ESSMS : une réforme du régime du projet d’établissement loin d’être anodine

Fév 18, 2022Droit des associations et des ESMS, Droit public

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La loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants a complété le Code de l’action sociale et des familles (CASF) a profondément modifié le régime juridique du projet d’établissement des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).

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1. Présentation

 

L’article 22 de la loi vient compléter l’article L. 311-8 du CASF. Désormais, le projet d’établissement doit, outre les autre sujets déjà considérés comme obligatoires :

  • préciser la politique de prévention et de lutte contre la maltraitance mise en œuvre par l’établissement ou le service, notamment en matière de gestion du personnel, de formation et de contrôle ;
  • désigner une autorité extérieure à l’établissement ou au service, indépendante du Conseil départemental et choisie parmi une liste arrêtée conjointement par le Président du Conseil départemental, le représentant de l’Etat dans le département et l’agence régionale de santé, à laquelle les personnes accueillies peuvent faire appel en cas de difficulté et qui est autorisée à visiter l’établissement à tout moment.

Mais au-delà de cet ajout, les nouvelles dispositions législatives viennent modifier profondément le dispositif. En effet, certains de ses aspects fondamentaux sont appelés à être règlementés par décret :

  • le contenu minimal du projet,
  • les modalités d’association du personnel et des personnes accueillies à son élaboration,
  • les conditions de sa diffusion une fois établi.

Ce même décret définira également les modalités d’affichage des documents, notices et services d’information dans les ESSMS.

 

2. Commentaire

 

Des observations peuvent être formulées aussi bien sur la forme que le fond de ces nouvelles dispositions qui dépassent – et de loin – le champ de la protection de l’enfance puisqu’elles concernent toutes les catégories d’ESSMS.

 

2.1. Sur la forme

 

Il apparaît que les dispositions ainsi introduites l’ont été de manière maladroite au regard du plan du CASF et loin de tout esprit pratique, ce qui va contribuer à encore plus de complexité pour les professionnels :

  • il eût été plus judicieux de faire figurer l’obligation de désigner une autorité extérieure à l’article L. 311-5, avec les disposition relatives à la désignation de la personne qualifiée ;
  • la désignation de l’identité de l’autorité extérieure dans le projet l’établissement est mal pratique. En effet, ce document a vocation à énoncer des éléments stratégiques d’une durée pluriannuelle, non des données pratiques de portée conjoncturelle. L’identité de l’autorité extérieure est susceptible de changer au cours de la période quinquennale de validité du projet d’établissement ; pour tirer les conséquences de ce changement, il faudra donc actualiser le document. Or, pour ce faire, la procédure est lourde car la modification ne peut intervenir qu’après avis du conseil de la vie sociale (CVS), information-consultation du comité social et économique (CSE) et décision d’adoption par l’organisme gestionnaire ou son délégué. Il apparaît dès lors que le choix légistique qui a été opéré exprime une méconnaissance non seulement de la pratique mais, d’abord, du droit applicable.

 

2.2. Sur le fond

 

  • concernant la désignation de l’autorité extérieure :
    • l’opportunité de créer cette autorité se discute car il aurait sans doute suffi de modifier la définition des attributions de la personne qualifiée pour y englober les nouvelles attributions. Au résultat, la législation prévoit aujourd’hui deux personnes distinctes mais avec des missions analogues, toutes deux inscrites sur des listes administratives conjointes distinctes. Cela multiplie les processus inutilement ;
    • cette opportunité se discute également au regard de l’obligation pour les ESSMS, issue du Code de la consommation, de désigner et de faire connaître l’identité d’un médiateur de la consommation ;
  • concernant du processus de rédaction du projet d’établissement avec association du personnel et des personnes accueillies :
    • jusqu’à présent, la participation du personnel et des personnes accueillies à la rédaction relevait déjà de bonnes pratiques issues, notamment, de recommandations de bonnes pratiques professionnelles ad hoc de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux ou ANESM (cf. p. 21 à 26 : “Le projet d’établissement ou de service est élaboré avec la participation active des parties prenantes” ). Par ailleurs, le contenu et les modifications du projet d’établissement donnaient déjà lieu, comme cela a été rappelé ci-dessus, à des phases d’information et de concertation avec les représentants des usagers et ceux du personnel. Dès lors, que comprendre du nouveau texte, si ce n’est qu’il veut accroître le rôle des usagers et du personnel au-delà d’une information et de l’expression d’un avis ?
    • figer le processus de rédaction par voie réglementaire – et il faut au passage espérer que les têtes de réseau du secteur seront préalablement sollicitées mais surtout écoutées par l’Administration centrale – risque, sans véritable utilité, de créer des tensions injustifiées car, en tant qu’ils sont titulaires des autorisations, les organismes gestionnaires sont seuls responsables de la définition et de la mise en œuvre de leur projet :
      • Il n’appartient pas au personnel, qui n’est qu’un moyen au service de la réponse aux besoins des personnes, d’orienter les choix stratégiques d’intervention. Son association au processus de rédaction se justifie au stade de la définition des modalités ;
      • il n’appartient pas davantage aux personnes accueillies ou accompagnées de définir le projet d’établissement et ce, pour une raison simple : elles ont été admises parce que leurs besoins étaient en concordance avec les interventions proposées au titre de la mise en oeuvre du projet d’établissement. Leur reconnaître la possibilité de susciter des modifications du projet d’établissement reviendrait à accepter l’augure d’une transformation de l’activité sans considération du projet stratégique de l’organisme gestionnaire (ex. : projet associatif) ni des impératifs de gestion … Et sans qu’elles soient comptables ni de la politique d’admission au regard du principe de spécialité mentionné à l’article L. 241-6, III du CASF, ni de l’adéquation aux évolutions de la planification ;
  • quant aux conditions de diffusion du projet d’établissement une fois établi : les rédacteurs du texte semblent avoir ignoré que ces conditions sont d’ores et déjà définies à l’article L. 311-4 du CASF. Plutôt que de renvoyer à un texte réglementaire, il aurait été pertinent de modifier ce texte voire – avec l’ambition d’apporter plus de clarté au code – de regrouper, dans un article législatif unique, toutes les considérations afférentes à la diffusion de tous les documents relatifs à la protection des droits des personnes accueillies ou accompagnées : projet d’établissement, règlement de fonctionnement, charte des droits et libertés de la personne accueillie, livret d’accueil. On y aurait ajouté l’affichage obligatoire – comme cela existe par exemple en droit du travail – des coordonnées des services administratifs d’inspection et de contrôle et – pourquoi pas ? -, des associations de défense des droits des personnes présentes à proximité, du délégué du Défenseur des droits et des permanences d’accès au droit dans les Maisons de la justice et du droit ou les Barreaux ;
  • on aurait aussi pu prendre en considération le fait que le projet d’établissement constitue un document de nature contractuelle dans les ESSMS de droit privé. Il aurait donc été justifié – et plus conforme aux dispositions du Code de la consommation – d’inscrire le projet d’établissement au nombre des documents à remettre obligatoirement avant l’admission, dans le cadre de l’obligation d’information précontractuelle ;
  • dans le champ du handicap, le pouvoir règlementaire va ainsi prendre la main sur le contenu du projet d’établissement, parachevant la confiscation déjà promise par l’utilisation dans ce document de la nomenclature des prestations de SERAFIN-PH ;
  • enfin, quitte à modifier l’ordonnancement juridique du projet d’établissement, il aurait été utile de retravailler l’articulation et la cohérence des prévisions générales de l’article L. 311-8 avec celles, catégorielles, qui figurent – en partie règlementaire du CASF – dans les conditions techniques minimales d’organisation et de fonctionnement. Il ne s’agit pas seulement là d’une préconisation esthétisante. Plus les textes sont clairs et mieux ils sont maîtrisés par les professionnels ; plus ils sont clairs et plus facilement ils peuvent être traduits en questionnaires d’autoévaluation, d’audit ou d’inspection ; plus ils sont clairs et plus aisément on peut y référer au contentieux.

Au final, cette réforme paraît stratégiquement mal pensée, techniquement mal ficelée et ressemble à une énième instrumentalisation de la loi à des fins de communication politique. Cessera-t-on un jour d’empiler des textes opportunistes, pour privilégier un véritable travail sur la qualité de rédaction du Livre III du CASF ? Sans doute la protection des droits des personnes accueillies ou accompagnées en ESSMS y gagnerait-elle en effectivité. Alors que le Sénat diligente une mission d’enquête sur l’efficacité des contrôles administratifs en ESSMS, ce voeu n’est peut-être pas totalement fantaisiste.

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