Le 23 avril 2021, un sénateur a déposé une proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements, qui concerne notamment les résidents des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) pour personnes âgées (PA) et personnes handicapées (PH). (*)
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Ce texte, rédigé à destination des établissements de santé comme des ESSMS PA-PH, mériterait quelques aménagements dans la forme de sa rédaction (ex. : un ESSMS ne dispose pas d’un règlement intérieur mais d’un règlement de fonctionnement).
Ceci étant, son actualité se justifie par le décalage constaté entre l’état du droit en matière de droits fondamentaux des résidents – notamment en ce qui concerne le droit de recevoir des visiteurs – et les pratiques liées à l’état d’urgence sanitaire. Il faut à cet égard rappeler que jusqu’à ce jour, les restrictions de visite ne reposent sur aucun fondement juridique et sont donc susceptibles d’être considérées comme arbitraires, avec les conséquences que cela peut supposer en termes de responsabilité (cf. notre post du 14 avril 2021). Sur ce point, le Défenseur des droits a d’ailleurs confirmé cette illégalité dans son très récent rapport “Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD” (p. 36-40).
La proposition de loi se veut d’ordre public, ce qui interdirait tout aménagement de son application par la voie contractuelle ; il ne pourrait donc y être dérogé ni par une stipulation du règlement de fonctionnement, ni par une clause du contrat de séjour ou un avenant.
Les propositions formulées par l’honorable parlementaire sont les suivantes :
- l’établissement doit garantir l’effectivité de toute visite que le résident consent à recevoir ;
- le règlement de fonctionnement doit définir des plages horaires de visite quotidiennes ;
- l’établissement ne peut conditionner la réalisation de la visite à son information préalable, sauf si le résident l’a souhaité ;
- le directeur / la directrice ne peut s’opposer à une visite que si elle constitue une menace pour l’ordre public à l’intérieur ou aux abords de l’établissement ou pour la santé des visiteurs, des résidents ou des professionnels ;
- lorsque le directeur / la directrice de l’établissement à décidé d’interdire une visite, il/elle doit expressément en informer la personne interdite de visite et le résident. Cette décision individuelle doit être motivée par les circonstances et sa durée d’application ne peut excéder sept jours renouvelable sous les mêmes conditions ;
- lorsque le visiteur ou le résident informe l’établissement d’une visite au moins vingt-quatre heures avant l’heure prévue, le directeur / la directrice dispose de vingt-quatre heures pour s’y opposer ;
- si l’interdiction de visite est motivée par une menace pour la santé, alors elle ne vaut que si elle satisfait aux deux conditions cumulatives suivantes :
. la menace ne peut être supprimée par l’adoption de comportements, de gestes, par le port d’équipements ou l’organisation de la visite dans un lieu adapté à la protection de la santé ;
. le directeur / la directrice a reçu préalablement l’accord du médecin référent de l’établissement (pour les EHPAD, le médecin coordonnateur ; pour les autres ESSMS, tout médecin désigné par le directeur / la directrice de l’établissement) ;
- dans le cas particulier d’un résident en phase terminale d’une affection mortelle incurable, tout descendant, ascendant, conjoint, membre de la fratrie ou personne de confiance au sens du Code de la santé publique (CSP) dispose d’un droit de visite quotidien qu’il appartient à l’établissement d’organiser.
Ces propositions appellent quelques commentaires inspirés par des considérations juridiques et pratiques.
S’agissant du principe même du droit de visite, le texte :
- pourrait ajouter, dans le CSP, des dispositions analogues à celles contenues dans l’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) et la Charte des droits et libertés de la personne accueillie annexée à l’arrêté du 8 septembre 2003. En effet, la définition des droits des patients insérée dans le code par la loi Kouchner du 4 mars 2020, consacrée essentiellement à l’atténuation du pouvoir médical par l’information et le consentement du patient, a oublié l’essentiel. Si la loi proclame que la dignité du patient doit être respectée, elle n’en tire aucune conséquence concrète en termes d’exercice de droits fondamentaux tels que la liberté et venir, le droit aux liens familiaux et sociaux, le droit à une vie affective et sexuelle, etc. alors même que ces droits sont reconnus tant par le droit international des droits de l’homme que par la Constitution et le droit civil ;
- institue un droit de visite au profit des tiers en cas de maladie en phase terminale. Une telle approche est nouvelle, le droit de visite étant jusqu’ici reconnu au seul résident ;
- pourrait reconnaître un droit de visite au profit de la personne de confiance sanitaire mais aussi médico-sociale et ce, quelles que soient les circonstances. En effet, l’intervention de ces personnes peut jouer un rôle important de régulation de la relation entre le résident et l’établissement, en particulier lorsque que la personne accueillie rencontre des difficultés à faire valoir son point de vue.
Par ailleurs, cette proposition, en ce qu’elle reconnaît au directeur / à la directrice un pouvoir d’interdiction de visite, sous réserve du respect de modalités importantes, constituerait un apport important en matière de pouvoir règlementaire des responsables d’établissement :
- elle objectiverait l’exercice du pouvoir règlementaire du chef d’établissement dans les établissements publics ;
- elle instituerait un pouvoir règlementaire spécial – c’est-à-dire circonscrit à un domaine précis – au profit des responsables d’établissement privé.
On pourrait également souhaiter que la proposition prévoie des modalités de saisine à bref délai du juge des libertés et de la détention (JLD) par la personne ou ses visiteurs en cas d’interdiction de visite considérée comme illégitime, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. En effet, aux termes de l’article 66 de la Constitution, le juge judiciaire – et lui seul – est garant de la liberté individuelle.
Enfin, il semble que le recours à une proposition de loi témoigne du fait que le ministère des solidarités et de la santé n’a jusqu’à ce jour proposé de complément, ni à l’article L. 311-3 du CASF, ni à la Charte des droits et libertés de la personne accueillie et que, compte tenu des attentes de la société civile, cette inaction n’a pas échappé à la représentation nationale. Il est donc salutaire qu’un parlementaire se soit saisi de cette question cruciale qui préoccupe bon nombre de résidents et de familles mais aussi les directeurs/trices qui redoutent légitimement l’engagement de procédures contentieuses.
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(*) le Cabinet ACCENS AVOCATS CONSEILS ne témoigne de sympathie pour aucun parlementaire ni aucun parti politique. Les initiatives politiques ne sont signalées sur ce blog que si elles concernent l’actualité du secteur social et médico-social.