexuelle et au soin des personnes vulnérables ;
  • l’action au plus près des personnes éloignées du soin en effectuant des interventions hors les murs compatibles avec le fonctionnement in situ.

Cette approche globale et innovante, revendiquée dans le cahier des charges, explique que soit prévue la présence, au sein du plateau technique des CSSAC, de professionnels qui composent usuellement les équipes pluridisciplinaires des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), aux côtés des soignants :

  • psychologues,
  • assistants de service social,
  • médiateurs communautaires,
  • bénévoles d’association de défense des droits des personnes (selon les villes concernées : Virage Santé, AIDES, Le Kiosque Infos Sida, Arcat-SIDA).

Leur mission est d’assurer la protection des personnes contre les facteurs ségrégatifs de l’environnement social ainsi que l’effectivité de l’exercice du droit au recours.

3. Forme juridique

Les CSSAC ont le statut de centres de santé au sens des articles L. 6323-1 et suivants du Code de la santé publique. Ce sont donc des institutions sanitaires.

II. – Analyse critique du dispositif

L’emploi du terme “approche communautaire” paraît a priori choquant dans la société française qui, de manière générale, répugne à admettre l’existence en son sein de communautés. En effet, le principe même de communauté contrevient à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 qui proclame l’indivisibilité de la République et la garantie de l’égalité des droits de tous les citoyens. En réalité, si le vocable est maladroit, c’est parce qu’il correspond à une notion d’origine anglo-saxonne qui n’a pas été reformulée comme elle aurait pu – ou dû – l’être : à la lecture de l’AMI, il apparaît que l’inspiration du dispositif provient des exemples de la Magnet Clinic de San Francisco et de son centre de santé intégré ainsi que du 56 Dean Street Express de Londres.

En réalité, les expressions “approche communautaire” et “santé communautaire” renvoient à une approche socio-sanitaire des besoins de santé de groupes populationnels définis. Le concept est riche puisqu’il propose de constituer un dispositif opérant la conjugaison de diverses modalités d’interventions telles que :

  • la prévention en santé,
  • l’éducation thérapeutique du patient (ETP),
  • l’intervention de pairs experts,
  • la capacitation (empowerment) des bénéficiaires,
  • l’adaptation des parcours de santé à des besoins spécifiques.

L’expérimentation du dispositif des CSSAC est donc tout à fait bienvenue, dans une perspective du niveau d’élévation de la qualité de l’offre de soins et de réponse plus personnalisée aux besoins des usagers.

Ceci étant, plusieurs critiques doivent être adressées à la forme juridique qui a été retenue pour l’expérimentation des CSSAP.

  1. Les CSSAP sont des centres de santé sanitaires. A ce titre, ils relèvent des éléments de définition d’activité qui sont contenus dans le Code de la santé publique (CSP). L’article L. 6323-1 précité, sur ce point, est des plus clairs : les centres de santé ont pour mission de dispenser “des soins de premier recours et, le cas échéant, de second recours et pratiquant à la fois des activités de prévention, de diagnostic et de soins, au sein du centre, sans hébergement, ou au domicile du patient. Ils assurent, le cas échéant, une prise en charge pluriprofessionnelle, associant des professionnels médicaux et des auxiliaires médicaux (…) sont ouverts à toutes les personnes sollicitant une prise en charge médicale ou paramédicale relevant de la compétence des professionnels y exerçant”. Si l’article L. 6323-1-1, 1°évoque incidemment la réalisation d’actions sociales, la lecture des conditions techniques de fonctionnement des centres de santé achève – si cela était nécessaire – de consacrer la nature exclusivement sanitaire des centres de santé : aucune intervention de nature sociale ou médico-sociale n’est incluse. Ce constat a son importance car les CSSAC, compte tenu de leur mission, sont déjà des structures médco-sociales ne serait-ce qu’au sens étymologique de cette expression. Mais d’un point de vue juridique, les choses sont tout aussi évidentes car l’article L .311-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), qui définit ce qu’est l’action sociale et médico-sociale, énonce des missions qui correspondent en tous points à celle des CSSAC :

“L’action sociale et médico-sociale, au sens du présent code, s’inscrit dans les missions d’intérêt général et d’utilité sociale suivantes :

1° évaluation et prévention des risques sociaux et médico-sociaux, information, investigation, conseil, orientation, formation, médiation et réparation ;

2° Protection administrative ou judiciaire (…) des personnes (…) en difficulté ;

3° actions éducatives, médico-éducatives, médicales, thérapeutiques, pédagogiques et de formation adaptées aux besoins de la personne, à son niveau de développement, à ses potentialités, à l’évolution de son état ainsi qu’à son âge ;

(…)

5° actions d’assistance dans les divers actes de la vie, de soutien, de soins et d’accompagnement, y compris à titre palliatif ;

6° actions contribuant au développement social et culturel, et à l’insertion par l’activité économique.

Ces missions sont accomplies par des personnes physiques ou des institutions sociales et médico-sociales.”

De cela, il résulte que la forme sanitaire choisie pour l’expérimentation des CSSAC, telle qu’elle a été décidée et manifestée dans l’AMI (p. 10, point 3.1 “Profil des candidats”) :

  • est illégale par essence, car elle viole l’article L. 311-1 du CASF et, corrélativement autant que nécessairement, les articles L. 6111-1 et suivants du CSP relatifs aux interventions sanitaires ;
  • est illégale également en ce qu’elle a fraudé le droit des autorisations sociales et médico-sociales. En particulier, elle s’est affranchie des procédures régionales d’appel à projet imposées par la loi et le règlement. Dans cette situation, les opérateurs sociaux et médico-sociaux ont été placés dans l’ignorance du besoin à satisfaire et n’ont, par hypothèse, pas pu candidater, ce qui constitue au demeurant une distorsion de concurrence au sens du droit communautaire ;
  • est illégale en ce qu’elle a fraudé la typologie des interventions sociales et médico-sociales car l’expérimentation aurait dû donner lieu à la reconnaissance d’ESSMS expérimentaux au sens de l’article L. 312-1, I, 12° du CASF.

Peut-être un candidat évincé de l’AMI, un opérateur social ou médico-social ou une tête de réseau trouveront-ils intérêt à former un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté.

Que conclure de ces critiques ?

D’abord, qu’en pratique les contraintes du droit des autorisations sociales et médico-sociales ne sont bonnes qu’à être opposées aux opérateurs, dans une logique de maîtrise éminemment directive de l’offre par la puissance publique. Visiblement, l’Administration centrale ne se sent pas concernée par une règlementation qu’elle a pourtant elle-même conçu et dont elle a la charge de veiller au respect. Cela est d’autant plus digne d’intérêt que la pratique des AMI n’offre pas aux opérateurs de garanties analogues à celles qui sont associées à la procédure d’appel à projet, de sorte que l’opacité règne sur les conditions de l’attribution du projet à tel ou tel. Cerise sur le gâteau : c’est la deuxième fois en moins de quinze jours qu’un abus de cette nature est commis par l’Administration centrale au prétexte de l’expérimentation (cf. post du 17 novembre 2020 : “ESSMS EXPERIMENTAUX : un régime d’autorisation dérogatoire au CASF, sans appel à projet”). Dès lors, se pose à l’évidence un problème d’impartialité – et donc de crédibilité – de l’action publique.

Ensuite, que l’action publique au niveau central semble s’accommoder de ce qui, à travers cet exemple des CSSAC, pourrait s’être apparenté à un lobbying d’associations catégorielles de défense des droits des personnes.

Par ailleurs – et le propos vise ici à éloigner l’augure d’une incompétence juridique blâmable des fonctionnaires en charge du dossier qui illustrerait, une fois de plus, la fiction de l’Administration juriste – que l’organisation en silos du ministère (direction générale de la santé, direction générale de l’offre de soins, direction générale de la cohésion sociale) est de nature à permettre la commission d’une erreur telle que celle qui a été mise en lumière ici. A l’évidence, l’absence de fonction juridique transversale constitue un inconvénient : il n’existe pas de direction des affaires juridiques (DAJ) au niveau de la division des cabinets du ministre et la DAJ du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales (SGMAS) n’a pas pour attribution d’assurer la révision juridique de tels dossiers.

Enfin, que la culture dominante de l’Administration centrale demeure inconditionnellement sanitaire, au point que lorsqu’une nouvelle modalité d’intervention comprenant du soin mais aussi des accompagnements sociaux et médico-sociaux est imaginée, elle ne peut dans la structure mentale des responsables administratifs du ministère que revêtir une forme sanitaire. Or il faut rappeler très solennellement ici que dès lors qu’une intervention institutionnelle ne comprend pas que des actions médicales et paramédicales, elle sort aussitôt – sauf dans quelques cas très limités – du champ des activités de santé pour entrer impérativement dans le champ social et médico-social.

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