DROITS DES USAGERS : des exemples de dérives en matière de prise en charge du handicap psychique

Mar 1, 2022Droit des associations et des ESMS

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au JO du 1er mars 2022 ont été publiées les recommandations en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 1er février 2022 relatives au centre de santé mentale Jean-Baptiste-Pussin à Lens (Pas-de-Calais). La situation – tristement caricaturale – décrite illustre bien ce que peuvent être les dérives de la prise en charge des personnes en situation de handicap psychique.

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1. Présentation

L’équipe de contrôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a constaté un nombre important de dysfonctionnements graves portant atteinte à la dignité des patients et à leurs droits fondamentaux. Selon le CGLPL, ces dysfonctionnements sont graves et anciens et certains étaient dénoncés par la Commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) depuis des années :

  • les patients, y compris en soins libres, sont cloîtrés, souffrent de conditions d’hospitalisation médiocres, de placements à l’isolement indignes et évoquent leur insécurité ;
  • leurs droits, aussi peu connus des patients que du personnel, sont d’autant plus rarement mis en œuvre que les juges ne se déplacent pas dans l’établissement et s’accommodent des absences répétées des patients à leurs audiences.

Pour les contrôleurs, ces dysfonctionnements, qui concernent l’ensemble des unités de l’établissement, résultent d’une absence de pilotage global. Les intervenants interrogés reconnaissent leur désorganisation, les privations de liberté irrégulières, les mesures d’isolement et de contention sans décision médicale, notamment pour des patients en soins libres, et d’une façon plus générale, un insuffisant respect du droit.

Dans le détail, le CGLPL fait état du fait que :

  • les droits fondamentaux des personnes font l’objet d’atteintes graves et généralisées :
    • même en soins libres, les patients ne peuvent aller et venir librement ;
    • l’intégrité physique des patients et le respect de leur vie privée ne sont pas garantis ;
    • l’accès aux soins est défaillant ;
  • adultes et mineurs font l’objet de mesures d’isolement et de contention arbitraires, mises en œuvre dans des conditions indignes :
    • les chambres d’isolement sont indignes ;
    • l’isolement et la contention sont pratiqués majoritairement en dehors d’espaces spécifiques, sur des patients adultes comme mineurs fréquemment hospitalisés en soins libres, parfois en dépit de décisions médicales ;
    • isolement et contention sont pratiqués quels que soient le statut et l’âge des patients ;
    • contention et isolement sont pratiqués en dehors ou en dépit de décisions médicales ;
    • en dépit des alertes répétées de la CDSP, aucune mesure n’a été prise malgré et les dysfonctionnements sont validés par l’institution ;
  • les personnes placées en soins sans consentement ne connaissent pas leurs droits, ne sont pas encouragées à les faire valoir et les décisions de justice ne sont pas nécessairement respectées ;
    • les patients en soins sans consentement ne reçoivent aucune information ;
    • le cadre juridique des soins sans consentement n’est pas respecté ;
    • le contrôle par le juge des libertés et de la détention (JLD) n’est pas effectif :
      • l’accès au juge n’est pas convenablement assuré ;
      • la publicité de l’audience et le respect du contradictoire ne sont pas garantis ;
      • les décisions de justice ne sont pas exécutées.

En conclusion, le CGLPL demande que l’établissement concerné :

  • fasse l’objet de mesures urgentes, afin de garantir aux patients hospitalisés le respect de leurs droits fondamentaux et de leur liberté d’aller et venir ainsi que l’accès aux soins psychiatriques et somatiques en lien avec des projets de soins individualisés ;
  • réorganise son fonctionnement, afin de garantir aux patients hospitalisés – en soins libres ou sans consentement – le respect de leur dignité, de leur intégrité et de l’ensemble de leurs droits fondamentaux ;
  • fasse l’objet d’un plan de transformation étroitement accompagné par les autorités de tutelle.

Le CGLPL invite par ailleurs les ministres concernés à élaborer un plan d’action détaillé et public organisant conjointement la transition vers des pratiques respectueuses de la dignité et du statut des patients.

2. Commentaire

Si l’établissement visé ici par le CGLPL est un établissement psychiatrique – à l’égard de cette catégorie d’établissements sanitaires, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer de manière très claire – pour autant ses recommandations ne sont pas dénuées d’intérêt pour les professionnels du secteur social et médico-social. En effet, elles soulignent que constituent des manquements graves :

  • l’absence d’information des personnes et le non-respect de leur consentement ;
  • la pratique de l’isolement et de la contention en violation du cadre législatif prévu et sans contrôle effectif du juge judiciaire.

Ce sont là deux considérations qui concernent directement les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) :

  • la question fondamentale de l’information des personnes sur leurs droits et du respect de leur consentement est bien présente dans le secteur social et médico-social, en considération notamment de l’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) et de la Charte des droits et libertés de la personne accueillie instituée par arrêté du 8 septembre 2003. Il faut, à cet égard, constater que si les professionnels tiennent compte des droits fondamentaux des personnes accueillies ou accompagnées, pour autant les ESSMS sont rarement organisés pour être en mesure d’assurer effectivement l’information des usagers sur leurs droits. En effet, être en mesure d’assurer une telle information suppose la mobilisation d’une compétence juridique dans tous les domaines du droit qui sont susceptibles de concerner la situation et les besoins et attentes des personnes accueillies ou accompagnées. Or, il est fréquent que :
    • les organismes gestionnaires ne disposent pas en interne des ressources juridiques nécessaires ;
    • les ESSMS ne se soient pas organisés pour bénéficier de modalités externalisées d’information et de conseil par des professionnels du droit spécialisés ;
  • abstraction faite des mesures exceptionnelles qui ont pu être prises lors de la crise sanitaire, il faut rappeler que la pratique de l’isolement et de la contention en ESSMS est actuellement illégale, faute de fondement juridique adéquat aussi bien dans le champ PH que dans le champ PA.

Il paraît donc nécessaire – en particulier dans le contexte actuel où l’actualité a mis en lumière des violations graves des droits fondamentaux des personnes – que les professionnels du secteur social et médico-social s’approprient ces questions, de manière à ne pas pouvoir être suspectés d’assurer leurs interventions en violation de ces droits qui expriment l’exigence impérieuse du respect de la dignité des personnes. Une telle démarche rend manifestement nécessaire la réalisation d’un audit spécifique que le Défenseur des droits avait d’ailleurs appelé de ses vœux.

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