MALTRAITANCE : les obligations de signalement des fonctionnaires et agents publics en cas de suspicion d’infraction pénale

Mar 22, 2022Droit des associations et des ESMS, Droit public

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Au JO du 22 mars 2022 a été publiée la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, qui renforce l’obligation de signalement pénal des faits de maltraitance qui pèsent sur les fonctionnaires et autres agents publics.

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Cette loi, déjà présentée sur ce blog dans ses principales dispositions, introduit un nouvel article L. 135-3 dans le Code général de la fonction publique (CGFP) :

“Un agent public signale aux autorités judiciaires des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions conformément à l’article L. 121-11. Il peut signaler les mêmes faits aux autorités administratives”

Ce texte renvoie à l’article L. 121-11 du CGFP en vertu duquel :

“Les agents publics se conforment aux dispositions du second alinéa de l’article 40 du Code de procédure pénale pour tout crime ou délit dont ils acquièrent la connaissance dans l’exercice de leurs fonctions”.

Enfin, l’article 40 du Code de procédure pénale dispose :

“Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 40-1.

Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs”.

Les nouvelles dispositions légales confirment bien que tout agent public quel que soit son statut – y compris les contractuels de droit public – est tenu de signaler directement au Parquet les crimes et délits dont il a eu connaissance à l’occasion de ces fonctions.

Se pose alors la question de savoir ce que signifie “avoir connaissance d’un crime ou d’un délit”. Parle-t-on exclusivement de faits avérés ?

La réponse de la jurisprudence administrative est des plus claires : l’obligation de dénonciation à l’autorité judiciaire de faits susceptibles d’être qualifiés de délictueux ou criminels n’est pas limitée au seul cas dans lequel l’autorité administrative a acquis la certitude de l’exactitude des faits reprochés à l’agent. Il suffit que les révélations ou informations portées à sa connaissance présentent un caractère de vraisemblance suffisant (CAA Nancy, 30 novembre 2006, Consorts X… c/ Ministre de l’éducation nationale, n° 05NC00618).

En matière de signalement des faits de maltraitance, cette position du juge administratif est renforcée par celle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui sanctionne rigoureusement le défaut ou le retard de signalement des délits et crimes d’atteinte à l’intégrité (article 434-3 du Code pénal) dont on a conscience qu’ils ont pu être commis mais dont on n’est pas certain. Voici quelques exemples de condamnation de professionnels dans des situations où les atteintes n’étaient pas caractérisées avec certitude :

  • connaissance par témoignage indirect : agressions sexuelles sur une mineure par un professionnel du foyer, signalées par le psychologue au directeur qui décide ensuite de ne pas signaler (Cass., Crim., 6 septembre 2006, n° 05-87274) ;
  • simple suspicion : agressions sexuelles sur des mineurs, à propos desquelles le directeur interroge le professionnel possiblement auteur avant de décider de ne pas signaler (Cass., Crim., 12 janvier 2000, n° 99-80534) ;
  • rumeur ou réputation : fellation imposée une élève mais dont la réalité paraît incohérente à l’instituteur et au directeur de l’école élémentaire – l’intéressée ayant selon eux la réputation de jouer à “touche-pipi” – qui décident de ne pas signaler (Cass., Crim., 5 septembre 2001, n° 01-81397).

Il faut souligner que la réalisation d’une enquête préalablement à la réalisation d’un signalement constitue le délit de signalement tardif ou de défaut de signalement (Cass., Crim., 17 mars 2010, n° 09-85670) ; ce signalement doit intervenir sans délai (Cass., Crim., 5 septembre 2001, précité).

Le nouvel article L. 135-3 du CGFP inscrit donc – en miroir – l’obligation déjà prévue à l’article 40 du Code de procédure pénale. Son libellé est dépourvu de toute ambiguïté : l’obligation pèse personnellement sur le fonctionnaire ou l’agent public, lequel ne peut s’en remettre aux consignes de sa hiérarchie pour opérer le signalement au Parquet.

A cet égard, il faut constater que certaines Administrations organisent le traitement des signalements par des circulaires prescrivant des pratiques illégales. On pourra considérer, comme exemples topiques, deux circulaires du ministère de l’Education nationale :

“Cette communication, communément appelé le signalement, prend des formes différentes selon qu’il s’agit d’une présomption de maltraitance nécessitant une enquête préalable ou en cas d’urgence :

en cas de présomption de maltraitance : le président du Conseil général est saisi, l’inspecteur d’académie informé de cette saisine ;

en cas d’urgence c’est-à-dire lorsque les personnels sont confrontés à une situation de maltraitance grave et manifeste : le procureur de la République est saisi, l’inspecteur d’académie et le président du Conseil général sont informés.” ;

“La sanction disciplinaire peut constituer une réponse suffisante au regard de la faible gravité des actes, de la personnalité de l’auteur et du contexte dans lequel ils se produisent. En cas de faits plus graves, l’autorité judiciaire peut être saisie.

Cette saisine repose sur des critères définis dans les conventions Justice-Éducation nationale.

Ces conventions, qui ont montré leur pertinence, seront actualisées afin de détailler les circuits de signalement des faits.”

Ces deux circulaires sont critiquables parce qu’elles introduisent des critères d’évaluation contra legem conditionnant la réalisation des signalements par les fonctionnaires concernés, enseignants et directeurs :

  • en distinguant indûment les situations de présomption de maltraitance des cas de maltraitance grave et avérée ;
  • en prévoyant que la saisine de l’autorité judiciaire devra être assurée conformément aux prévisions d’une simple convention inter-administrative.

Il convient donc ne pas tenir compte de telles consignes et ce, en vertu de l’article L. 121-10 du CGFP qui impartit aux agents publics le devoir de désobéir aux ordres manifestement illégaux et de nature à compromettre gravement un intérêt public.

En conclusion, comme le montre bien la jurisprudence citée ci-dessus, rien ne peut exonérer un agent de l’obligation de se conformer à la loi. Il faut donc redouter qu’en cas de poursuites, il puisse être condamné par le juge pénal quand bien même il aurait agi dans le respect des consignes de son chef de service.

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