Au JO du 27 avril 2022 été publié le décret n° 2022-695 du 26 avril 2022 modifiant le décret n° 2021-1476 du 12 novembre 2021 relatif au rythme des évaluations de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux.
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1. Présentation
Pris en application action de l’article D. 312-204 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), ce décret définit le rythme quinquennal des évaluations de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) sur la base d’une programmation fixée par arrêté des autorités en charge des autorisations. Cette planification est adéquate au calendrier des évaluations prévu dans les contrats d’objectifs et de moyens (CPOM). Concrètement, les modifications de calendrier suivantes sont opérées :
- la première programmation pluriannuelle des évaluations sera arrêtée au plus tard le 1er octobre 2022. Elle fixera le rythme des évaluations pour la période juillet 2023 – décembre 2027 ;
- les ESSMS autorisés en 2008-2009 qui n’avaient pas transmis leur seconde évaluation “ancienne formule” devront la réaliser et en communiquer les résultats à l’Administration au cours du premier semestre 2023.
Dans le même temps, le décret abroge l’annexe 3-10 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) relative au contenu du cahier des charges pour la réalisation des évaluations externes. Ce fondement juridique ayant disparu, il n’est désormais plus possible de procéder à des évaluations externes d’ESSMS, sauf dans le cas particulier des ESSMS en retard cités au deuxième point ci-dessus.
2. Commentaire
Ce décret constitue une véritable curiosité juridique mais aussi, plus largement, un cas d’école en matière d’action administrative.
En effet, s’agissant de la fixation des calendriers d’évaluation, il est conforme aux dispositions de l’article L. 312-8 du CASF dans sa version actuelle ; l’autorité réglementaire a donc pu, à raison, déterminer ce calendrier et aucune illégalité ne saurait lui être reprochée sur ce point.
Il faut toutefois rappeler que les modifications que le Gouvernement avait introduites dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022 pour procurer un fondement légal à cette nouvelle formule d’évaluation ont été déclarées inconstitutionnelles.
Quel est l’apport pratique de ce décret ? Il n’en a aucun dans l’immédiat puisque la réalisation des évaluations “nouvelle formule” n’est pas possible, du fait des nombreux obstacles juridiques qui résultent de la déclaration d’inconstitutionnalité du 16 décembre 2021 et s’opposent donc à sa mise en oeuvre :
- l’accréditation des évaluateurs n’est pas possible, faute de fondement législatif ;
- le recours aux recommandations de bonnes pratiques professionnelles – pourtant vouées à disparaître, au profit du seul nouveau référentiel d’évaluation – est toujours obligatoire ;
- le nouveau référentiel d’évaluation de la Haute autorité de santé (HAS) n’existe pas juridiquement, faute de fondement législatif.
L’autorité réglementaire semble donc “se faufiler” dans les maigres interstices que laisse subsister la rédaction non modifiée de l’article L. 312-8, pour mettre en place par anticipation toutes les mesures d’application possibles, en attendant que le dispositif soit un jour parachevé par la loi. Et dans le même temps, pour neutraliser l’évaluation externe considérée comme anachronique, elle abroge le cahier des charges sans lequel plus rien n’est possible. La fuite en avant est donc inéluctable.
Une telle tactique révèle un empressement curieux. En effet, dans le champ de l’action sociale et médico-sociale, c’est sans doute la première fois que le texte réglementaire d’application d’un nouveau dispositif est édicté avant même la loi qui institue ce dispositif.
Où rechercher les raisons d’une telle urgence pour l’autorité règlementaire ?
Pas dans la conjoncture politique, dès lors qu’elle ne semble pas remettre en question la couleur politique de l’Exécutif et – au risque d’un pronostic – du Parlement. Au demeurant, pour l’heure, le premier ministre n’a pas remis la démission du Gouvernement au président de la République. Les ministres en responsabilité sont donc toujours les actuels ministre des solidarités et de la santé et secrétaires d’Etat.
Une première hypothèse pourrait être formulée qui tient aux suite du “scandale Orpéa”. En effet, le nouveau dispositif d’évaluation a été présenté comme l’une des mesures propres à empêcher que les dysfonctionnements dénoncés dans le livre “Les fossoyeurs” se reproduisent. Afin de pouvoir communiquer sur sa volonté de rendre impossible toute réitération de ces abus, le Gouvernement a peut-être intérêt à faire preuve d’empressement dans la mise en oeuvre de la nouvelle génération d’évaluation.
Autre possibilité : le Gouvernement pourrait vouloir gagner du temps afin de permettre aux candidats-évaluateurs de suivre leur cursus d’accréditation auprès du COFRAC. En effet, ce dernier est d’une durée prévisible de 6 mois à 1 an.
Mais d’autres raisons permettraient aussi d’expliquer la volonté manifeste de l’Exécutif d’avancer à tout prix sur l’évaluation, fût-ce en explorant les confins de la légalité :
- une partie des professionnels ne croit pas au discours de la Haute autorité de santé (HAS) sur l’indépendance de l’approche qualité par rapport aux logiques de régulation (autorisation, financement, contractualisation). De fait, la concomitance expressément prévue par le règlement entre résultats de l’évaluation et négociation du CPOM (et donc, aussi, actualisation du projet d’établissement) dément immédiatement ce discours “angélique”. Certains observateurs attentifs ont d’ailleurs qualifié le propos de “discours de la contrainte”. Ce double discours de l’Administration centrale en rappelle d’autres qui émaillent la gouvernance publique du secteur (ex. : celui sur l’indépendance entre analyse des besoins des personnes grâce à la nomenclature des prestations SERAFIN-PH et tarification) ;
- d’autres professionnels se préoccupent de voir à l’oeuvre une logique “descendante” et indifférenciée d’évaluation des ESSMS toutes catégories confondues, par l’utilisation d’un référentiel unique qui ressemble à celui de la certification des établissements sanitaires ;
- des interrogations persistantes concernent les modalités de financement des évaluations et, donc, d’allocations aux ESSMS des moyens budgétaires correspondants. Pour l’heure, elles n’ont pas reçu de réponse, la HAS renvoyant la balle à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ;
- des craintes ont aussi été exprimées sur un possible glissement de l’outil évaluation vers une finalité de contrôle. Cette crainte n’est pas fantaisiste si on précise que les évaluateurs seront accrédités par le Comité français d’accréditation (COFRAC) par référence à la norme ISO 17020:2012 relative à la réalisation d’audits par les organismes de contrôle et d’inspection (*). Sans doute ces inquiétudes auraient-elles été évitées si les évaluateurs – qui sont en réalité des auditeurs de tierce partie au sens de la norme ISO 19011:2018, point 3.1 – avaient été accrédités au regard de la norme ISO 19011:2018 relative à l’audit des systèmes de management. Techniquement, la nouvelle évaluation des ESSMS sera donc bien un audit de contrôle ou d’inspection ;
- enfin, le recours à un référentiel d’évaluation unique pourrait permettre des comparaisons – abstraites et insensées – entre ESSMS de même catégorie, cette comparabilité étant accrue par l’effet de SERAFIN-PH et de la “despécialisation” des autorisations préconisée en octobre 2021 par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et progressivement mise en oeuvre (voir le point 8 de ce post).
En conclusion, il est pittoresque de voir certains acteurs du secteur dépenser leur énergie à promouvoir urbi et orbi un dispositif d’évaluation pour l’heure illégal et qui leur sera probablement dommageable à terme … Même si le discours qui le porte sert bien sûr la priorité absolue de la réponse aux besoins des personnes et de la qualité des prestations.
Comment être contre une telle belle intention sans se discréditer soi-même ? Voilà la méthode de communication caractéristique du new public management qui transpire dans le secteur social et médico-social depuis 2002, qui associe toujours un avers heureux au revers malheureux de la même médaille.
Comment être contre le contrat de séjour, alors qu’il institue une relation égalitaire entre personne accueillie ou accompagnée et professionnels qui permet de faire jouer la concurrence entre ESSMS ?
Comment être contre le CPOM, alors qu’il fait se rejoindre Administration et organisme gestionnaire dans une négociation consensuelle des actions et des financements ?
Comment être contre les groupements de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS), alors qu’ils sont destinés à favoriser une coopération heureuse entre organismes gestionnaires ?
Comment être contre SERAFIN-PH, alors que sa nomenclature permettra de mieux répondre aux besoins et attentes des personnes ?
Comment être contre la réalisation des inspections par des agents relevant de l’autorité administrative de régulation, alors que leur polyvalence en son sein est gage de compétence ?
Et pourquoi être contre – ou pour ? La réponse appartient évidemment aux organismes gestionnaires et à leurs têtes de réseau.
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(*) Nous tenons à remercier la consultante qui, ayant interrogé le COFRAC sur les modalités d’accréditation des évaluateurs, a reçu la réponse suivante qu’elle a bien voulu nous communiquer :
“Dans cette attente, je vous invite à consulter la norme NF EN ISO/IEC 17020 « Evaluation de la conformité – Exigences pour le fonctionnement de différents types d’organismes d’inspection », qui est le référentiel d’accréditation qui servira de cadre pour la reconnaissance de compétence des organismes recherchant l’habilitation de la HAS pour la réalisation de l’évaluation des ESSMS. Vous pouvez vous procurer cette norme auprès de l’AFNOR.
Au niveau Cofrac, cette norme est complétée par un document d’application international (ILAC P15) qui est traduit et intégré dans la documentation Cofrac sous la référence INS REF 02 « Exigences pour l’accréditation des organismes d’inspection ». Je vous invite à en prendre connaissance.
Enfin, pour commencer à appréhender le processus d’accréditation, je vous invite à consulter le document INS REF 05 « Règlement d’accréditation ».
Concernant les frais et tarifs applicables, les informations sont disponibles dans les documents INS REF 06 « Frais d’accréditation » et INS REF 07 « Tarifs ».”